Cet arrêt1 fournit l’occasion de rappeler la nature profonde de l’opération de crédit. En l’occurrence, la société Banque de crédit General Motors, devenue GMAC banque puis Opel Bank (la « Banque ») accepta de conclure avec la société Europe autos diffusion, EAD (l’« Emprunteur ») une « convention générale de financement » (la « Convention de crédit »), afin de permettre le règlement du prix d’achat, par l’Emprunteur, de véhicules automobiles auprès de la société General Motors, en exécution d’un contrat de distribution conclu entre cette dernière et l’Emprunteur.
En novembre 1998, l’Emprunteur obtenait de la société Somera, devenue ensuite l’Étoile commerciale, l’émission au profit de la Banque, d’une garantie à première demande, d’un montant de 152 439 euros, et d’une durée indéterminée (la « Garantie Autonome »), le tout en sûreté des obligations de l’Emprunteur au titre de la Convention de crédit. La Banque fut ultérieurement informée par le garant qu’il résiliait son engagement avec effet au 10 septembre 2002, état de choses que la Banque notifia à l’Emprunteur par courrier du 15 juillet 2002. Le 20 septembre 2002, la Banque informa l’Emprunteur que, dans l’hypothèse où elle ne recevrait pas le bénéfice d’une nouvelle garantie autonome au plus tard le 25 septembre 2002, elle serait dans l’obligation de résilier la Convention de crédit. La Banque différa ensuite cette échéance au 4 novembre 2002.
Faute d’émission à son profit d’une nouvelle garantie, la Banque, conformément à l’article 22 de la Convention de crédit, notifia à l’Emprunteur la résiliation de plein droit et sans préavis de ladite convention. L’Emprunteur fut ensuite placé en liquidation judiciaire. L’organe de la procédure collective ainsi que les cautions de l’Emprunteur agirent en responsabilité contre la Banque pour rupture abusive de la Convention de crédit. Econduits par la Cour d’appel de Paris, les demandeurs se pourvoient en cassation et font valoir que l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier (CMF) ne permet à la Banque de se dispenser du formalisme et délai imposés qu’en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit, inexistant en l’espèce. Les demandeurs font valoir qu’au contraire, l’Emprunteur avait obtenu de la part de la Société Générale et du Crédit Agricole, des accords de principe pour l’octroi de cautionnements à hauteur de 77 000 euros. Enfin, ils soutiennent que la clause résolutoire ne peut développer ses effets si celui qui s’en prévaut a agi de mauvaise foi, ce qui est le cas de la Banque dans la mesure où des accords de principe avaient été obtenus pour l’émission de cautionnements.
La Cour de cassation, suivant en cela les positions de la Cour d’appel, rejette le pourvoi au motif premier que le non-remplacement de la Garantie Autonome, constitutif du non-respect de dispositions contractuelles essentielles, s’analyse en un comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit. La Haute cour relève également le souci de la Banque d’accompagner son client en lui consentant un délai expirant le 4 novembre 2002, et conclut en précisant que des accords de principe ne pouvaient valoir substituts parfaits et équivalents à la Garantie Autonome. Cet arrêt livre plusieurs informations concernant la mise en œuvre de l’article L. 313-12 du CMF (I.), article dont le fondement et le libellé méritent d’être revisités (II.).
La discussion roulait sur les conditions de mise en œuvre de l’article L. 313-12 du CMF, qui dispose notamment que : « Tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. [...] L’établissement de crédit ou la société de financement n’est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise. [...]2. »
Les demandeurs reprochaient à la Banque une rupture abusive du crédit, alors que le comportement de bonne foi de la Banque fut constaté par les juges à deux égards. D’une part, celle-ci donna à l’Emprunteur un délai supplémentaire pour lui permettre de fournir une garantie financière satisfaisante. Ce faisant, la Banque se conformait aux dispositions de l’article 1104 du Code civil, les juges considérant que la bonne foi dans l’exécution du contrat impose un double devoir de loyauté et de coopération, devant conduire les parties à faire le nécessaire en vue d’une exécution optimale du contrat3. D’autre part, la clause résolutoire a été exercée conformément aux dispositions de la Convention de crédit, les juges relevant en l’occurrence un comportement gravement répréhensible de la part de l’Emprunteur, justifiant par ailleurs une application de l’article L. 313-12 du CMF4. En l’espèce, le doute était permis entre ce premier argument, et la suspicion d’une situation irrémédiablement compromise de l’Emprunteur, ce dernier ne parvenant plus à trouver de garant. Toutefois, l’argument du comportement gravement répréhensible paraît dans le cas présent, le plus approprié, la jurisprudence adoptant une appréciation assez stricte de la situation irrémédiablement compromise du débiteur5, avec sans doute le souci d’éviter un contournement du droit des procédures collectives. Il est acquis, par ailleurs, que les modalités de l’interruption de la relation contractuelle entre la Banque et l’Emprunteur ne tombaient pas sous le coup de l’article L. 442-1, II du Code de commerce en raison notamment de la spécificité des opérations de crédit. De plus, cet article a été adopté afin de lutter contre les pratiques restrictives de concurrence.
Enfin, les juges du fond et de la Cour de cassation firent preuve de clairvoyance en refusant de voir dans les accords de principe une sûreté équivalente à la Garantie Autonome. D’une part, il n’est pas contestable que la protection offerte par un cautionnement est moindre que celle d’une garantie autonome, appelable à première demande. D’autre part, l’accord de principe ne constitue qu’une étape de la période précontractuelle, en application duquel les protagonistes s’engagent à poursuivre de bonne foi les négociations, en vue le cas échéant de la signature d’un contrat, sans autre obligation. L’accord de principe ne vaut pas engagement ferme et définitif. En effet, « l’accord de principe évoque les modes de formation du contrat soit par “couches successives”, soit de manière non définitive. [...] La référence au “principe” laisse subsister une possibilité de revirement lorsque la mise en œuvre de l’accord sera plus clairement définie ou évaluée, et cela sans aucune référence à l’idée de condition (rétroactive) [...]. L’accord de principe n’est donc pas un contrat définitif, mais c’est déjà un engagement qui peut éventuellement y aboutir. [...] il est “lesté” d’une réserve, et la fermeté de l’engagement y demeure dans une zone imprécise [...] on ne sait pas si on va conclure le contrat définitif. » « L’accord de principe se situe à la fois au-delà des simples négociations et des pourparlers, puisque l’exploration a déjà engendré un accord sur le principe, et en deçà du contrat définitif6. » Il repose par essence sur une dose de précarité d’où il résulte qu’aucun consentement n’est donné à titre définitif. La Cour de cassation, dans sa formation commerciale, a confirmé en 2012, qu’« un accord de principe donné par une banque “sous les réserves d’usage” implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours7. » Au-delà de ces premières observations, l’arrêt commenté fournit aussi le prétexte à plusieurs remarques concernant le libellé de l’article L. 313-12 du CMF, qui servit de fondement à la décision.
