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Rétrospective 2020

Marchés et risque climatique : les dessous d’un mariage de raison

Créé le

18.12.2020

Les agents financiers se détournent des investissements carbonés, dans leur propre intérêt, provoquant un certain réalignement des intérêts climatiques et financiers.

Le 12 décembre 2020, cinq ans exactement après l'approbation de l’Accord de Paris, les 40 plus grandes sociétés cotées en France s’engageaient solennellement à appliquer en 2021 les recommandations du Groupe de travail sur la publication d'informations financières relatives au climat (Task Force on Climate-related Financial Disclosures – TCFD), présidé par l'ancien maire de New York, Michael Bloomberg.

Dépréciations brutales d’actifs

« Le soutien officiel des grandes entreprises françaises aux recommandations de la TCFD témoigne de leur prise de conscience de l'enjeu climat pour la durabilité de leur activité », s’est félicité Bruno Le Maire. Danone, Nestlé, Apple, Vinci, Microsoft, Bouygues, Total, y sont allés de leur couplet, proclamant leur ferme intention d'atteindre la neutralité en carbone d'ici à 2050. Quelques mois auparavant, les grands groupes pétroliers – Exxon, Chevron, BP, Shell, Total, etc. – avaient dû déprécier brutalement la valeur de leurs actifs pour faire face à la chute des prix du brut et du gaz, et s’intéresser, contraints et forcés, aux objectifs de l'Accord de Paris. « Les objectifs climatiques impliquent des changements rapides et brutaux dans la façon dont on produit et consomme : par exemple l’abandon de 33 % des réserves de pétrole, 49 % du gaz et 82 % du charbon en les laissant sous terre sans les brûler, détaille Jérôme Deyris, doctorant en économie au sein du laboratoire EconomiX, à l'Université Paris Nanterre. Mais aussi de fermer les centrales à charbon beaucoup plus tôt que ce qui était prévu lors de leur construction. » Des exemples parfaits d’actifs échoués, qui verront leur valeur décroître si la transition bas-carbone devait avoir lieu.

« Tragédie des horizons lointains »

La traduction de ce phénomène en termes financiers, c’est le « risque de transition », précise Jérôme Deyris. « En perdant de la valeur, les actifs échoués pourraient mettre en péril les flux de remboursement ou de profits futurs et entraîner la dévalorisation des entreprises responsables du changement climatique. Par conséquent, il devient rationnel pour les agents financiers de se détourner de ces investissements carbonés, et ce dans leur propre intérêt. Dans cette mesure, le risque de transition provoque un certain réalignement des intérêts climatiques et financiers. » Mais il faut se garder d’un optimisme béat, prévient l’économiste : ce réalignement reste très partiel. « Il peut demeurer rentable et rationnel de financer un investissement climaticide dès lors que le remboursement advient avant les pertes anticipées. » La « tragédie des horizons lointains » mise en avant par Mark Carney dans son discours de 2015… Les comportements individuels rationnels d’assurance face au risque que la transition n’ait pas lieu peuvent conduire collectivement à poursuivre le financement d’activités non compatibles avec les objectifs climatiques. « Si l’intégration progressive du risque de transition par les marchés est bénéfique pour la stabilité financière, cette dernière ne pourra suffire à réorienter suffisamment les flux financiers afin d’assurer la stabilité climatique », estime Jérôme Deyris.

 

Ils ont dit

Les fonds de pension : une source de capitaux pour le développement d’énergies renouvelables

Les fonds de pension détiennent plus de 25 000 milliards de dollars d’actifs, si bien que ces derniers constituent une source décisive de capitaux de long terme pour le développement d’énergies renouvelables à grande échelle. Les fonds publics de réserve pour les retraites tels que celui des fonctionnaires de l’État de Californie – un des plus grands au monde par encours – ciblent activement des projets d’infrastructure comme classe d’actif à part entière. Plusieurs grandes sociétés d’assurance à travers le monde se sont engagées à investir dans des infrastructures respectueuses de l’environnement. Mais au-delà de vanter les qualités écologiques d’un actif, il s’agit de démontrer sa performance financière corrigée des risques sur la durée.

