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L’Allemagne entre
jardins à la française
et terres de bocage

Créé le

16.02.2023

-

Mis à jour le

24.03.2023

Afin de financer le Green Deal européen, le ministre allemand des Finances Christian Lindner prend fait et cause pour la relance de la titrisation. En revanche, pour bloquer la garantie européenne des dépôts, il soutient les banques publiques, contre les privées.

« Les progrès sont trop lents et le temps presse » : Christian Sewing, le directeur général de Deutsche Bank et dirigeant de la Fédération bancaire allemande, a pris avec cette formule la tête d’une campagne pour accélérer l’intégration européenne du marché des capitaux. Le message délivré en commun avec la Fédération bancaire française (FBF, actionnaire de La Revue Banque) s’appuie sur l’urgence des dépenses requises pour la transition énergétique en Europe. « Les investissements nécessaires sont énormes », a-t-il encore rappelé lors des vœux de Nouvel an de la Deutsche Bank, le 8 février. L’État ne pourra tout faire mais « les banques non plus ».

Selon les calculs de la banque publique allemande d’investissement, la KfW, 190 milliards d’euros par an seront nécessaires pour atteindre la neutralité climatique en Allemagne d’ici 2045. Le secteur bancaire peut « probablement absorber la moitié voir un peu plus », mais il manquera encore entre 200 et 400 milliards d’euros, calcule Christian Sewing.

Face à cette « tâche colossale », le dirigeant de la première banque allemande plaide pour un renouveau du marché de la titrisation, également réclamé par les banques françaises. En transformant les crédits en titres financiers, elle « permet de faire de la place dans les bilans des banques pour de nouvelles affaires », rappelle Christian Sewing. Cette campagne est reprise en Allemagne par la Bundesbank et par le ministre libéral des Finances, Christian Lindner.

« Une véritable Union des marchés des capitaux devrait être une partie essentielle de notre réponse à l’Inflation Reduction Act des États-Unis », explique le ministre dans une récente interview au Börsen Zeitung. Dans ce contexte, il appelle à « une évaluation » des restrictions actuelles sur cet instrument qui « permet de répartir les risques sur l’ensemble des marchés ». La titrisation n’est « pas nuisible en soi » malgré sa réputation depuis la crise des subprime aux États-Unis, assure le ministre. « Je ne demande pas de proposition législative », précise-t-il, mais de « lancer un débat ».

Les banques allemandes se sont rangées comme un seul homme derrière ce retour de la titrisation. La Commerzbank par exemple salue « expressément les efforts du ministre des Finances, en collaboration avec la France pour relancer le marché européen de la titrisation ». Le directeur allemand de BNP Paribas, Lutz Diederichs, s’est lui aussi joint à la campagne pour cueillir ce fruit mûr. « Comme il manque malheureusement encore une volonté politique d’achever l’union des marchés des capitaux dans l’UE, les régulateurs doivent chercher des mesures qui promettent des succès rapides, et la relance de l’activité de titrisation en fait partie », souligne le banquier dans le Handelsblatt.

En pratique, la Fédération des banques privées allemandes, la BdB, plaide notamment pour alléger les obligations de reporting et pour ne pas augmenter « de manière disproportionnée les pondérations de risque de certaines titrisations à faibles risques ».

Bâle 3 : une surcharge pour les banques publiques

L’unité franco-allemande s’affiche également lors des négociations à Bruxelles à propos de la transposition de l’accord Bâle 3 en droit européen. À Francfort comme à Paris, les banques plaident pour exclure le crédit immobilier du calcul des risques dans le bilan des banques.

La question est particulièrement sensible pour les caisses d’épargne allemandes, qui représentaient 31,4 % du marché en 2021 (99,4 milliards d’euros), et les banques coopératives, qui en couvrent 25,6 % (81,1 milliards). Leur fédération commune, la Deutsche Kreditwirtschaft (DK), salue donc le fait que le Conseil et le Parlement européens soient « prêts à prendre en compte les spécificités européennes », dont le crédit immobilier et la situation des « entreprises qui ne disposent pas d’une notation externe ».

La position allemande est marquée sur ce point par le rôle économique et politique des banques régionales, des caisses d’épargne et des banques coopératives, ces deuxième et troisième « piliers » du système bancaire allemand. « Les Volksbanken et les Raiffeisenbanken sont les banques des PME », ce Mittelstand de « 3,7 millions d’entreprises qui représentent presque la moitié de tous les investissements bruts » en Allemagne, souligne leur fédération, la BVR.

Celle-ci craint donc que les nouvelles obligations pèsent de manière « disproportionnée » sur ces banques et que les charges administratives contribuent à accélérer la consolidation du secteur. « La tâche politique des prochaines années est de faire en sorte qu’un “too small to survive” ne se transforme pas en un nouveau “too big to fail », prévient la BVR.

Garantie des dépôts : des obstacles politiques

La voix des banques locales et coopératives est très entendue à Berlin, y compris dans le cadre des négociations sur le troisième pilier de l’Union bancaire : la garantie commune des dépôts (EDIS). Le ministre des Finances allemand l’a enterré en grande pompe lors de la réunion de l’Eurogroupe en juin dernier, commentant à l’issue de la rencontre : « Il n’est pas question de communautariser les risques en Europe. »

Christian Lindner met surtout en avant la part des obligations d’État dans le bilan des banques privées, sujet sensible pour l’Italie, mais sur le fond aussi en Allemagne. Une garantie commune aurait « signifié qu’indirectement, les déposants allemands et les détenteurs de parts de coopératives allemandes auraient pu être tenus pour coresponsables du financement de l’État ailleurs ». Or, fait valoir la BVR, ces banques coopératives « ne sont pas des banques comme les autres ; sur leurs quelque 30 millions de clients, 18,4 millions sont également membres de leur coopérative ».

Christian Lindner défend également le système volontaire allemand de garantie des dépôts « qui a fait ses preuves ». Ce système constitué de deux fonds, l’un pour les banques publiques et l’autre pour les banques privées, a été mis en place depuis les années 1970 en Allemagne et va au-delà de la garantie légale européenne (100 000 euros par déposant et par banque).

Les banques privées ont déjà réduit leur pot commun géré par la BdB depuis la faillite de Greenshill, qui les a obligées à débourser trois milliards pour couvrir les pertes des clients de la banque anglo-australienne en mars 2021. La garantie des dépôts privés et institutionnels va être réduite progressivement d’ici 2030 et supprimée pour les déposants professionnels dès 2023.

Les deux grandes banques allemandes seraient plus favorables à une évolution du cadre européen. « Nous soutenons l’ambition de mettre en œuvre une garantie des dépôts au niveau européen, indique notamment Commerzbank. Nous aurions espéré depuis longtemps des progrès sur la voie d’un marché bancaire européen intégré. Toutefois, il existe actuellement des obstacles considérables qui doivent être surmontés au niveau politique », précise la banque. Elle aurait soutenu une démarche en deux étapes avec, dans un premier temps, un système de réassurance.

Les banques coopératives et caisses d’épargne s’accrochent en revanche à leur système volontaire de garantie illimitée, appuyée sur les fonds publics. La BVR a d’ailleurs l’intention de réformer son système afin que les risques de chaque établissement soient mieux pris en compte. Les 740 établissements mutualistes devraient voter cette réforme en juin. Les élus régionaux et locaux qui siègent dans leurs conseils de surveillance pèsent également de tout leur poids pour bloquer les progrès d’un système européen.

Le ministre des Finances a indiqué son sentiment dans une interview au Handelsblatt : « Je suis extrêmement réticent sur ce sujet. » Et Christian Lindner d’enfoncer le clou : « J’insiste expressément sur le fait que je suis également plus réticent que les banques commerciales privées allemandes et leur association bancaire. » 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº878
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