En autorisant l’établissement de crédit à reconsidérer son « concours » sans préavis en raison du comportement gravement répréhensible du client, ou lorsque sa situation est irrémédiablement compromise, le législateur rappelle à juste titre que l’opération de crédit (du latin credo, « je crois ») est, fondamentalement, une opération de confiance8. Là où la confiance disparaît, le crédit disparaît également. Il n’y a pas de droit acquis au crédit9. Ce dernier doit se mériter ; il est fonction de la confiance qu’est prêt à accorder le banquier à son futur client sur une base plus élargie que les simples éléments matériels. Plus le « degré » de confiance est élevé au regard des qualités propres du client, plus le concours lui sera favorable et moins contraignant10. Cette approche de l’activité bancaire a conduit le professeur Escarra11 à relever que « L’élément confiance qui, à quelque degré qu’il se rencontre, existe toujours et demeure à la base de toutes les opérations de crédit, est un sentiment à la fois instinctif et raisonné. [...]. La confiance sera d’abord le reflet de l’instinct personnel du banquier, qui est lui-même le produit de nombreux facteurs ». Autrement formulé, « le financement par le crédit est un mécanisme qui repose essentiellement sur la confiance. Le créancier croit (credet en latin) que son cocontractant, le débiteur, lui remboursera (dans le futur) ce qu’il lui emprunte (maintenant)12 ». Dans le travail de définition du crédit, divers paramètres ont été mis en avant : « Celui-ci suppose trois éléments : le facteur temps, le facteur confiance, l’absence d’idée de spéculation [...]. Le facteur confiance ? Il est primordial dans le crédit. Le créditeur accepte le décalage dans le temps des deux prestations13, car il fait confiance au crédité ou dans la valeur que lui a remise le crédité. Cette confiance s’appuie parfois sur les garanties qu’exige le créditeur14. »
La confiance exprimée par le banquier envers son client peut avoir une expression unique dans le cadre d’une opération bilatérale (ouverture de crédit, prêt amortissable, crédit renouvelable) ou multiple, notamment en présence d’un financement structuré, de l’émission d’une lettre de crédit faisant intervenir un autre établissement bancaire, dit « banque correspondante »15, ou d’une garantie financière16. La confiance du banquier peut aussi se manifester à l’égard du débiteur de son débiteur. Ainsi, en matière d’escompte17, ou de cession de créances professionnelles à titre de garantie par voie de bordereau Dailly18, la confiance de la banque concerne le cédant, qui sera investi du mandat de recouvrer les créances au nom et pour le compte du banquier cessionnaire, mais aussi le ou les débiteurs des créances cédées. À tel point d’ailleurs qu’en cas de doute, une notification voire une acceptation de la cession peut être souhaitée19. Cette nécessité d’agir en toute confiance est à mettre en perspective des diverses responsabilités attachées à la mission des banques. En effet, ces dernières engagent leur signature vis-à-vis des marchés et des parties prenantes aux opérations économiques nationales ou internationales. Elles doivent également rendre des comptes aux autorités financières de place, françaises et européennes, à l’opinion publique, et le cas échéant, devant les juridictions. Ainsi, les établissements bancaires qui manqueraient de vigilance dans la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent encourent-ils de lourdes sanctions de la part de l’ACPR20. Autant de responsabilités de nature à justifier la possibilité pour la banque de mettre un terme immédiatement à la relation contractuelle, comme le prévoit – maladroitement hélas – l’article L. 313-12 du CMF.
L’approche restrictive retenue par le législateur révèle une première limite tenant au libellé de l’article L. 313-12 du CMF, basé uniquement sur les termes « concours »21 dans le premier alinéa, puis « ouverture de crédit » dans le deuxième alinéa. Doit-on en déduire que le concours est ici réduit à l’ouverture de crédit ? Il n’est pas contestable que les opérations de crédit sont multiples22, ainsi que le donne à entendre l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier : « Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne23 agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie. Sont assimilés à des opérations de crédit le crédit-bail, et, de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat. » L’article D. 313-14-1 du CMF ajoute à la confusion en précisant que « Le délai de préavis minimal mentionné à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 313-12 est de soixante jours pour toutes les catégories de crédits », alors que la jurisprudence a précisé qu’une simple tolérance de découvert, grande marque de confiance s’il en est, est révocable sans préavis24. L’ambiguïté issue de la généralité du terme « concours » peut résulter également d’une lecture comparative de l’article L. 312-1, IV du CMF, qui fixe les règles à respecter en matière de résiliation d’une convention de compte de dépôt assorti des services bancaires de base, conclue avec un client personne physique ou morale. Une telle convention n’est-elle pas l’expression d’un « concours » sachant que l’établissement de crédit est dispensé du préavis minimum de deux mois lorsque « 1° le client a délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ; 2° le client a fourni des informations inexactes ; [...] ». Autant de situations révélant une rupture de confiance entre le banquier et le titulaire du compte25. Mais le risque de conflit avec l’article L. 313-12 du CMF paraît exclu, les dispositions spéciales devant l’emporter sur celles plus générales. Faisant preuve de pragmatisme, la jurisprudence rejette toute acception restrictive du terme « concours », en retenant la possibilité d’une application de l’article L. 313-12 du CMF en présence d’une mobilisation de créances par affacturage26, d’une opération d’escompte27, d’une cession Dailly28, ou en cas de recours au crédit documentaire29.
