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Dossier - Paiements

Créé le

23.08.2023

-

Mis à jour le

26.12.2023

Cet été 2023, un flot d’études a rappelé la place de chacun des moyens de paiement au quotidien, tandis qu’un déferlement de textes européens prépare l’avenir : des transactions dématérialisées, mobiles et instantanées.

D’un autre temps ? Le cash reste, en volume, le moyen de paiement le plus utilisé. Au-delà des transactions, les billets constituent une réserve de valeur. En cas de crise, les citoyens se précipitent pour en retirer. À cet égard, les derniers chiffres du Comité national des moyens de paiement (CNMP) montrent que le nombre de communes françaises ayant au moins un distributeur automatique de billets (DAB) n’a pas baissé en 2022. Parmi 6 563 équipées, les plus petites (moins de 1 000 habitants) retiennent aussi l’attention de Cash service, la marque adoptée par BNP Paribas, Crédit Mutuel et Société Générale pour leur offre de DAB mutualisée afin de rationaliser leurs parcs. « L’évolution du réseau de DAB suit naturellement celle de la société, et l’accessibilité aux espèces reste, comme cela était le cas les années précédentes, à un excellent niveau », souligne Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF, actionnaire de La Revue Banque). Et de constater que la disparition de plus de 1 500 DAB en France sur un an – 6 500 sur cinq ans – est compensée par « le développement continu, depuis plusieurs années, de points d’accès privatifs aux espèces », réservés aux seuls clients de Nickel (BNP Paribas), du Crédit Agricole, du Crédit Mutuel ou de La Banque Postale. La France compte au total plus de 73 000 accès.

Le chèque n’a pas non plus disparu malgré une chute continue depuis les années 2000 (-8 % en 2022). Sa gratuité est globalement maintenue dans la patrie du « ni-ni » (ni rémunération des comptes, ni facturation des chèques) et, bonne nouvelle, « la fraude aux chèques a chuté plus rapidement que son usage », même s’il enregistre le plus fort taux d’escroquerie parmi les moyens de paiement, a souligné le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, à la sortie du dernier rapport de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP). Au contraire, la carte s’est imposée dans les usages, avec une adoption du sans-contact qui a pris dix ans, mais a largement décollé depuis les confinements.

Interbancarité

Entre l’invention de la puce et l’organisation du GIE Cartes Bancaires CB, la carte est objet de fierté des banques françaises. Autre motif de satisfaction : « La fraude à la carte bancaire s’établit à 464 millions d’euros en 2022, en légère baisse par apport à 2019, alors que les paiements par carte ont augmenté de 143 milliards d’euros sur la même période, rappelle Maya Atig. Ceci s’explique notamment par le renforcement de la sécurité des moyens de paiement avec la mise en place de l’authentification forte. »

En parallèle, la profession est mobilisée sur trois axes pour lutter contre des fraudes toujours plus sophistiquées : préventif, curatif (les banques ont accueilli favorablement les 13 recommandations de l’OSMP autour de la fraude et notamment son remboursement, en mai dernier) et répressif.

Alors que CB traitait plus de 90 % des flux de paiements en France il y a quelques années, sa part de marché est tombée à un peu moins de 85 %. Le modèle interbancaire français doit se réinventer. Les grands commerçants s’inquiètent de frais accrus. Le comarquage entre CB (pour les paiements en France) et l’un des deux grands systèmes internationaux, Visa ou MasterCard, n’est plus un « must ». Les néobanques (Revolut ou N26) ou en ligne (Boursorama ou BforBank) proposent des cartes qui échappent aux infrastructures du GIE, de même que le groupe BPCE pour les prochains Jeux olympiques, avec 4 millions de « Visa only » – à relativiser, dans un parc de 15,7 millions de cartes CB. Si le client a obligatoirement le choix du scheme dans lequel s’inscrit son paiement lors d’un achat en ligne, ce n’est pas le cas s’il utilise son téléphone : Visa ou MasterCard traitent généralement le flux en direct. Dans le cadre du plan « Dynamique 2026 » du GIE, les banques françaises investissent de nouveau pour que les transactions des portefeuilles électroniques (wallets) passent par CB, comme seuls Société Générale et Crédit Agricole le permettent à ce jour, afin de disposer d’une plateforme commune de tokenisation d’ici à fin 2024. C’est en fait le modèle économique de toute la chaîne, y compris le volet des commissions d’interchange en Europe, qui change.

Souveraineté

Mobilisé face à l’hégémonie de Visa et MasterCard, le secteur français des paiements n’a pas réussi à convaincre ses voisins de dupliquer un GIE Cartes Bancaires à cette échelle. Sans être un standard, une solution unique a néanmoins été trouvée avec l’European Payment Initiative (EPI, lire l’interview de Martina Weimert et Thierry Laborde et lire l’interview de Gilles Grapinet). Fondée sur le paiement instantané avec un wallet reposant sur le QR Code, elle concerne quatre marchés : la France, la Belgique et l’Allemagne, soit 60 % de la totalité des transactions en Europe, suivis par les Pays-Bas. Le défi, à court terme, est de faire coexister ce nouveau moyen de paiement avec la carte, et de garantir son business model. Les actionnaires de l’EPI estiment ainsi participer à l’indépendance européenne et répondre au vœu de la Commission de développer le paiement instantané, une solution technologique qui, comme le sans-contact récemment, prend son essor (+85 % sur un an en France).

Les régulateurs douteraient-ils de la capacité des banques à y parvenir ? Le projet de la Banque Centrale Européenne d’un euro digital destiné aux particuliers est perçu par les actionnaires de l’EPI comme une concurrence déloyale, sans cas d’usage ni réponse à un besoin qui ne serait déjà couvert. Les autorités s’en défendent, d’autant qu’elles évoquent bien une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) : un e-euro, un billet de banque numérique, voire Cash+, non un moyen de paiement. En parallèle, la Commission pousse tout le secteur financier à entrer de plain-pied dans l’ère numérique, avec un « paquet » qui propose de moderniser l’actuelle directive (pour devenir la DSP 3) et d’établir un règlement sur les services de paiement, accompagné d’autres textes : données personnelles, marchés et services numériques, crypto-actifs ou open finance.

Finalement, le cadre réglementaire et l’avancée du projet de MNBC, qui ne verrait le jour qu’en 2027-2028 si le Conseil des gouverneurs l’approuve, pourraient bénéficier à l’EPI. L’initiative a une longueur technologique d’avance et lancera sa solution l’an prochain. Elle réunit à la fois des banques et acquéreurs tiers, et vise un cinquième marché. Elle a testé et intégré avec succès l’euro numérique lors d’un l’exercice de prototypage et pourrait devenir un acteur central de la distribution d’une MNBC, y compris pour son acceptation hors zone euro. « La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer » : en début d’été, François Villeroy de Galhau citait Abraham Lincoln. Les banques sont à la manœuvre, individuellement et collectivement.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº883
RB