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Frédéric Jacob-Peron, président,
et Françoise Palle Guillabert, délégué général, Association française des sociétés financières (ASF)

« Prendre en compte les caractéristiques
des financements spécialisés
avec des règles proportionnées »

Créé le

13.04.2023

-

Mis à jour le

25.04.2023

Les adhérents de l’Association française des Sociétés Financières (ASF) financent entreprises, professionnels et ménages. Ils opèrent aussi dans les services financiers et d’investissement. S’ils se distinguent des banques, notamment parce qu’ils ne collectent pas ou peu de dépôts, ils sont soumis à des contraintes réglementaires comparables.

La Commission européenne réexamine depuis l’an dernier la directive sur les marchés d’instruments financiers (Mif 2) en vue d’une « stratégie d’investissement de détail ». Quelle est la position des prestataires de services d’investissement ?

L’ASF compte 46 membres prestataires de services d’investissement, historiquement d’anciennes charges d’agents de change. Plus petits que d’autres membres de l’Association française de la gestion financière (AFG), ils bénéficient aussi de la convention collective de l’ASF. Certains sont à la fois à l’ASF et à l’AFG.

Concernant la rémunération des distributeurs, nous estimons qu’il faut laisser le choix aux clients entre rétrocommissions et honoraires, selon le type de gestion, respectivement active ou passive. Dans cet esprit, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a préparé un avis, assorti notamment de nouvelles propositions de transparence sur les frais et de pédagogie, afin de l’adresser à Bruxelles après sa réunion plénière, mi-avril.

La commissaire aux services financiers, Mairead McGuinness, voudrait interdire les rétrocommissions. Y a-t-il un consensus des pays membres à ce sujet ?

Mme McGuinness voudrait en effet porter à son bilan l’interdiction des rétrocommissions. Mais le sujet n’est pas consensuel à Bruxelles, y compris parmi les commissaires. La publication de la décision a été reportée à mai 2023, avant les échéances électorales européennes de 2024.

La position française est largement partagée au niveau européen. Seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni (sorti de l’Union européenne, UE) ont choisi un modèle exclusivement d’honoraires. On peut y constater que les petits investisseurs n’ont finalement plus accès au conseil. Dans l’UE, l’épargne est abondante et peut être orientée vers la transition énergétique. Le conseil en investissement est aussi important à cet égard.

Le règlement PRIIPS (Packaged Retail Investment and Insurance-based Products), comme Mif, est-il adapté pour orienter l’épargne vers les actions ?

Le problème est en effet le risque de décourager les particuliers à investir en titres. De fait, le questionnaire Mif est très anxiogène et même dissuasif pour l’investissement en actions. Or les jeunes ne sont pas si adverses au risque puisqu’ils investissent dans les crypto-actifs ! Il faut prendre garde à la sur-réglementation des titres dans le champ régulé (les crypto-actifs n’y sont pas), et à ce que la Commission européenne accepte un rééquilibrage de la nécessaire mais excessive protection des consommateurs.

Vos adhérents sont-ils concernés par les débats sur la titrisation ?

Nos adhérents ne collectent pas de dépôts, c’est une grande différence avec les banques. Ils peuvent être arrangeurs ou utilisateurs de la titrisation pour se refinancer sur les marchés, par exemple avec la titrisation des crédits automobiles. Après la crise de 2008, la titrisation STS (Simple, Transparente, Standardisée : réglementation entrée en vigueur en janvier 2019, ndlr) a assaini le marché. Mais désormais, l’offre comme la demande sont insuffisantes. Or, la politique de la Banque Centrale Européenne étant moins généreuse en liquidités, il faudrait promouvoir une Union des marchés de capitaux et mieux calibrer la titrisation, avec des coûts en fonds propres moindres notamment. La Commission avait demandé un avis technique aux ESAs (European Supervisory Authorities : les autorités européennes pour les banques, EBA ; les marchés financiers, ESMA ; ainsi que des assurances et des pensions professionnelles, EIOPA, ndlr), qui ont considéré que le cadre prudentiel était adapté.

Dans quelle mesure Bâle 3 concerne l’ASF ?

Avec la défaillance de la Silicon Valley Bank, tout le monde a redécouvert que les règles de Bâle 3 n’étaient pas pleinement appliquées aux États-Unis ! De notre côté, nous demandons un assouplissement des règles pour les établissements de financements spécialisés. Nous n’avons pas de risque de bank run ! De plus, dans les métiers de l’affacturage ou du leasing, la présence de collatéral est essentielle : les uns sont propriétaires de factures, les autres des véhicules ou autres bien financés. C’est un facteur de réduction du risque. Cette spécificité est maintenant reconnue en Europe, grâce au soutien des associations européennes (EUF pour l’affacturage, Eurofinas pour le crédit à la consommation, Leaseurope pour le leasing, ndlr).

À Bruxelles, le lobbying doit être européen pour convaincre. La proposition actuelle de transposition de Bâle 3 considère donc l’affacturage comme une nouvelle classe d’actifs. Nous en espérons un aménagement spécifique. Il en est de même pour le leasing en vue d’un allégement des exigences de fonds propres. Toutefois, cela n’est aujourd’hui envisagé que pour la méthode IRB, avec des modèles internes de calcul des actifs pondérés par le risque (RWA). Nous souhaiterions que cela concerne aussi la méthode standard. Pour l’instant, cette position est partagée avec le Parlement européen et sera discutée en trilogue (Parlement, Commission et Conseil de l’UE, ndlr). Pour le calibrage technique, la Commission a mandaté l’EBA. Nous lui fournirons des éléments statistiques.

L’affacturage n’est pas le même dans toute l’Europe...

En effet, le métier n’est pas régulé de la même façon dans tous les États membres. En France, la supervision est très proche de celle des banques. En Autriche, il faut être établissement de crédit. En Allemagne, une société commerciale peut l’exercer. On se retrouve tous néanmoins avec les mêmes difficultés sur la Nouvelle Définition du Défaut (NDOD).

À propos des factors, quels sont pour eux les enjeux de la facture électronique ?

Au départ, il s’agit d’un objectif européen de lutte contre la fraude à la TVA. Cette réforme est pilotée par la direction générale des Finances publiques. Nous avons obtenu que le statut des factors, auxquels la propriété des factures est cédée, soit reconnu. Dans les mois qui viennent, il y aura une consultation du Bulletin officiel des finances publiques, à laquelle il faudra répondre dans des délais assez courts. Tous les professionnels travaillent ensemble afin de disposer de plateformes, privées ou publiques, pour des factures dématérialisées adaptées à tous les types d’affacturage. La facture électronique devrait faciliter la tâche des sociétés d’affacturage et même leur permettre de mieux pénétrer la cible des PME, un objectif ancien. En 2024, les grandes entreprises seront concernées, puis les ETI en 2025 et enfin les PME en 2026.

Y aura-t-il une interopérabilité entre plateformes publiques et privées ?

Nous y travaillons, pour simplifier la gestion des flux. Il y aura des accès dédiés aux flux de données sur les factures. À ce jour, une trentaine de plateformes se sont portées candidates en France. Nous en avons rencontré un certain nombre.

Vous avez évoqué la transition énergétique. Quelle est votre part dans son financement ?

Nos adhérents financent la rénovation énergétique des logements, les voitures plus propres, les équipements des PME en technologie verte et les grands projets des Sociétés de financement des économies d’énergie (Sofergie). Ils sont proactifs en période de crise. Pour le financement des factures d’énergie, nous avons fait des offres de services à Bercy dès l’automne 2022, sur le même schéma que pour le financement des commandes en affacturage, mais avec les sociétés de caution. L’article 148 de la loi de finances pour 2023 instaure ainsi une garantie à hauteur de 90 % de l’État ainsi qu’un fonds, géré par la Caisse centrale de réassurance (CCR) autorisé à couvrir 2 milliards d’euros d’encours. La garantie souscrite évite à l’entreprise cliente un dépôt de caution en espèces. Le mécanisme fonctionnera pour les contrats conclus après le 31 août 2022 et jusqu’en décembre 2024. Bruxelles a validé ce schéma au titre du contrôle des aides d’État.

Le financement des commandes durant la crise Covid n’avait pas eu un grand succès...

Le dispositif avait été en partie cannibalisé par les prêts garantis par l’État. Une poignée de nos adhérents proposent à leurs clients celui destiné aux factures d’énergie. Chaque initiative compte pour soutenir les entreprises et l’ASF communique largement, ainsi qu’avec la Confédération des petites et moyennes entreprises, dont nous sommes adhérents.

Quelle est sa place au sein de l’Institut de la finance durable ?

L’ASF est membre de l’Observatoire de la finance durable. Elle publie des chiffres sur le financement des véhicules plus propres, la rénovation énergétique des logements, financés par des crédits affectés et les statistiques des Sofergie. Celles-ci ont été créées par le législateur français dès 1980, pour financer de gros investissements : ferme éolienne, champ photovoltaïque, centrale de biomasse ou de traitement des déchets... À ce stade, on ne peut pas en créer de nouvelles. Nous demandons que le projet de loi sur l’industrie verte lève ce numerus clausus. La question a été soulevée auprès du Trésor.

Vous soutenez un amendement à ce projet de loi pour un crédit-bail immobilier « vert » avec BpiFrance. De quoi s’agit-il ?

Le crédit-bail est parfaitement adapté pour accompagner les entreprises dans la recherche de performance énergétique de leurs bâtiments, mais aussi de leurs biens d’équipement (mobilité verte, chariots élévateurs...). Différentes pistes fiscales sont envisageables : suramortissement, déductibilité des loyers, réintégration de la déductibilité à terme car, en général, dans l’immobilier, l’option d’achat est exercée.

Pour les biens mobiliers, les adhérents travaillent sur des solutions de recommercialisation ou de recyclage.

Comment la production de financements locatifs pour les biens mobiliers, notamment les véhicules, évolue-t-elle ?

Le crédit-bail mobilier des entreprises a progressé de 11,3 % en 2022. Celles-ci tiennent à la possibilité d’acquérir le matériel d’équipement en fin de contrat, par exemple les machines outil. La tendance est inverse, à la baisse, pour les véhicules. La production globale en location de matériels progresse en montant (de 3,6 %) mais avec moins d’opérations (-8,5 %) parce que les prix ont nettement augmenté.

C’est un sujet pour les gérants de flottes en location de longue durée (LLD), au sein du Syndicat des entreprises de services automobiles en LLD et des mobilités (SESMlld, ex-SNLVLD). Qu’en est-il des particuliers ?

La location avec option d’achat (LOA) augmente depuis des années, les particuliers privilégiant l’usage à la propriété et l’accès aux modèles les plus récents. Entrent en compte des mensualités intégrant différents services (assurances, entretien) mais surtout l’intérêt d’être dégagé de tout souci. Si certains ménages changent de voiture au terme du contrat, les plus modestes exercent plutôt l’option d’achat. La LOA se développe aussi pour les véhicules d’occasion (VO). Les difficultés d’approvisionnement des chaînes de production de véhicules neufs poussent ces derniers mais déforment aussi le marché du financement.

Le financement de la rénovation des logements est-il aussi bouleversé depuis le Covid ?

Cette période a généré une masse d’épargne financière que certains ménages utilisent maintenant pour des travaux dans leur maison qu’ils payent comptant. Une fraction significative de la rénovation n’est pas financée à crédit et nous ne la mesurons pas. La généralisation du télétravail pousse les ménages à une amélioration de leur cadre de vie et à une mise à niveau de leur équipement électronique afin de travailler à distance. Cela se traduit dans la production de crédits affectés. Dans le même temps, l’achat de bureaux en crédit-bail par les entreprises a baissé de 14 % entre 2021 et 2022.

Restons sur le segment des particuliers. Revue Banque consacre son dossier au crédit à la consommation. Quelle est l’évolution de celui-ci ?

Le crédit à la consommation joue un rôle essentiel dans l’économie française : c’est un moteur de croissance. D’ailleurs, près de 22 % des ménages en détiennent, notamment pour réaliser des projets d’investissement en consommation durable. Mais sa production commence à marquer le pas, surtout celle des prêts personnels, en forte chute depuis octobre 2022. Composés d’une part importante de crédits d’un montant supérieur à 6 000 euros, ils sont très pénalisés par le taux maximum auquel un établissement peut prêter, le taux d’usure.

Pour les prêts d’un tel montant, qui représentent 40 % de la production de crédit à la consommation des adhérents de l’ASF, le taux d’usure applicable au 1er avril est de 6,28 %. La mensualisation du calcul de la Banque de France, octroyée de manière exceptionnelle et temporaire compte tenu du contexte, ne suffit pas à compenser la hausse continue depuis mars 2022, et bien supérieure, des coûts de refinancement. Les adhérents de l’ASF, qui ne sont pas collecteurs de dépôts, se refinancent essentiellement sur les marchés, et sont directement impactés par la hausse brutale et significative des taux d’intérêt longs des derniers mois (leur refinancement était à 0,5 % sur 5 ans en janvier 2022, il est passé récemment à 4 %).

On constate actuellement un effet de ciseau : toute hausse des taux pratiqués entre en opposition avec une plus lente remontée du taux plafond du fait de l’inertie de sa méthode de calcul.

Cela va-t-il perdurer en 2023 ?

L’Observatoire des signaux faibles de l’ASF, publié en janvier, confirme une conjoncture plus défavorable avec un effritement de la qualité de la demande et une augmentation des reports de remboursement et des premiers impayés. Dans ce contexte, l’octroi reste très sélectif, avec une grande vigilance : le coût du risque reste maîtrisé et se maintient pour l’instant à un faible niveau.

Les ménages restent prudents, comme le confirment par ailleurs les intentions de souscription de crédits à la consommation, qui baissent à 3,6 % d’entre eux, soit un des niveaux les plus faibles de l’Observatoire des crédits aux ménages (lire l’interview de Michel Mouillart, page 30). Les établissements aussi. En conséquence, certains types de produits ne sont plus distribués et certains segments de clientèles (CDD, intérimaires notamment) désormais difficilement servis en raison de la difficulté à loger, outre le refinancement, les frais fixes qui augmentent avec l’inflation et le coût du risque.

Est-ce aussi le cas à l’étranger ?

Les autres pays européens ne sont pas confrontés à cette difficulté : le taux d’usure est particulièrement bas en France du fait de la formule de calcul. En Italie, les dispositions sur l’usure, qui est aussi calculée à partir des taux moyens pratiqués, prévoient un « coussin » de 400 points de base qui permet de limiter la baisse. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, le caractère anormalement élevé d’un prêt est constaté a posteriori par les tribunaux, ce qui suppose que l’emprunteur saisisse le juge pour faire valoir sa demande. Bien entendu, la situation française se normalisera avec la hausse progressive du taux de l’usure. Mais au rythme d’évolution actuel, et si la formule de l’usure n’est pas amendée, l’accès au crédit sera restreint pour certaines populations pendant au moins toute l’année 2023.

Le taux d’usure est-il le seul facteur d’explication ?

Le marché français du crédit à la consommation est très concurrentiel, avec différentes catégories de crédits répondant à un besoin spécifique (prêt personnel, crédit renouvelable, crédit affecté, LOA) et un niveau de taux comparativement plus faible que dans les autres grands pays européens. C’est un marché parvenu à maturité, sur lequel interviennent de grands acteurs français qui sont aussi paneuropéens. Le niveau d’endettement des ménages français reste par ailleurs relativement bien maîtrisé, avec 64 000 primo-dossiers de surendettement déposés en 2022, un chiffre en nette décroissance depuis plus de dix ans.

Depuis les lois Lagarde et Hamon, et avec la volonté forte des acteurs de promouvoir un crédit responsable, le marché français du crédit à la consommation est devenu l’un des plus régulés et sains d’Europe.

Comment abordez-vous la révision de la directive européenne du crédit à la consommation ?

Parce qu’ils sont déjà plus strictement réglementés que leurs homologues européens et que le marché hexagonal est assaini, les acteurs français n’étaient pas demandeurs d’une telle révision ! Il ne faudrait pas qu’elle conduise à des contraintes supplémentaires qui pèseraient sur la distribution de crédits aux ménages. Surtout que le crédit à la consommation contribue activement à la transition écologique. C’est un des grands enjeux de société et des politiques publiques : la rénovation énergétique des logements et le financement des véhicules plus propres des Français. Ce crédit d’équipement des particuliers constituera dans les prochaines années un moteur essentiel de la transformation du pays. L’ASF plaide pour une réglementation intelligente, souple, proportionnée aux enjeux.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº880
La distribution du crédit en France
Les adhérents de l’ASF distribuent du crédit à la consommation, soit directement (prêt personnel notamment) soit par l’intermédiaire de réseaux de commerçants, sur le lieu de vente. Ils sont filiales de grands groupes de la distribution, de l’automobile ou du secteur bancaire. Leur part de marché en France est d’un peu moins de 50 %.
Les crédits qu’ils distribuent sont principalement destinés à l’équipement des ménages. Près de 25 millions de biens (automobile, équipement du foyer, ameublement, multimédia...) ont été financés en 2022 par les adhérents de l’ASF. Le crédit à la consommation représentait en France 220,5 Mds € d’encours à fin 2022, soit 16,1 % de la consommation annuelle des ménages, finançant des dépenses à hauteur de 8,3 % du PIB.
Sources  : Banque de France, retraitement ASF.