Paul Baillet, analyste actifs alternatifs, J.P.Morgan, Revue Banque n° 841, p. 30.

http://www.revue-banque.fr/banque-investissement-marches-gestion-actifs/article/financement-energie-dans-perspective-des-invest

 

La finance privée n’est pas encore au rendez-vous

Depuis plusieurs décennies, des initiatives venant des acteurs privés, avec parfois le soutien d’acteurs publics, se sont efforcées de faire émerger une « finance verte » et plus largement une « finance durable ». Ces initiatives ont permis l’émergence et le développement rapide, notamment depuis 2015 et l’Accord de Paris, de financements en faveur de la transition bas-carbone (par exemple les Obligations vertes) et de coalitions d’investisseurs internationaux. Malgré d’indéniables succès, ce développement est resté nettement en deçà de ce qui serait nécessaire pour répondre au défi du changement climatique.

Michel Cardona, conseiller Senior, Secteur finance, risques et changement climatique, Institut for Climate Economics (I4CE), Banque & Stratégie n° 392, p. 28.

http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/quelles-reglementations-pour-financer-relance-vert

 

Une restructuration de la dette d’autant plus légitime quand elle s'accompagne d’investissements accrus dans la transition écologique

Le traitement des dettes publiques accumulées pendant la crise devra être abordé avec une attention particulière. En accord avec les États qui sont ses actionnaires via les banques centrales nationales, la BCE pourrait procéder, le moment venu, à une restructuration partielle de la dette qu’elle a rachetée et/ou à son cantonnement, comme l’a suggéré récemment le Gouverneur de la Banque de France. Ceci pourrait s’opérer de façon à soulager les comptes des pays dont les finances publiques auront été le plus impactées par la crise sanitaire et économique sans remettre en cause la capacité de la Banque Centrale à poursuivre son objectif de stabilité des prix. Une telle opération serait d’autant plus légitime qu’elle s’accompagnerait d’investissements accrus dans la transition écologique.

Alain Grandjean, président, Fondation Nicolas Hulot, économiste, Banque & Stratégie n° 392, p. 20.

http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/transition-ecologique-au-coeur-une-relance-europee

 

Les stress-tests climatiques ont vocation à devenir un outil courant d’analyse de risques

Les premiers exercices effectués doivent permettre de rendre cette pratique opérationnelle et facilement reproductible. L’exercice conduit par l’ACPR n’aura pas d’impact sur les exigences en fonds propres réglementaires des établissements. La priorité, pour le moment, est en effet d’analyser et de quantifier de manière systématique les risques qu’ils portent au regard de différents scénarios de transition. La diffusion de ce type particulier de stress-tests pourrait être encouragée par des évolutions de la réglementation prudentielle, notamment en Europe. Dans le cadre du Mécanisme de supervision unique (MSU), la BCE a publié au printemps, pour consultation, un projet de guide sur les risques climatiques et environnementaux précisant les attentes du superviseur vis-à-vis des établissements bancaires.

Nathalie Aufauvre, directrice générale de la Stabilité financière et des Opérations, Banque de France, Revue Banque n° 850, p. 18.

http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/les-stress-tests-apres

 

Stress-tests climatiques : un exercice intéressant à manier avec le recul nécessaire

Le succès de ces tests dépendra largement de la manière dont ceux-ci seront calibrés et utilisés. À horizon 2050, il s’agira moins de prévoir l’évolution précise de nos bilans que de tester des scénarios spécifiques sur l’impact du changement climatique. Les conclusions reposeront sur de nombreuses estimations et projections qui pourraient rapidement devenir obsolètes. La qualité des informations utilisées et des indicateurs de suivi retenus sera aussi primordiale. Sans données fiables et adéquates, le risque est de générer des résultats en trompe-l’œil, qui reproduisent les schémas du passé ou peinent à proposer de véritables scénarios prospectifs adaptés à notre industrie.

Thomas Buberl, directeur général, AXA, Revue Banque n° 850, p. 36.

http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/stress-tests-climatiques-un-exercice-interessant-m

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº851