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Dossier - Union bancaire

Créé le

17.02.2023

-

Mis à jour le

26.12.2023

En dépit de l’absence de consensus politique, le mandat donné à la Commission européenne pour la révision du cadre “Crisis Management Deposit Insurance” (CMDI) pourrait être plus ambitieux qu’il n’y paraît.

« Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que, dans une étape immédiate, le travail lié à l’Union bancaire doit se concentrer sur le cadre commun de gestion des crises bancaires et les procédures de garantie nationale des dépôts. » Dans sa déclaration du mois de juin 2022 sur le futur de l’Union bancaire, l’Eurogroupe a donné mandat pour une évolution des règles européennes sur des sujets précisément délimités, prenant acte, en creux, d’un désaccord sur le reste.

Le champ de discussions de l’Eurogroupe a été en effet pensé de façon à s’articuler sur quatre axes : renforcer le cadre de gestion des crises bancaires en Europe, créer une protection commune plus robuste pour les déposants, faciliter un marché unique des services bancaires plus intégré, et encourager une diversification plus importante des banques quant à leur exposition aux dettes souveraines domestiques.

Un accord si difficile à trouver

Ce que d’aucuns, selon une autre perspective, nomment également les « trois piliers » de l’Union bancaire, avec, bien souvent, la référence au « troisième pilier », qui reste « manquant » : le projet EDIS (European Deposit Insurance Scheme). Las, si l’Eurogroupe réaffirme son ambition d’aller vers davantage de solidarité au niveau européen, ce projet suscite encore bien des réticences nationales, à l’instar du ministre des Finances allemand Christian Lindner. Pour ce dernier, c’est un non, clair et net, à toute forme de mutualisation des fonds de garantie nationaux.

De la même façon, l’exposition des banques à leur dette souveraine domestique, thématique qui fait partie intégrante du processus de réflexion et de négociations sur l’Union bancaire, n’a pour l’heure pas fait l’objet d’un consensus officiel.

Le pas qui doit être franchi concerne « uniquement » à ce jour l’élargissement du périmètre du cadre CMDI (Crisis Management and Deposit Insurance) à des établissements de petite et moyenne tailles et une harmonisation européenne des procédures nationales de garantie des dépôts, soit la Bank Recovery and Resolution Directive (BRRD) et la Deposit Garantee Schemes Directive (DGSD). À charge pour la Commission européenne de préparer une proposition, qui devrait être publiée très prochainement.

« Il s’agirait donc d’une harmonisation minimale concentrée sur les points clés, afin de faciliter les procédures administratives de résolution ou de liquidation », commente la Banque Centrale Européenne, par la voix d’Édouard Fernandez-Bollo, membre du Conseil de surveillance prudentielle.

Des modifications substantielles

Cette étape, pour circonscrite qu’elle soit, pourrait s’avérer plus ambitieuse qu’il n’y paraît. Toujours est-il qu’elle suscite craintes et inquiétudes, car elle impliquerait des modifications substantielles des règles du jeu en cas de défaillance des LSI (Less Significant Institutions). Ce dernier point a son importance quand on sait que le secteur bancaire allemand, par exemple, est très majoritairement constitué de ce type d’établissements.

La proposition demandée par l’Eurogroupe en cours de préparation pourrait explorer d’autres sujets qui soulèvent des réticences. La redéfinition du test d’intérêt public (Public Interest Assessment) est le premier d’entre eux, avec la difficulté d’apprécier au plus juste les conséquences d’une faillite bancaire, alors que cette appréciation diffère selon le point de vue adopté : celui d’un petit pays membre ou celui des instances européennes.

Il s’agirait de déterminer dans quelles situations le recours à la résolution peut se révéler possible et profitable, selon la règle du « least-cost test », qui serait harmonisé, afin d’éviter les sauvetages de banques défaillantes à géométrie variable, et parfois via un renflouement étatique, parce qu’elles ne sont pas de taille suffisamment significative pour entrer dans le cadre de résolution européen, mais sont jugées primordiales pour le tissu économique local.

L’éligibilité à la résolution implique la question du renflouement de ces établissements. Ils pourraient faire face à des exigences accrues en termes de MREL (Minimum Requirement for own funds and Eligible Liabilities) et, partant, peut-être obérer une partie de leur profitabilité. Cette question se fait d’autant plus pressante si l’on envisage qu’ils n’auront pas suffisamment de ressources pour se conformer aux procédures de bail-in telles qu’elles sont aujourd’hui appliquées pour les entités de taille plus importante. D’où l’idée d’un recours aux fonds de garantie des dépôts dès cette phase. « Élargir la résolution sans élargir notre capacité à mobiliser les fonds existants provoquerait une impasse », souligne Édouard Fernandez-Bollo.

La crainte d’avoir à trop payer

De fait, si les fonds de garantie sont amenés à renflouer de façon plus élargie les banques en cas de défaillance, la « hiérarchie des dépôts » actuellement mise en œuvre est à repenser. Cette idée fait craindre à certains acteurs européens, qui ont déjà largement contribué au fonds de résolution unique par exemple, d’avoir à payer pour de petites entités impécunieuses. D’où l’alternative parfois assenée : soit les banques ont de quoi produire des MREL, soit il faut les sortir du marché.

Ainsi, cette réorganisation n’est pas toujours perçue d’un très bon œil et les instances européennes ont conscience de ces inquiétudes. C’est pourquoi la volonté d’agir bien avant la défaillance est réaffirmée avec force par Édouard Fernandez-Bollo : « Il est nécessaire d’utiliser le plus en amont possible les outils à disposition en cas de détérioration de la situation financière. »

Décidé à avancer malgré tout, l’Eurogroupe a donc renoncé à son approche globale pour une méthode plus pragmatique, et plus progressive. Cette prochaine étape serait alors susceptible de rassurer ceux qui craignent qu’une telle harmonisation ne les pénalise et de démontrer qu’une plus grande solidarité peut être bénéfique pour tous et pour chacun.

Dans un premier temps, la priorité est à la réaffirmation de la résolution comme instrument prioritaire de stabilité financière et gage d’une solidarité européenne. L’horizon reste bien entendu le parachèvement de l’Union bancaire et, logiquement, la mise en place de ce qui reste le grand absent de cette étape : le fonds de garantie européen.

Consolidation et marché intégré

D’ailleurs, en dépit des craintes qui peuvent parfois s’exprimer sur tel ou tel point de l’Union bancaire, celle-ci demeure en France un objectif désirable et sans doute attendu. L’intérêt d’un marché intégré qui permettrait davantage d’équité entre des établissements comparables est dans les esprits, tout comme l’opportunité de mouvements de consolidation plus importants. Si cette consolidation n’est pas un horizon souhaité par tous les établissements européens, elle n’en revêt pas moins d’importance face au défi de financer la transition de l’Europe vers une économie plus verte et face à la concurrence des banques américaines. Les établissements implantés dans plusieurs États y voient également la possibilité d’une meilleure circulation des liquidités d’un pays à l’autre.

C’est là qu’intervient le « pendant », en quelque sorte, de l’Union bancaire, celle du marché des capitaux qui souffre, elle aussi, d’un défaut d’accord politique. À ce propos, les banques en appellent à une approche plus « pragmatique » : puisque l’accord politique global n’est pas atteignable aujourd’hui, il faudrait progresser sur d’autres points, comme la relance de l’activité de titrisation. Nombre d’acteurs européens en attendent beaucoup, dans l’expectative de créer une force de frappe suffisante pour financer les défis économiques qui se posent aujourd’hui de façon de plus en plus urgente.

Mais à l’aune des procédures au long cours de l’Union européenne, c’est déjà une autre histoire...

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº878
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