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Chronique : Droit pénal bancaire

Délit de retrait de la provision d’un chèque – Action civile en paiement du montant d’un chèque sans provision – Action dirigée contre le débiteur de l’obligation

Créé le

13.07.2016

Cass. crim. 22 septembre 2015, n° 14-83.787 : dalloz.fr, actualité, 20 oct. 2015, obs. Guygonne-Bettina Deker.

 

En matière de délit de retrait de la provision d’un chèque sans provision, l’action civile en paiement du montant d’un tel chèque ne peut être dirigée que contre le débiteur de l’obligation.

En vertu de l’article L. 163-2, al. 1, du Code monétaire et financier : « Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros, le fait pour toute personne d’effectuer après l’émission d’un chèque, dans l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui, le retrait de tout ou partie de la provision, par transfert, virement ou quelque moyen que ce soit, ou de faire dans les mêmes conditions défense au tiré de payer » 1. Ce délit est ainsi retenu, notamment, en cas d’opposition non fondée effectuée en connaissance de cause 2.

En l’espèce, en règlement d’une cession de parts sociales, la société cessionnaire avait émis un chèque de 54 000 euros, sous la signature de sa gérante. Or, à la suite de l’opposition qu’elle avait formée, le chèque avait été présenté à l’encaissement et était revenu impayé. L’affaire ne s’arrêtait cependant pas là. Après que le président du tribunal de commerce ait eu ordonné la mainlevée de l’opposition, le chèque avait été présenté une seconde fois à l’encaissement, mais était revenu à nouveau impayé. Cette fois-ci, la gérante en avait bloqué la provision placée sur un compte CARPA afin de l’utiliser à d’autres fins. Celle-ci avait alors été citée sur le fondement de l’article L. 163-2 du code mentionné plus haut, et la société également en qualité de civilement responsable. Le tribunal, après avoir retenu la culpabilité de la gérante, l’avait condamnée solidairement avec la société au paiement de la somme de 54 000 euros en réparation du préjudice matériel, outre celle de 5 000 euros pour le préjudice moral.

Or, pour condamner la gérante payer la somme de 54 000 euros, la cour d’appel de Paris avait énoncé que les dispositions civiles du jugement devaient être confirmées à l’encontre de la gérante seule, la société n’ayant plus d’existence légale depuis la clôture de la liquidation judiciaire et ne pouvant faire l’objet d’une condamnation en tant que civilement responsable. Mais cette solution était-elle à l’abri de toute critique ? La Cour de cassation répond par la négative par l’intermédiaire de sa décision du 22 septembre 2015. Selon cette dernière, en effet, « en condamnant la gérante au paiement d’une somme égale au montant du chèque litigieux en remboursement de la créance contractuelle résultant de la convention initialement conclue entre les deux sociétés, ce dont il résultait que la société cessionnaire, placée postérieurement en liquidation judiciaire, était la seule débitrice de ladite créance, la cour d’appel a méconnu l’article L. 163-9 du code monétaire et financier et les articles 2 et 3 du code de procédure pénale ». Ainsi, l’action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre ne pouvait être dirigée, pour la Haute juridiction, que contre le débiteur lui-même.

Que penser de cette solution ? Rappelons que pour l’article L. 163-9 du même code : « À l’occasion des poursuites pénales exercées contre le tireur, le porteur qui s’est constitué partie civile est recevable à demander devant les juges de la juridiction pénale une somme égale au montant du chèque, sans préjudice, le cas échéant, de tous dommages-intérêts. Il peut, néanmoins, s’il le préfère, agir en paiement de sa créance devant la juridiction civile ou commerciale 3. » On voit ici la volonté du législateur de protéger le droit personnel du bénéficiaire du chèque sur le tireur. Il s’agit d’une dérogation notable au droit commun dans la mesure où la victime peut de la sorte obtenir le paiement d’une créance préexistant au délit, qualifiée de créance fondamentale, que le chèque était destiné à éteindre par le paiement. Comme a pu le résumer un courant doctrinal 4, « c’est par une véritable prorogation de compétence que les juridictions répressives peuvent se prononcer sur des questions qui ne relèvent pas, habituellement, de leur office ».

Dès lors, nous le voyons à la lecture de ce dernier article, l’action ne peut être exercée que contre le tireur 5, c’est-à-dire, dans notre hypothèse, la société cessionnaire. Or, cette dernière ayant été liquidée, il n’était plus possible, pour le cédant de parts sociales, bénéficiaire d’un chèque, d’obtenir le paiement de la somme de 54 000 euros souhaitée. Il n’est, en revanche, par possible de poursuivre le représentant de la société lorsque celui-ci a agi au nom et pour le compte de la personne morale 6.

La même solution s’impose, en outre, sur le fondement de l’article 2 du Code de procédure pénale. Rappelons qu’en vertu de ce dernier : « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». Ainsi, la victime peut demander réparation du préjudice que lui a causé l’infraction. Il s’agit d’une action civile indépendante de l’action en remboursement du chèque impayé 7. Or, dans ce cas, l’action ne peut être exercée que contre le tireur indélicat ou un tiers civilement responsable 8. Le représentant du tireur personne morale ne saurait par conséquent voir sa responsabilité civile retenue.

En conclusion, la décision étudiée rappelle utilement qu’est risquée la situation dans laquelle l’auteur direct des faits délictueux en matière de chèques n’est pas le débiteur, c’est-à-dire l’émetteur du chèque, mais son représentant, et que le débiteur en question est une personne morale qui, en raison d’une liquidation judiciaire postérieure au délit, n’existe plus. Dans un tel cas, en effet, le créancier se trouve privé de la possibilité d’obtenir le remboursement de sa créance correspondant au montant du chèque impayé. Comme le résumait le Doyen Bouzat dans un commentaire paru il y a plus de vingt ans à la Revue de droit bancaire et financier concernant un arrêt présentant des similitudes avec celui qui nous occupe : « La décision est exacte d’un point de vue juridique, un peu amère du point de vue moral 9. »

En vertu de l’article L. 163-2, al. 1, du Code monétaire et financier : « Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros, le fait pour toute personne d’effectuer après l’émission d’un chèque, dans l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui, le retrait de tout ou partie de la provision, par transfert, virement ou quelque moyen que ce soit, ou de faire dans les mêmes conditions défense au tiré de payer[1] ». Ce délit est ainsi retenu, notamment, en ...

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº164