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Open source

Les logiciels libres, entre standardisation et rationalisation des coûts

Créé le

24.01.2013

-

Mis à jour le

15.06.2017

Longtemps dominées par des systèmes propriétaires en back-office et un couple « Wintel » incontournable en front-office, les banques françaises se tournent de plus en plus vers les logiciels libres. Non pour des raisons philosophiques premières, mais avant tout pour rationaliser leurs coûts et se doter d’outils standards facilement adaptables à des besoins changeants.

L’open source et les logiciels libres ont longtemps été associés au monde universitaire ou à certains informaticiens philosophes défendant un mode de diffusion du savoir et des techniques hors de toute contrainte commerciale. Dans l’imagerie populaire, ils semblent donc bien éloignés du monde bancaire, par définition lié à l’argent. Pourtant, les deux domaines sont plus proches que jamais. Après l’administration et l’éducation, la banque, comme les autres grands secteurs de l’économie, s’intéresse de plus en plus au monde libre, tandis que les développeurs et sociétés de service travaillant dans l’open source (ou SS2L) cherchent à monétiser leurs produits… tout en préservant la philosophie d'origine.

Au cœur de l’infrastructure

Les banques ont recours au libre avant tout dans leurs infrastructures. Grégory Delmotte, responsable de gouvernance SI au Crédit coopératif précise : « Nous utilisons ces logiciels surtout dans l’infrastructure et dans l’interface avec nos clients. D’un point de vue historique, nous venons de systèmes propriétaires avec des mainframes Bull jusqu’en 2004. Nous avons migré vers des systèmes ouverts. Désormais, notre base de données tourne sur Oracle et une partie du cœur bancaire est sous Unix. Tout le reste de l’infrastructure, des sites d’informations et de banques à distance tourne sur des logiciels libres. »

Même expérience du côté du Crédit Mutuel Arkéa où le modèle libre est prôné depuis 1998. « Nous partons du système d’exploitation serveur qui est sous Linux, avec du serveur Web Apache ou Tomcat. Dans notre développement interne, nous utilisons MySQL ou Voldemort ; pour le partage de document, Samba et Alfresco, et notre messagerie est du Zimbra. Seul notre poste de travail dans le réseau et en agence est sous Windows. Pour le core banking,  notre modèle est un logiciel développé en interne avec l’appui des solutions éditeurs, car il n’y a pas d’autres solutions open source. Sachant que comme dans la majorité des banques, notre système d’information historique est à base de système mainframe », constate David Broc’h, responsable du département méthode et intégration logicielle pour la direction technique informatique d’Arkéa.

Standardisation et indépendance avant les économies

Le passage à l’open source se ferait-il pour des raisons purement financières ? Même s’il n’y a pas de licence à payer, l’économie immédiate n’est pas l’élément clé, comme le rappelle Éric Barroca, directeur général de Nuxeo, plate-forme de gestion de contenu utilisée notamment pour la gestion de la fraude : « Nous ne vendons pas un logiciel, mais des services. D’ailleurs, nous ne sommes pas moins chers. Le différentiateur ce n’est pas l’argent, c’est le temps et l’adaptabilité de la plate-forme. C’est le moyen de production qui a gagné dans le domaine de l’infrastructure, hormis VMWare. Les grosses tendances qui font avancer le marché sont produites sous forme de code open source. Tous les grands domaines qui intéressent les banques – Big Data, cloud computing – sont dominés par les logiciels open source. »  Pour Grégory Delmotte, « il y a toujours un aspect coût dans cette histoire, mais il vient en second. Dans le libre, il existe un coût global qui doit se mesurer. De plus, il nous permet de mettre en avant la concurrence dans des négociations avec des éditeurs propriétaires. » Pour lui, les premiers avantages du libre sont « la standardisation, le partage, la sécurité et une plus grande facilité pour trouver des compétences. » Cette standardisation et cette maîtrise de son propre système d’information est également une composante essentielle chez Arkéa : « Le fait de partir vers du logiciel libre implique d’avoir des compétences fortes en interne. La couche basse de notre système d’information est maîtrisée à 100 % en interne. Notre système bancaire expose certaines briques sur une plate-forme open, mais nous sommes encore loin d’être indépendants de notre partenaire IBM. Au quotidien, nous gardons l’essentiel de notre core banking et cherchons à sortir le reste. Nous choisissons des solutions libres, parce qu’elles sont plus souples et plus faciles à intégrer en interne avec les qualités que nous recherchons » explique David Broc’h, qui pointe également les économies réalisées : « Nous avons une vraie plus-value au point de vue financier. Nous avons mis une enveloppe Arkea autour de TomCat et faisons la maintenance entièrement en interne. »

Et la sécurité ?

Le Crédit coopératif est tellement satisfait de ses choix dans le monde libre que la banque envisage à demi-mot d’apporter sa propre contribution à la communauté open source, à partir des développements complémentaires effectués pour ses propres besoins. Jean-Louis Lecointe, directeur des études informatiques du Crédit Coopératif, affirme que « cela viendra… mais quand ? je ne sais pas. Nous devons en discuter avec nos codéveloppeurs [comme les SS2L ayant participé à ces modifications, NDLR]. La difficulté est que la banque est un monde où la sécurité est omniprésente. » En clair, un secteur où le culte du secret est souvent difficile à percer, alors que « paradoxalement, plus c’est ouvert, plus c’est scruté, et donc moins il y a de failles » précise Grégory Delmotte. Tout comme les infrastructures se sont ouvertes, les mentalités vont peu à peu s'ouvrir à d’autres méthodes de protection, plus collaboratives.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº757