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Secrétaire générale de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

« Mon prochain cheval de bataille, ce sont les plans de transition »

Créé le

15.09.2023

-

Mis à jour le

26.09.2023

À la tête de l’ACPR depuis début 2023, Nathalie Aufauvre répond sans détour aux questions de Revue Banque : Bâle 3, gestion
des crises, protection des dépôts, risque climatique... Elle aborde aussi la finance désintermédiée et le secteur non bancaire,
dont les développements et les interactions avec les banques
et les assurances sont suivis de près par le superviseur.

Vous avez pris vos fonctions en janvier. Quelles sont les priorités à votre agenda pour la fin 2023 ?

Notre priorité immédiate, c’est l’aboutissement du règlement sur les exigences en capital des banques, CRR3 (Capital Requirements Regulation) et de la directive liée, CRD6 (Capital Requirements Directive), pour la transposition en droit européen des règles de Bâle 3. L’accord provisoire auquel le Conseil et le Parlement européens sont parvenus le 27 juin nous satisfait : il prend en compte les positions que nous avions portées au cours des négociations, en conservant la lettre et l’esprit du Comité de Bâle, tout en respectant les spécificités européennes.

En particulier, le projet prévoit l’application du plancher en capital, l’output floor, sur base consolidée au niveau national, évitant de ce fait de pénaliser fortement les groupes français avec une forte concentration des risques modélisés dans quelques filiales ; cette application consolidée est ainsi plus adaptée à la mise en œuvre des modèles internes. Nous y sommes favorables parce que les modèles internes permettent de mieux prendre en compte la diversité des risques des établissements. Par ailleurs, le caractère transitoire proposé pour certaines dispositions européennes est conservé, ce qui nous semble important pour assurer une transposition progressive et pragmatique des accords de Bâle 3.

Nous espérons un paquet législatif adopté d’ici à la fin de l’année. Le Royaume Uni et les États-Unis viennent également de rendre publiques leurs propositions de transposition. Finalement le temps pris par l’Europe pour élaborer ses textes permet aujourd’hui de s’assurer d’une transposition aussi homogène que possible au plan international.

En matière de titrisation, les propositions d’assouplissements, notamment prudentiels, des représentants des banques – françaises (FBF, actionnaire de La Revue Banque), italiennes (ABI), allemandes (BdB) et des Pays-Bas (NvB) – vont-elles aboutir ?

Le traitement prudentiel européen de la titrisation peut être amélioré. Nous attendons le texte définitif du compromis sur CRR3, qui pourrait permettre de corriger certains défauts du dispositif actuel, à partir des propositions faites par le Parlement européen. Alors que la titrisation était jusqu’ici encore marquée négativement par la crise de 2008, les besoins de financement colossaux liés à la transition climatique et à la transition énergétique semblent avoir fait bouger les lignes. Le contexte de taux d’intérêt plus élevés, qui permet de rétablir une marge de rémunération dans les montages de titrisation, est également favorable au redémarrage de ce marché : les planètes sont donc alignées pour que le dossier avance dans le bon sens. Nous espérons retrouver la proposition du Parlement européen dans le compromis final.

Nous allons aussi travailler durant le second semestre sur le projet de directive sur la gestion des crises et la protection des dépôts, CMDI (Crisis Management and Deposit Insurance, NDLR), publiée en avril ; elle vise à améliorer le dispositif européen de gestion de crise et propose notamment un élargissement du dispositif de résolution à des établissements de moindre taille. L’objectif de ce texte est largement partagé mais il reste beaucoup à faire sur le plan politique pour s’accorder sur les modalités.

L’Union bancaire peut-elle vraiment se concrétiser ?

Le « troisième pilier », la garantie des dépôts mutualisée, est complètement gelé. Il n’y a pas d’accord politique sur ce sujet et les systèmes bancaires restent assez hétérogènes en Europe. Mais la gestion des crises bancaires est un moyen d’œuvrer pour faire avancer l’Union bancaire, c’est pourquoi ces textes et le projet CMDI sont importants. Ce chantier doit progresser. La présidence espagnole le conçoit comme un point important de son programme. Le Parlement veut aussi s’y pencher dès cet automne.

Too big to fail... Pourra-t-on un jour dépasser le sauvetage par les pouvoirs publics d’un établissement trop important pour faire faillite ?

Il faut d’abord préciser que le secteur bancaire européen se montre très résistant. Mais les faillites récentes aux États-Unis et le dossier Credit Suisse montrent qu’il faut rester vigilant. Malgré les mesures prises depuis 2008, une faillite bancaire est en effet encore possible.

Dans le cas de Credit Suisse, les autorités ont hésité à appliquer le cadre de résolution à une banque d’importance systémique mondiale (Global Systemically Important Banks, G-SIB). Et ont finalement opté pour la reprise de Credit Suisse par UBS, aboutissant à une banque encore plus importante. La question du « too big to fail » n’est donc pas derrière nous. C’est pourquoi nous devons continuer d’améliorer le dispositif de résolution pour le rendre totalement opérationnel. En particulier, comment répondre aux besoins de liquidité en cas de résolution ? Quel instrument mettre en place ? Une ligne de liquidité de la Banque centrale européenne (BCE), avec quels mécanismes de garantie ? Et quel rôle du mécanisme européen de stabilité (MES) ?

Pour opérationnaliser le dispositif, il conviendrait également de mieux considérer la possibilité de transferts/cessions d’activités profitables. Le cadre doit le permettre, pour agir plus vite et plus efficacement.

Pour les plus petites banques, comment le dispositif serait-il financé ? Certains établissements considèrent déjà leurs contributions au Fonds de résolution unique (FRU) comme des taxes...

Si le périmètre de la résolution est élargi à des banques de taille moyenne, l’appel au FRU ne devra pas se traduire par l’augmentation des contributions actuelles, dont les dernières versées en juin. La question des ressources futures pourrait logiquement conduire à repenser la clé de répartition. La proposition de la Commission européenne a suscité de nombreuses réactions. Nous aimerions un accord au sein du Conseil au premier semestre 2024, mais l’échéance est assez théorique. Nous soutenons les positions du Trésor sur un élargissement du périmètre de résolution à ressources constantes avec une révision de la clef de répartition pour le financement du FRU, et sur la possibilité de préparer des transferts d’activité de telles banques en crise vers des banques saines afin d’assurer une sortie du marché cohérente et sans heurt, banques qui devraient par ailleurs se voir imposer une capacité d’absorption des pertes aux fins d’une meilleure protection de leurs déposants.

Il y a un an, les fonds de pension britanniques ont révélé les lacunes de l’organisation des marchés financiers post-2008. Faut-il réglementer le secteur non bancaire ?

Le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board, FSB en anglais) y travaille, en lien notamment avec l’EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority) et le Comité de Bâle. Les événements de l’automne dernier montrent que les risques liés aux activités des institutions financières non bancaires (NBFI) sont croissants avec un impact extrêmement rapide sur les besoins de liquidités des différents acteurs. Nous devons mieux connaître les positions et interactions entre acteurs bancaires et non bancaires et mettre en place des instruments plus efficaces, y compris, le cas échéant, macroprudentiels, à l’image de ce qui a été développé pour le secteur bancaire depuis 2008.

La France est assez isolée sur ce dernier point mais je pense que nos thèses progressent peu à peu, à la lumière des dernières crises : la crise de septembre dernier au Royaume-Uni a montré les limites d’une gestion au niveau individuel de la liquidité des fonds en période de stress.

De même, l’envolée des appels de marge sur les contrats à terme sur les marchés de l’énergie à la suite de l’invasion de la Russie en Ukraine a provoqué des fortes tensions sur la liquidité de certains acteurs et nécessité, dans un certain nombre de pays, un soutien des États ou des apports en liquidité de la Banque centrale.

Cela a révélé le caractère systémique des positions accumulées par certains acteurs, comme les fonds de pension, les chambres de compensation qui concentrent de plus en plus de flux ou même certains gros acteurs industriels.

Mettre en place une boîte à outils pour mieux gérer ces risques de liquidité mais aussi de marché et de crédit nécessite une autorité à même de l’activer. En France, nous avons le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF).

Les décisions du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) sont toujours très commentées. Y a-t-il un risque de crédit dans les banques françaises ?

Pour rappel, c’est le Gouverneur de la Banque de France qui est membre du HCSF et a la prérogative des propositions concernant les mesures macro-prudentielles. Le HCSF poursuit plusieurs objectifs. Avec la réserve de protection du crédit (coussin contra-cyclique) portée à 1 %, son objectif est de protéger le secteur bancaire en cas de retournement du cycle financier. En outre, l’endettement des entreprises et des ménages s’est accru fortement en France au cours des 10 dernières années. Cette dette pourrait être plus difficilement remboursable et pourrait in fine grever les résultats des banques. Cela justifie les décisions du HCSF sur les grands risques des institutions systémiques, conformément à l’article 458 du CRR fixant un plafond à l’octroi par les banques de nouveaux crédits aux entreprises très endettées lorsque les encours de prêts à ces entreprises dépassent 5 % de leurs fonds propres. Ce dispositif arrivant à terme, le HCSF lui a substitué fin juillet un coussin pour le risque systémique sectoriel de 3 %, s’appliquant aux banques exposées aux entreprises très endettées.

Le HCSF est aussi intervenu sur le crédit immobilier, avec pour objectif de s’assurer que les banques ne dégradent pas les conditions d’octroi, pouvant mener les ménages à des difficultés de remboursement, sans pour autant diminuer l’accès au crédit. L’ACPR s’assure de la bonne application de cette norme par les banques. Ces mesures n’ont pas ralenti la distribution du crédit à l’habitat en 2022, puisqu’il a continué de croître plus vite que le Produit intérieur brut (PIB) mais ont fortement assaini les conditions d’octroi sur le marché du crédit en France. L’actuel ralentissement de la production s’explique principalement par une baisse de la demande dans un contexte de taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Enfin, des mesures techniques ont été prises pour faciliter la gestion par les banques de ces normes, en particulier le différé entre l’accord de crédit et le déblocage des fonds.

Régulation et supervision...

Le mécanisme de supervision unique (MSU) et les autorités de supervision nationales peuvent paraître intrusifs, mais les banques reconnaissent qu’ils poussent à une gestion plus forte des risques, au contraire des États-Unis. Confiance mais vigilance, c’est le message de l’APCR.

Que faut-il retenir des résultats, publiés fin juillet, des tests de résistance (stress-tests) 2023 menés par l’Autorité bancaire européenne (EBA) ?

Le scénario adverse retenu pour ces tests n’a jamais été aussi sévère et s’appliquait à une année 2022 déjà marquée par une hausse historiquement rapide des taux d’intérêt. Le secteur européen affiche globalement une bonne résistance à ce scénario avec un ratio de fonds propres en moyenne ramené à 10,3 %. En France, la contraction des fonds propres est plus prononcée. Cela s’explique par notre modèle de prêts à taux fixes ainsi que par l’importance de l’épargne réglementée. Il en résulte un ajustement plus lent du niveau des taux d’intérêt à l’actif qu’au passif des banques françaises. Sur le premier trimestre 2023, les marges nettes d’intérêt des banques se sont ainsi pincées, ce qui justifie notre vigilance, mais nous estimons que ce tassement n’est que provisoire. La hausse des taux actuelle a été brutale, mais elle est globalement favorable aux banques.

Il n’y a pas de remise en cause du modèle français ?

Nous considérons notre modèle comme protecteur. En période de remontée des taux d’intérêt, les ménages et les entreprises bénéficient de taux fixes, ce qui protège aussi les banques contre le risque de défaut qui serait provoqué par un brusque renchérissement du coût de la dette. Du fait d’un marché très concurrentiel, ils bénéficient aussi de taux de crédit plus faibles que dans la moyenne des autres pays européens. Au total, ce modèle a fait ses preuves. Mais l’ajustement rapide du taux de l’épargne réglementée, notamment du fait de son indexation à l’inflation, a été défavorable aux banques françaises, comparé à leurs homologues européennes. Ce mouvement s’opère en outre au détriment des dépôts à vue, qui ne sont pas rémunérés en France. La décision récente de stabiliser le taux du livret A à 3 % est donc bienvenue dans ce contexte.

Le contexte est aussi celui de la transition climatique. L’ACPR a lancé un second stress-test climatique pour l’assurance : quelles différences avec l’exercice de 2020 ?

L’ACPR avait été pionnière en lançant un exercice pilote de stress test climatique avec les banques et assurances en 2020-2021. L’an dernier, un stress test climatique a été également mené par le SSM auprès d’une centaine de banques à l’échelle européenne. Il a donc semblé pertinent de faire un nouvel exercice avec les assurances alors que les événements climatiques voient leur fréquence augmenter et engendrent des coûts importants voire des difficultés croissantes à assurer.

Ce stress-test est enrichi : il est plus granulaire, intègre davantage et de façon plus fine les risques physiques et nous avons ajouté un scénario de court terme permettant de s’intégrer dans l’horizon de projection habituel des entreprises. Cet exercice aboutira à une première mesure d’impact du risque climatique sur la solvabilité des assureurs, afin de poser éventuellement la question ultime de l’assurabilité et de la réassurance des risques.

C’est un exercice sur base volontaire mais nous constatons une forte participation des assureurs.

Les stress-tests climatiques sont en effet un outil pour les superviseurs, mais aussi pour les acteurs eux-mêmes.

En attendant, il y a des normes de reporting de durabilité, les European Sustainability Reporting Standards (ESRS)...

Disposer de données fiables est essentiel. Les entreprises vont commencer leurs déclarations, mais elles font face à un travail difficile pour créer des bases homogènes, récupérer et assurer la qualité des données. C’est une démarche indispensable. Mais il est aussi essentiel qu’ESRS européennes et normes internationales ISS soient interopérables. Nous n’en sommes pas loin sur le volet climat.

Avec ces données, nous allons donc disposer de la photo des risques et, avec les stress-tests, de la vidéo des risques à l’horizon de projection. Mais le plus important désormais, c’est de développer les plans de transition et de définir les jalons d’une trajectoire de décarbonation. Ces plans devront être crédibles et cohérents afin que nous, superviseurs, puissions nous en saisir et exercer notre jugement sur la gouvernance, l’impact sur les business models... Cela va transformer la façon de travailler des banques concrètement et participer à la transition de l’ensemble des secteurs qu’elles financent. Par exemple, comment proposer aux particuliers des crédits suffisamment favorables pour les inciter à isoler leur logement : c’est très concret pour les banques et assurances ?

Mon prochain cheval de bataille, ce sont donc les plans de transition. La Commission européenne a demandé à l’EBA d’y travailler et nous participons activement à ces travaux. Il faut définir comment intégrer les plans de transition dans le pilier 2, de façon concrète, dans le cadre de l’exercice d’évaluation annuel des banques (SREP). Il ne s’agit pas nécessairement d’ajouter une nouvelle catégorie de risques, les risques climatiques, mais plutôt de les intégrer dans les briques existantes : gouvernance, business model et gestion des risques.

Dans un autre registre, que faut-il retenir de la consultation de l’ACPR en matière de finance désintermédiée, pour une réglementation de la DeFi ?

« Désintermédiée » est en effet un terme que nous préférons à celui de finance « décentralisée » étant donné le niveau élevé de concentration observé dans cet écosystème. Nous avons déjà un dispositif réglementaire en France qui encadre l’activité des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) depuis la loi Pacte et qui vient d’être renforcé.

Dans 18 mois, la réglementation européenne MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation) sera mise en œuvre au plan européen et remplacera le dispositif actuel avec des exigences supérieures, notamment un agrément obligatoire. Mais ce règlement ne traite pas de la finance décentralisée : ses développements étaient trop récents pour être embarqués dans MiCA. Un MiCA 2 sera nécessaire pour la prendre en compte car nous ne pensons pas raisonnable de parier sur sa disparition en dépit de la crise récente des crypto-actifs. Il faut donc réfléchir à la manière d’encadrer une activité ainsi désintermédiée. C’est l’objet de notre consultation publique du printemps.

Nous avons proposé une première analyse avec trois niveaux de pistes réglementaires :

- Le niveau de l’infrastructure technique. Comment s’assurer de la solidité de la blockchain ? Quelle alternative entre sécuriser une blockhain publique ou en créer une privée ?

- Le niveau du code. En matière de smart contract, par exemple, faudrait-il une certification ?

- L’interface avec les clients. Quelles exigences pour le KYC (Know Your Customer, NDLR), la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCBFT), etc. ? Faudrait-il encadrer la gouvernance des plateformes pour limiter les effets de concentration et protéger les intérêts des consommateurs ?

Nous souhaitons utiliser le résultat de cette consultation pour participer à la réflexion de la Commission européenne sur la prise en compte de la finance décentralisée. Il est en effet prévu un rapport d’étape de MiCA, après six mois de mise en œuvre.

À propos de LCBFT, qu’attendez-vous de la future Anti Money Laundering Authority (AMLA) pour l’ensemble du secteur financier ?

L’AMLA constituera une brique importante pour coordonner la LCB/FT et la rendre plus efficace. Reste à connaître ses moyens, et ceux des autorités nationales pour se coordonner. Pour se préparer, il faut aussi bien définir l’articulation avec l’EBA et Tracfin.

Même si cela semble compliqué et long, l’habitude est prise de travailler entre Européens : nous avons le même langage, les mêmes procédures, un fonctionnement en réseau, nous nous connaissons les uns les autres. Ce sera vrai pour l’AMLA. Les processus peuvent sembler longs mais aboutissent comme le montrent les précédents de la BCE, MSU, Bâle 3... avant les Américains.

Propos recueillis par Sylvie Guyony,
le 11 septembre 2023

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº884
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