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L’inclusion est l’affaire de tous

Créé le

25.11.2022

-

Mis à jour le

19.04.2023

Le contexte, avec de plus en plus de personnes en situation fragile, au sens légal, mais aussi des pratiques aux impacts lourds sur le pouvoir d’achat de la population, porte à s’interroger sur un risque croissant d’exclusion financière et de surendettement.

Un numéro unique : le 3414. La Banque de France a ouvert une ligne téléphonique qui centralise l’ensemble des services publics d’inclusion financière : surendettement, droit au compte bancaire, difficultés et incidents (crédits, chèques)... Pour le faire savoir, elle a adressé un communiqué à la presse le 22 novembre. Son implication favorise l’insertion de tous dans la vie économique et sociale, qu’il s’agisse des populations qui ne font plus face à leurs dettes personnelles (crédits, factures) ou de celles, tels les migrants, qui n’ont pas accès à un compte bancaire, aujourd’hui indispensable. L’institution pourrait recevoir 1,2 million d’appels par an.

La Poste a également ce rôle d’intérêt général. Dans les domaines bancaire, financier et des assurances, elle propose des produits et services au plus grand nombre, notamment le Livret A : c’est l’une des quatre missions fixées au groupe public par le législateur (Code monétaire et financier, article L. 518-25). Depuis la transformation de ses services financiers, c’est à sa filiale bancaire de l’assumer, en s’appuyant sur les bureaux de poste. En vertu de l’accessibilité bancaire, toute personne qui en fait la demande peut y ouvrir un Livret A et effectuer gratuitement des dépôts et retraits, à partir de 1,50 euro. La domiciliation des virements et des prélèvements sur certaines opérations (versement des minima sociaux, prélèvement des impôts, loyers, factures de gaz et d’électricité) participent aussi à l’inclusion financière.

« La Poste change et reste La Poste » : cette punchline pourrait s’appliquer à La Banque Postale. Destinée à compenser la baisse du courrier, celle-ci s’est déployée dans tous les métiers de la bancassurance, jusqu’à l’intégration de CNP et la création d’un pôle d’assurance vie et non-vie. Elle est ainsi devenue une banque presque comme les autres, bien qu’alourdie de quelques points de coefficient d’exploitation par sa mission de service public et le réseau qui y contribue : une « banque citoyenne », selon son propre vocable.

Citoyennes, les autres banques ne le sont pas moins. Face au risque, qu’elles portent au demeurant dans leurs comptes, elles se positionnent comme « l’un des maillons de tout un écosystème, composé d’acteurs sociaux, d’associations, d’institutions, des pouvoirs et organismes publics notamment ». Par la voix de leur fédération (FBF, actionnaire de Revue Banque), elles font valoir une palette de services adaptés et différentes ressources dédiées : le site Les Clés de la banque « donne des informations pratiques, simples et pédagogiques », l’application Pilote Budget « permet à ses utilisateurs de visualiser les charges et dépenses obligatoires, par rapport aux revenus, et d’ainsi déterminer ce qu’il reste pour vivre ». La « forte dimension collective », soulignée par la Banque de France, pour proposer aux personnes en situation de fragilité financière ces dispositifs, repose sur des obligations légales. La première remonte à 1984, avec le droit au compte. Gratuit et assorti des services bancaires essentiels, ce droit bénéficie à près de 184 000 personnes.

Le premier besoin : l’accès à la banque

La loi de séparation des activités bancaires, voulue par le ministre de l’Économie Pierre Moscovici en 2013, est allée au-delà, rendant obligatoires – pour les banques comme pour les sociétés de financement spécialisé – tout d’abord la détection, puis l’accompagnement des clients financièrement fragiles. Elle établit l’offre spécifique (OCF) et des plafonnements de tarifs, afin de limiter les incidents. Ainsi, une personne recevable à la procédure de surendettement ou inscrite au fichier central des chèques de la Banque de France pendant 3 mois de suite à cause d’un chèque impayé ou d’un retrait de carte bancaire, ou encore détectée par sa banque (par exemple en constatant les irrégularités sur le compte et les incidents de paiement survenus pendant 3 mois consécutifs) ne doit plus être sans recours et dès lors exclue de fait du système. L’OCF concerne désormais 4,1 millions de particuliers (en flux sur l’année 2021, près de 700 000 clients, soit +80 % depuis 2019). Pour revenir à une situation financière stable, le particulier peut enfin être accompagné au sein de structures dédiées, avec des partenariats associatifs ou désormais les Points conseil budget (PCB).

Certains établissements n’ont pas attendu 2013 pour mettre en œuvre une telle démarche. C’est le cas, dans le domaine bancaire, du Crédit Agricole, dont les Points Passerelle sont avant tout, depuis 25 ans, « des espaces d’accueil et d’écoute » ; ou dans celui du crédit à la consommation, avec Cetelem et Cofinoga, racheté par BNP Paribas. La branche Personal Finance et le réseau du groupe de la rue d’Antin ont été les premiers à signer un accord avec Crésus, fédération spécialisée dans l’accompagnement des personnes en difficulté financière, qui regroupe 29 associations engagées dans la lutte contre le surendettement.

D’une crise à l’autre

L’Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB), créé par la loi de 2013, montre une évolution « encourageante ». Sur période courte, et dans le contexte particulier de la sortie de crise sanitaire, son rapport 2021 souligne en effet un recul du nombre de dépôts de dossiers en surendettement (-15 % par rapport à l’année précédente) et un montant annuel moyen des frais bancaires appliqués aux clients les plus fragiles réduit de 17 % par rapport à 2020, à 118 euros par an.

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui préside l’OIB, a toutefois invité l’ensemble des acteurs concernés à rester mobilisés.

Les chiffres de 2022 trahissent l’inquiétude des Français dans un contexte économique qui pèse d’ores et déjà sur leur situation financière. Si les dépôts de dossiers de surendettement n’ont pas retrouvé le niveau antérieur au Covid-19, 512 000 personnes sont désormais fichées pour incidents de paiement de crédits, soit 24 % de plus qu’en 2021.

Un nombre croissant de situations de fragilité financière, c’est bien la crainte actuelle. Le « Manifeste pour une inclusion financière universelle » publié en octobre par UFC-Que Choisir, avec ses 16 recommandations « pour un accès aux moyens de paiement et aux services bancaires indispensables », s’inscrit dans cette tendance. En substance, il désigne les banques comme le maillon faible de l’écosystème.

Examen personnalisé de la situation, adaptation si nécessaire du découvert autorisé, offres d’alertes sur le compte, produits d’entrée de gamme sans découvert autorisé ou avec une carte à autorisation systématique... le secteur bancaire se plie pourtant aux contraintes, voire les anticipe, parfois au détriment de sa rentabilité. Mais la question des frais – au-delà de ceux d’incidents sur les comptes des clients identifiés, qui sont en baisse de 17 % sur une moyenne annuelle 2021-2020 – empoisonne toujours la relation banque-client.

La profession bancaire doit en plus répondre aux injonctions ponctuelles et répétitives de l’État. Le mouvement des gilets jaunes, à la fin 2018, avait ainsi mené à lui demander de plafonner les frais d’incidents pour les clients fragiles, mais aussi à geler les hausses des tarifs pour l’année 2019. La crise actuelle a poussé le ministre de l’Économie à une demande comparable en septembre : pas d’augmentation de plus de 2 % des frais bancaires en 2023 et une OCF réduite de 3 euros à 1 euro.

Les banques s’exécutent. Elles ne sont toutefois pas les seules à participer au déploiement du bouclier « anti-inflation ». En matière financière et de pouvoir d’achat, d’autres parties sont impliquées, qu’il s’agisse d’adopter des pratiques adaptées pour le recouvrement des créances de particuliers ou de proposer des avantages aux salariés et leurs familles.

Des facteurs émergents d’exclusion

Les banques se sentent incomprises. L’accès au cash ? L’accessibilité constitue l’un des cinq piliers de la politique nationale de gestion des espèces. Certes, la présence territoriale des banques, parmi les plus denses d’Europe, est un atout essentiel d’inclusion. Mais la rationalisation du parc de distributeurs automatiques de billets (DAB) est vécue au quotidien. Si elle s’applique surtout aux villes les plus peuplées et les plus équipées et répond à une moindre utilisation des espèces, elle met en évidence dans les territoires l’importance de points jaunes (les 17 000 points de contact de La Poste) ou verts (6 000 Relais CA du Crédit Agricole), d’autres réseaux comme les bureaux de tabac et d’acteurs alternatifs aux banques pour accéder aux espèces (quelques dizaines pour Brink’s France).

Le crédit ? D’un côté, le développement du « paiement fractionné », qui va être encadré à l’échelle européenne, pourrait devenir une cause de surendettement dans un pays où le crédit à la consommation est plus réglementé qu’ailleurs. De l’autre, sur fond de débat technique concernant le taux de l’usure, la crainte de ménages exclus du prêt au logement établit un nouveau risque d’exclusion, alors que les banques françaises pratiquent des taux fixes, sur la base des revenus des emprunteurs (et non de la valeur du bien), et à un niveau suffisamment bas pour conserver leurs parts de marché avec cet instrument de conquête client.

L’épargne ? Les Français disposent des Livrets A, LDDS et surtout LEP, réglementés, dont les taux répondent à des formules mathématiques. Appliqués au 1er août dernier sur le stock, la FBF estime « un gain de pouvoir d’achat de 8,4 milliards d’euros pour des millions de Français »... Si son rendement n’est pas vraiment positif au regard de l’inflation, au moins l’épargne réglementée offre-t-elle une sécurité.

Finalement, selon l’Indice de l’Inclusion financière globale de Principal Financial Group, en partenariat avec le Centre pour la recherche économique et commerciale, la France est le 23e pays le plus inclusif financièrement, sur 42 marchés analysés à l’échelle mondiale. Une position paradoxale au regard des efforts fournis, mais comparable à celle d’autres pays d’Europe, dont le Royaume-Uni. Aucun ne figure dans le top 10 du classement.

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À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº874