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Prochain président du Conseil de résolution unique (CRU)

« Nous passons à la phase 2
de la construction d’une résolution
unique en Europe »

Créé le

21.12.2022

-

Mis à jour le

24.01.2023

Un cadre réglementaire européen compliqué, lent dans sa mise en œuvre et cher : les banques émettent des critiques envers leur régulation et supervision. Dominique Laboureix les entend, y répond et s’engage à un meilleur dialogue, une fois à la présidence du Conseil de résolution unique. L’enjeu est essentiel lorsqu’il s’agit de gérer les risques de faillites bancaires.

À quelle date vous installerez-vous à Bruxelles comme président du Conseil de résolution unique (CRU), sachant que le Conseil de l’Union européenne (UE) a validé votre nomination le 25 novembre et qu’Elke König quitte ses fonctions le 22 décembre ? Comment le processus de recrutement s’est-il déroulé ?

Je prendrai mes fonctions le 9 janvier et reste secrétaire général de l’ACPR jusqu’au 6 janvier. Le vice-président du SRB (Single Resolution Board, CRU en français, ndlr) assure l’intérim. La Commission européenne a passé un appel d’offres en février 2022, pour la présidence et un siège de membre. Après une phase de sélection, elle a transmis une short list au Parlement, qui a retenu un candidat par poste à pourvoir. À l’automne, le Conseil de l’UE s’est prononcé. Mon mandat durera cinq ans. Elke König est restée quant à elle huit ans, car le premier président du SRB pouvait exercer deux mandats.

De 2015 à 2019, vous étiez membre du Conseil du CRU, en charge de la planification de la résolution. Quels progrès ont été accomplis depuis lors ?

En 2015, nous étions en phase de lancement et nous fonctionnions sans bureau, ni effectifs, ni même informatique ! L’Union bancaire était en construction, avec son pilier 1, le SSM (Single Supervisory Mechanism ou, en français, Mécanisme de surveillance unique, MSU, ndlr), et son pilier 2, le SRM (Single Resolution Mechanism ou, en français, Mécanisme de résolution unique, MRU, ndlr). En matière de supervision, l’enjeu principal était de faire travailler des équipes multiculturelles ensemble sur une réglementation qui avait été renforcée mais qui existait depuis longtemps. Mais la résolution, quant à elle, n’avait de réalité que dans deux ou trois pays, dont la France. Nous devions donner naissance à un nouveau métier. La Commission nous a prêté quelques ordinateurs et une douzaine d’agents pendant six mois, le temps de prendre notre autonomie budgétaire. Aujourd’hui, 450 personnes sont en poste. Malgré les développements à venir, les effectifs devraient se stabiliser à ce niveau.

Ce mécanisme a pour objectif de gérer une crise bancaire en Europe en préservant la stabilité financière. Il a déjà fonctionné, en Espagne en 2017 pour Banco Popular, puis en 2022 pour des filiales de Sberbank (domiciliée en Autriche, Sberbank Europe, présente dans huit pays de l’Union, a fait l’objet d’une procédure de mise en défaillance après l’attaque de l’Ukraine et les sanctions financières contre la Russie, ndlr). Aujourd’hui, on peut dire que la résolution existe bel et bien.

Sauf à contrer la prochaine crise, quelle est votre mission ? Vous évoquez des « développements »...

Dans six mois, une dernière levée permettra de disposer d’un Fonds de résolution unique (FRU) pour un montant total d’environ 80 milliards d’euros. De façon plus générale, nous allons pouvoir passer à une deuxième étape. Les banques, pour être « résolvables », ont constitué les sommes ad hoc. Il faut maintenant tester et vérifier sur place leur capacité à affronter tous les risques et notre capacité à utiliser ces ressources en cas de crise. Lors de mon audience au Parlement, j’ai notamment soulevé un phénomène récent en fort développement : les cyber-risques. Dans ce domaine, il faut définir une politique, les moyens à mettre en œuvre et les tester. Cela fait partie de la phase 2 de la construction d’une résolution unique en Europe.

Le FRU, destiné à couvrir les faillites bancaires, et le ratio d’exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles (Minimum Requirement for own funds and Eligible Liabilities, MREL), imposé aux banques par la Bank Recovery and Resolution Directive (BRRD) pour un renflouement interne, sont critiqués par certains établissements. Pourquoi le montant affecté au FRU augmente-t-il encore ?

Le FRU est en cours de constitution depuis 2015, avec une dernière échéance en juin prochain. Il est doté à un niveau représentant 1 % des dépôts couverts de l’Union bancaire, soit 100 000 euros par client et par banque. De fait, ces dépôts ont augmenté depuis la crise sanitaire, ce qui ne pouvait être anticipé. Il faudra maintenir ce seuil de 1 %. Pour faire les calculs, nous procédons en première étape sur base déclarative des établissements de crédit : on procède de la même manière que pour les ratios de liquidité, avec les états prudentiels.

Dans le contexte actuel, les ménages pourraient utiliser ce cash... Y aura-t-il un ajustement du FRU à la baisse ?

Nous n’avons pas encore vu un phénomène de baisse globale des dépôts couverts depuis 2015. Cela reste théorique, et si cela se produisait, le règlement MRU ne permettrait pas de rembourser les contributions. L’existence du FRU a une utilité à la fois directe, en cas de crise si les conditions sont remplies, notamment l’absorption de 8 % des pertes avant le déclenchement du mécanisme européen, et indirecte : ces 80 milliards le sécurisent justement. Nous aurons en plus le filet de sécurité de l’European Stability Mecanism (ESM, mécanisme de stabilité financière pour la zone euro, ndlr). Cet accord intergouvernemental doit encore être ratifié par l’Italie. À terme, nous aurons ainsi des montants mobilisables comparables aux États-Unis : 80 milliards d’euros pour le FRU, 68 milliards pour l’ESM et 60 à 70 milliards pour les fonds de garantie des dépôts dans tous les pays de l’UE.

Les contributions au FRU, dont la gestion échappe aux banques, sont perçues par elles comme une taxe dans ce dispositif plus large de stabilité du système...

Les banques françaises contribuent à la hauteur de leur importance relative, comme les allemandes, les italiennes ou les néerlandaises. Certaines estiment être celles qui en auront le moins besoin. C’est une difficulté conceptuelle. Il est important de faire de la pédagogie sur ce sujet : bien malin qui peut préjuger de ce que sera l’usage du FRU. Le mécanisme est fondé sur une mise en commun : c’est ça, l’Union bancaire.

Les banques françaises ne sont-elles pas résilientes ?

L’ACPR a toujours affirmé la résilience des banques françaises du fait de leur solvabilité, de leur liquidité et de leur taux de couverture des créances douteuses. Mais le contexte macroéconomique et la volatilité des marchés sont porteurs de vulnérabilités. Cela conduit la supervision, comme les banques elles-mêmes, à la vigilance. La guerre, à 2 500 km de nous, en Europe, la confusion des approvisionnements, une crise du Covid pas tout à fait terminée, notamment en Chine, des tensions géopolitiques, l’inflation : du fait des incertitudes qui en découlent, les marchés sont volatils.

Tout cela n’est pas très favorable et on peut vraisemblablement s’attendre à une dégradation. On voit d’ailleurs davantage de provisionnements bancaires. La Banque de France a relevé, fin 2022, une solvabilité des ménages et des entreprises plutôt bonne. Toutefois, si les mécanismes de soutien, les « boucliers », sont levés, le risque pourrait augmenter. Notre appel à la vigilance réside dans la couverture du risque de crédit, le premier pour les banques. S’y ajoutent des risques structurels, essentiellement le climat et le cyber. Le numérique est à la fois une opportunité et un risque. Plus il se développe, plus les banques sont efficaces, mais la « surface » du risque cyber s’accroît aussi.

L’ACPR a publié en novembre un document sur les banques d’importance systémique mondiale (les G-SIB) : BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole et Société Générale figurent parmi trente groupes dans le monde. Quels sont les enjeux spécifiques pour ces acteurs ? Sont-ils handicapés par la réglementation européenne ?

Avec six groupes bancaires représentant 80 % du marché – les quatre G-SIB que vous mentionnez auxquels s’ajoutent le Crédit Mutuel et La Banque Postale –, la France est le pays d’Europe avec la plus forte proportion de G-SIB, comparée à l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou les Pays-Bas, qui n’en ont qu’un chacun. Évidemment, les enjeux climat, cyber, etc. sont d’autant plus lourds et compliqués, mais la taille permet aussi davantage d’économies de coûts. En revanche, les règles du Comité de Bâle notamment, qui s’appliquent aussi aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Japon comme dans toute l’Europe, ne les handicapent pas particulièrement, quand on fait des comparaisons complètes.

Ce qui pose davantage de difficultés dans l’UE, c’est d’appliquer les réglementations internationales à tous les établissements, même plus petits, alors qu’elles ne sont pas adaptées. Aux États-Unis ou au Japon, il y a deux régimes. L’Europe a fait un choix différent, estimant que des groupes comme BNP Paribas ont à la fois des activités globales et une présence domestique qui fait concurrence aux plus petites banques. Par ailleurs, l’Europe regroupe des marchés d’une grande diversité. Ainsi, la filiale de HSBC à Malte ne pèse guère à l’échelle de ce groupe, mais c’est la deuxième banque du pays.

Pour conforter la confiance des épargnants et déposants dans la solidité du système, l’Union bancaire ne sera pas celle prévue. Comment pallier l’abandon du système européen d’assurance des dépôts ?

La garantie des dépôts uniformisée au sein de l’UE a constitué, avec la directive DGSD (en 2014, ndlr) une avancée, et il était attendu d’aller plus loin, en constituant un « troisième pilier ». Mais cela a été écarté en juin 2022. Le Conseil a alors demandé à la Commission une révision des conditions d’accès à la résolution ainsi que des règles régissant l’utilisation des fonds nationaux de garantie des dépôts. Un cadre de CMDI (Crisis Management and Deposit Insurance, cadre commun pour la gestion des crises bancaires, ndlr) sera proposé au premier trimestre 2023. Le projet a déjà deux ans, mais il est encore en cours de consultation. Il viendra réviser la directive BRRD et les autres textes concernés.

La procédure de résolution est une procédure d’exception. Elle n’intervient que si l’on considère qu’elle est plus bénéfique pour la stabilité financière qu’une procédure collective (liquidation...). Une banque en difficulté doit déposer le bilan devant un tribunal comme toute autre entreprise en droit commercial, mais elle a parfois des fonctions critiques. C’est pour cela que, historiquement, les États sont souvent intervenus. Pour changer cela, on « sort » du droit commun pour appliquer le droit de la résolution. C’est réservé aux cas exceptionnels. Il faut donc s’assurer d’un public interest (vérification de l’intérêt public à agir).

Parfois, il faudrait pouvoir davantage tenir compte d’éléments locaux. Nous avons connu le cas de deux banques vénitiennes en 2017 qui n’étaient pas systémiques au niveau européen ni national et n’ont pas été mises en résolution, même si leur situation avait un impact régional. Aujourd’hui, il existe une certaine flexibilité dans la résolution. De nouvelles règles pourraient être actées. Par ailleurs, l’usage des fonds de garantie des dépôts, dans le cadre du CMDI, pourrait être revu. Aujourd’hui, avec le mécanisme de résolution, ce sont les banques en défaut qui doivent pouvoir absorber la situation en premier (en mobilisant capital et dette). Cela a été le cas pour Banco Popular. L’enjeu actuel est de voir si on veut faciliter le recours aux ressources du fonds de garantie des dépôts du pays.

Quelle est la conséquence sur la transposition de Bâle 3 ?

La transposition de Bâle 3 réside dans CRR3 et CRD6. Ces textes, tout comme BRRD, seront à réviser avec le cadre CMDI. Cette forme d’ajustement permanent est nécessaire pour un mécanisme de résolution plutôt nouveau. La législation française elle-même, parmi les premières avec celle des Pays-Bas, date de 2013. On ne peut pas comparer au FDIC américain : les États-Unis ont créé ce cadre après la crise de 1929. Il a constitué sa pratique au fur et à mesure à partir de 1933. L’Europe s’en est inspirée mais n’a pas le même recul, bien sûr.

Rien n’est stabilisé, ni aisé à comprendre...

On entend des critiques sur un cadre réglementaire européen trop compliqué et trop cher. Elles sont de deux ordres. Seuls les colégislateurs peuvent modifier les textes. C’est le cas du CMDI. Concernant le SRB lui-même, au centre du système de résolution, cela fait partie de mon mandat d’arriver à plus d’écoute, un meilleur dialogue avec les institutions, les banquiers eux-mêmes, les investisseurs et agences de notation, les journalistes aussi. Je m’y suis engagé devant le Parlement : poursuivre la mise en place du SRB et gagner en transparence.

Le marché de l’énergie, le scandale FTX... Ne faudrait-il pas de la transparence dans ces domaines-là aussi ?

Vous pourriez ajouter les fonds de pension britanniques, Archegos... Ces sujets ont en commun des acteurs plus ou moins régulés, notamment ceux que l’on nomme les Non-Bank Financial Institutions (NBFI) et l’accès à la liquidité. Il ne s’agit pas d’agrément mais de transparence. La Banque de France et l’ACPR attendent un travail du FSB (Financial Stabilty Board, ndlr) car cela doit être traité au niveau mondial. Les sommes en jeu sont considérables, avec de grands investisseurs. La transparence est une priorité. La SEC (Securities and Exchange Commission) comme l’ACPR ou l’AMF, selon la nature des intervenants, ont d’ores et déjà accès à certaines informations. Mais il serait souhaitable que le FSB définisse des principes et que chaque pays puisse les transposer. Il y a aussi des règles de liquidité à adapter pour que les acteurs puissent faire face.

Quels sont pour vous les textes majeurs attendus dans l’UE à partir de 2023 ?

Incontestablement MiCA (règlement Markets in Crypto-Assets, ndlr), qui va entrer en application en 2024, avec un champ nouveau pour couvrir le risque crypto, comme celui de DORA, pour la cyber-résilience opérationnelle, qui va aussi entrer en vigueur prochainement. À mon avis, le grand paquet législatif à venir porte sur la mise en place de dispositifs antiblanchiment. Pas pour la France – dont le Gafi (Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux, ndlr) a souligné l’efficacité en la matière, grâce à son arsenal législatif et ses autorités, dont l’ACPR –, mais à l’échelle de l’UE. Toutefois, les textes ne sont pas encore en trilogue. Il faudra attendre au moins un an pour voir naître la nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent, AMLA.

Et pour la lutte contre le réchauffement climatique ?

Dans ce domaine, l’Europe n’a pas adopté le schéma habituel : la réglementation obligatoire (Pilier 1), les exigences supplémentaires du superviseur (Pilier 2) et la transparence (Pilier 3). Elle a commencé par le Pilier 3, avec notamment la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation, ndlr), afin que les établissements de crédit soient transparents sur leurs expositions et leurs engagements.

Pour le Pilier 2, la Banque centrale européenne (BCE) et l’ACPR se penchent sur la manière d’intégrer une dimension climat dans la solvabilité. Dès 2023, pour tendre vers des exigences quantitatives, le SREP (Supervisory Review and Evaluation Process, processus global des superviseurs, ndlr) va intégrer des éléments d’analyse climat. Les recommandations quantitatives verront le jour en 2023, ou au plus tard 2024. S’ajoutent les stress-tests, au sein des banques, ou réalisés par la BCE (ou l’ACPR, qui a réalisé le premier grand exercice en 2021). La BCE a réalisé l’exercice en 2022, en s’appuyant en partie sur notre méthode. Les banques ont encore des efforts à faire.

Concernant le Pilier 1 de la réglementation climat, la réflexion aboutira moins vite que pour le Pilier 2. Il y a débat sur la pertinence d’un Green Supporting Factor (facteur de soutien), un bonus prudentiel pour les banques qui consisterait à réduire les exigences de capital prudentiel pour des crédits verts en appliquant une réduction aux facteurs de pondération des risques qui leur sont appliqués. Nous n’y sommes pas favorables. Le premier objet est le risque de crédit, la capacité à être remboursé. Une pénalisation pour des crédits « marron » peut éventuellement s’y ajouter, mais nous privilégions la voie des plans de transition.

Propos recueillis le 15 décembre 2022 par Sylvie Guyony

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº875-876
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