Car il est vrai qu’en pratique, la confiance du banquier envers son client trouve des expressions nombreuses et variées30, dépassant le seul cadre d’une mise à disposition de fonds31. On doit également voir la confiance du banquier envers son client32, lorsque celui-ci intervient pour les besoins d’une opération connexe aux opérations de crédit33, telle qu’une mission de conseil financier, en matière de service d’investissement34, en ce compris les services qui leur sont connexes35, ou pour les besoins d’une opération sur instruments financiers à terme, telle qu’un swap de taux, par exemple36. C’est donc plus largement un « service » ou une « transaction » qui devrait être visé par l’article L. 313-12 du CMF37.
Le premier alinéa de l’article L. 313-12 du CMF envisage le concours consenti à une « entreprise » alors que le deuxième alinéa fait référence, de manière plus large, au « bénéficiaire du crédit ». Ces derniers termes paraissent plus pertinents, tant la pratique révèle la mise en place d’opérations de crédit, sous des formes extrêmement variées, non seulement à des entreprises, mais également à des fonds38. La question s’est posée de savoir si un SPV39 pouvait être considéré comme une entreprise dans la mesure où il ne réalise aucun chiffre d’affaires40, ses seuls créanciers étant les parties prenantes à l’opération de crédit.
Selon certains auteurs41, l’entreprise a pu être définie en 1957 comme « toute entité autonome composée d’hommes et de biens poursuivant un dessein économique de production, de distribution ou (et) de prestations de services »42. Plus récemment, le professeur Paillusseau exposa que l’entreprise doit s’entendre comme toute activité économique exercée à titre professionnel, activité économique renvoyant à celle « de production, de transformation, de distribution de biens et de prestation de services ou de certaines de ces fonctions43 ». Autrement formulé, l’entreprise serait « toute personne physique ou morale ayant une activité économique, qu’elle soit commerciale, artisanale, agricole ou libérale44 ».
La jurisprudence précise que, s’agissant de l’article L. 313-22 du CMF45, la notion d’entreprise doit être dissociée de la notion de personne physique ou de personne morale. La Cour de cassation a eu l’occasion d’énoncer qu’une personne physique exerçant une activité économique à titre professionnel pouvait être une entreprise au sens du CMF46, qu’une société civile immobilière était une entreprise au sens de l’article L. 313-12 du CMF, en raison de son activité économique propre47, et que la notion d’entreprise au sens de l’article L. 313-22 du CMF, s’étend au-delà du simple caractère lucratif ou non lucratif de son activité48. Ces quelques éclairages conduisent au constat qu’une interprétation extensive du terme « entreprise » au sens de l’article L. 313-12 du CMF est retenue, et qu’il conviendrait de généraliser l’expression « bénéficiaire du crédit » dans le texte actuel de l’article L. 313-12 du CMF.
La rédaction actuelle de l’article L. 313-12 du CMF envisage, de manière restrictive semble-t-il, les possibilités d’interruption ou de réduction du concours ou de l’ouverture de crédit par un « établissement de crédit » ou « une société de financement », alors que la loi elle-même reconnaît à certains fonds d’investissement alternatifs (FIA), par exemple, la possibilité d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel49, FIA expressément désignés par l’article L. 313-23 du CMF comme pouvant bénéficier d’une cession de créance par voie de bordereau Dailly. Où l’on voit qu’un travail d’harmonisation et de mise en cohérence s’offre au législateur. n