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Dossier - Banques et refinancement de marché

Créé le

01.09.2023

-

Mis à jour le

26.12.2023

Pour rembourser les opérations de refinancement européennes TLTRO, en plus de renforcer le matelas de fonds propres et de dettes éligibles aux ratios prudentiels de résolution ou de liquidité, le besoin d’émettre de la dette est colossal, et il s’inscrit dans un environnement de récession, de taux élevés et de volatilité.

Malgré la déferlante de chocs depuis la crise du Covid-19, les banques européennes font preuve d’une plus grande résilience que lors des crises de 2007-2008 et de 2011-2012. Le fruit du rouleau compresseur réglementaire de Bâle 3, qui a assaini les systèmes bancaires, et de l’assouplissement quantitatif de la Banque Centrale Européenne (BCE). Grâce une solidité financière renforcée et à la confiance restaurée des investisseurs, les banques ont retrouvé leur pleine capacité à lever de la dette pour financer l’économie réelle, comme elles l’ont montré pendant la pandémie. Si les taux et les primes de risque sont revenus à leurs niveaux de la crise de la dette souveraine (2010-2013), les marchés sont aujourd’hui beaucoup plus porteurs. Dans l’Hexagone, « les banques françaises maintiennent un accès satisfaisant au financement de marché », observe la Banque de France dans son rapport sur l’évaluation des risques du système financier (ERS), qui précise que les six groupes nationaux ont bénéficié de conditions favorables pour émettre un montant élevé de titres en janvier et février 2023. À la mi-mai, ils ont déjà réalisé 60 % à 80 % de leur programme d’émissions. Selon Crédit Agricole CIB (Cacib), les banques européennes ont exécuté, à fin juillet, 71 % de leur plan de financement.

La fin des TLTRO, le nouveau paradigme

En 2022, elles ont anticipé le changement de paradigme marqué par la fin des opérations de refinancement de long terme (TLTRO) en émettant des dettes sécurisées. En forte hausse par rapport à 2021, les émissions d’obligations convertibles (covered bonds) flirtaient avec les 190 milliards d’euros en 2022 (voir graphique) contre 140 milliards pour la dette senior non privilégiée ou « préférée » (Non-Preferred Debt, SNP en anglais) et la dette émise par la Holding Company (HoldCo), ainsi regroupées par l’Autorité bancaire européenne car similaires dans la hiérarchie des créanciers. Selon Cacib, les covered bonds émis en Europe l’an passé ont atteint 207 milliards, le double de 2021. Sur un total de 2 336 milliards d’euros de TLTRO, 500 milliards ont ainsi été remboursés fin décembre.

« En 2023, la fin des TLTRO, la guerre sur les dépôts corporate et la pression sur les niveaux de liquidités affichés nourrissent les besoins de financement des banques et maintiennent les émissions de covered bonds et de dette senior preferred à un niveau élevé », explique Cécile Bidet, responsable des émissions de dette (DCM) pour les groupes financiers chez Cacib. Et de préciser que leur stock réglementaire d’instruments MREL (exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles) et TLAC (capacité totale d’absorption des pertes) ayant été atteint en 2022, les émissions cette année de dettes AT1, T2 et SNP sont destinées au refinancement d’instruments.

Les acteurs émettent certains types de dettes pour respecter les ratios prudentiels de résolution. Selon l’Autorité bancaire européenne (EBA), en 2021, les émissions de dettes éligibles au ratio MREL, fixé au minimum à 8 % des actifs pondérés par les risques (RWA), s’élevaient à 207 milliards, dont 18 milliards de dette senior préférée (9 %), 131 milliards de dette senior non préférée (63 %) et 58 milliards de dette subordonnée (28 %). Le TLAC agrégé des banques mondiales d’importance systémique (GSIB) européennes1 s’établit au premier trimestre 2023 à 30,6 %, bien au-dessus du matelas réglementaire de 18 % des RWA. Au fil des années, les institutions ont renforcé leur capital réglementaire composé des fonds propres de base de catégorie 1 (CET1), additionnels (AT1) et de catégorie 2 (Tier 2). Selon l’Association for Financial Markets in Europe (AFME), le capital CET1 a crû, de 529,2 milliards d’euros en 2013 à 724,9 milliards au premier trimestre 2023.

Les banques ont également recours aux « CoCos » (Contingent Convertible bonds). Pouvant être qualifiées de « fonds propres AT1 » selon certains déclencheurs liés aux fonds propres réglementaires et mécanismes d’absorption des pertes, ces dettes hybrides ont réussi à faire trembler les banques européennes lors de la fusion UBS-Credit Suisse. La réduction à zéro de la valeur des 16 milliards de francs suisses de CoCos AT1 de Credit Suisse a créé un vent de panique sur ce segment évalué à 255 milliards de dollars en Europe, les détenteurs de CoCos étant en général remboursés avant les actionnaires en cas de faillite. « À la suite de cet épisode de dépréciation qui, pour certains investisseurs, a pu remettre en question la hiérarchie des créanciers des obligations AT1, le marché des obligations AT1 a connu une interruption de trois mois, aucune émission n’ayant eu lieu entre le 6 mars et le 13 juin », observe l’AFME. Il aura fallu des communiqués des autorités européennes pour rassurer les investisseurs et rappeler la séniorité des détenteurs d’AT1 par rapport aux actionnaires.

La titrisation en berne

Les secousses liées aux crises de mars dans le contexte de récession, de taux élevés et de fin des TLTRO risquent de compliquer le respect des ratios de liquidités NSFR (Net Stable Funding Ratio) et LCR (Liquidity Coverage Ratio). « À cause des tensions et de la volatilité accrue des marchés post-crise américaine et suisse, les banques procèdent moins à des remboursements anticipés de TLTRO et vont être plus lentes pour atteindre leurs cibles de ratios de liquidités LCR et NSFR », note Cécile Bidet. L’EBA explique que les entités ayant des encours élevés de TLTRO prévoient des baisses plus importantes de leurs ratios de liquidité que celles qui n’en ont pas. Le LCR des GSIB européens s’est d’ailleurs érodé de 152,5 % en 2021 à 145 % en 2022. Le choix des instruments de financement s’avère donc crucial. Alors que l’AFME relève une hausse de la part de la dette inférieure à un an, de 22 % au deuxième trimestre 2022 à 24 % à celui de cette année, dans la dette totale des GSIB européens, une enquête de l’EBA (auprès de 85 banques de l’UE au printemps 2023) montre que ceux-ci envisagent de recourir davantage aux dépôts des particuliers et des entreprises d’ici au printemps 2024, les dettes seniors restant des outils prioritaires et les covered bonds importants. Connotée négativement depuis 2008, la titrisation devrait être très peu utilisée.

« Associé à tort à la crise des subprimes, le marché des titrisations en Europe a fait preuve d’une résilience remarquable face aux évolutions réglementaires et aux pires scénarios de marché depuis 2000, les ABS (Asset-Backed Securities) et RMBS (Residential Mortgage-Backed Securities) européens traditionnels n’ayant pratiquement pas subi de perte », souligne Alexandre Vigier, Global Head of Financial & Operating Asset Securitisation chez Cacib. Pour autant, l’expert en titrisation estime que le développement du marché, malgré le label de qualité STS (simple, transparente et standardisée), reste notamment freiné par les règles de reporting côté banques, et de due diligence côté investisseurs, qui nécessitent d’importants investissements.

« Le marché européen de la titrisation reste déprimé tandis que d’autres grands marchés de capitaux mondiaux récoltent les fruits économiques de cet outil de financement », constatait Adam Farkas, directeur général de l’AFME dans un communiqué en juin, rappelant que les banques peuvent, via la titrisation, « aider à financer la croissance économique en libérant leurs bilans pour faciliter les prêts ». Selon l’AFME, en 2022, les émissions de titrisations de l’UE pesaient 0,3 % de son PIB, contre 1,4 % aux États-Unis et 1,8 % en Chine. En zone euro, elles servent en grande partie à accéder à la liquidité de l’Eurosystème. Selon Alexandre Vigier, une partie importante des titrisations d’ABS et de RMBS sont auto-souscrites par les banques depuis 2007 pour transformer les portefeuilles de prêts à la consommation ou à l’habitat en tranches seniors éligibles aux opérations de refinancement de la BCE. En 2022, sur environ 200 milliards d’euros d’émissions de titrisations, 80 milliards ont été placés sur les marchés et 120 milliards ont été retenus (soit un taux de rétention de 60 % contre un pic de 94 % en 2009, ndlr). Le spécialiste ajoute que les titrisations de transfert de risque significatif (SRT), dont les titrisations synthétiques, qui sont très réglementées, sont de plus en plus utilisées par les banques comme outil de réduction du besoin de capital.

La fin 2023 ne devrait pas être moins favorable aux banques que le début d’année. « Après un bon premier semestre, les marchés de covered bonds longs et des AT1 se sont refermés à l’été. Les investisseurs qui ont acheté en période de taux bas des titres de très longues maturités pour capter plus de rendement ne veulent pas être pénalisés en mark-to-market en cas de nouvelle remontée des taux », indique Cécile Bidet. Selon l’experte, le segment des covered bonds de maturités courtes (deux à quatre ans), qui servent de tampon face à la volatilité des dépôts à vue, fonctionne mieux. Le marché AT1 s’est toutefois rouvert le 13 juin avec les émissions de BBVA et Bank of Cyprus. Le marché de la titrisation, lui, devrait pouvoir tourner la page BCE. « Le retour d’anciens investisseurs et l’émergence de nouveaux investisseurs en ABS et RMBS dans le contexte de hausse des taux et des spreads viennent cependant compenser le trou d’air créé par l’arrêt en mars des achats de la BCE », remarque Alexandre Vigier.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº884
Poussée des émissions de covered bonds en 2022
$!Dossier - Banques et refinancement de marché
Le marché des titrisations européennes peine à se développer
$!Dossier - Banques et refinancement de marché
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