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Editorial

Blockchain : du minage au mirage ?

Créé le

07.02.2018

-

Mis à jour le

21.02.2018

La blockchain (au féminin, pour sacrifier à l’usage courant) est un système technique d’enregistrement qui repose sur la combinaison d’une informatique décentralisée et d’un réseau de transmission comme l’Internet. Plusieurs « mineurs » (curieuse appellation) mettent leurs ordinateurs à disposition et en compétition entre eux. Toute personne autorisée (le public pour les blockchains ouvertes ou des personnes déterminées pour les fermées) transmet une instruction (on verra par la suite ce qu’elle peut être) au système en utilisant une ou plusieurs clés qui lui assurent anonymat et sécurité. Tous les ordinateurs connectés se mettent alors en branle pour contrôler la compatibilité de cette instruction avec les précédentes. Le premier qui réalise la vérification exécute l’instruction en l’inscrivant dans un nouveau bloc informatique, qui est intangible, et la transmet aux autres ordinateurs pour que chacun l’enregistre à son tour. Cela fait, l’instruction exécutée devient irrévocable. De la sorte, lors de la prochaine instruction, chaque ordinateur sera en mesure de vérifier sa comptabilité avec l’opération précédente. La vérification portera uniquement sur cette compatibilité, non sur la réalité et la validité de l’opération qu’elle représente. Au résultat, l’opération exécutée figurera dans une chaîne de blocs numériques fermés et irréversibles, ce qui permettra d’en assurer la conservation et la fiabilité pour l’avenir. La blockchain est une sorte de comptabilité en parties multiples.

À quoi la blockchain peut-elle servir ? Les potentialités en sont infinies : création et circulation de cryptomonnaies électroniques (Bitcoin, Litecoin, Ethereum, Monero et autres) ou de valeurs mobilières, compensation et règlement- livraison de titres financiers, exécution automatique de contrats, etc. De nombreuses utilisations ont d’ores et déjà vu le jour : Bitcoin, bien évidemment (la Bourse de Chicago a même lancé les premiers contrats à terme), mais aussi ce qu’il est convenu d’appeler les smart contracts : selon la presse, Axa a proposé la souscription par l’intermédiaire d’une blockchain d’un contrat d’assurance retard pour les vols en avion, dont la mise en oeuvre sera automatique dès lors que le souscripteur remplira les conditions ; Euronext et Euroclear réfléchissent également à un système de compensation et de règlement-livraison des titres cotés par blockchain ; des levées de fonds se multiplient, les Initials Coins Offerings (ICO), à l’encadrement desquels réfléchit l’AMF. La France même s’est déjà dotée de deux séries de textes, dont on sent bien qu’ils sont l’expérimentation du système et le creuset de futures autres applications : l’émission et la circulation par blockchain des « minibons » de caisse et des titres non cotés.

Quelles sont les limites intrinsèques du système ? Sans être exhaustif, évoquons-en deux, liées à sa sécurité. Il n’est pas certain qu’il soit parfaitement protégé et que des incursions soient impossibles, car c’est déjà arrivé. Par ailleurs, bien que l’on avance qu’il a la vertu de s’autogouverner et ne nécessiter aucun tiers de confiance, il n’en reste pas moins qu’il comporte de nombreux intervenants, les personnes qui exploitent les ordinateurs, les « mineurs ». Or ceux-ci restent inconnus et sont de plus en plus en plus concentrés (« les fermes ») dans des régions où le respect de la confidentialité n’est pas forcément évident (Chine, Mandchourie) ; et comment se rémunèrent-ils ?

De plus, l’analyse juridique des différentes opérations possibles par une blockchain est difficile, d’autant que cellesci peuvent être de natures très différentes. Se posent déjà quelques questions très générales. Lorsque l’instruction porte sur un actif dématérialisé, par exemple une  cryptomonnaie, s’agit-il d’une opération de banque, d’un service d’investissement, d’une intermédiation en biens divers ou d’autre chose encore ? S’agissant de l’exécution automatique d’un smart contract, le droit civil, le droit de la consommation et le droit commercial n’ont-ils pas leur mot à dire s’il y a une contestation sur la validité, l’interprétation ou l’exécution du contrat ? Enfin, en cas de contentieux, où plaider, contre qui et selon quelle loi ?

Il faudra bien un jour encadrer la blockchain, certes de manière adaptée. Espérons que cela soit fait avant qu’un scandale financier ne survienne, avec de très nombreux épargnants spoliés. Le minage, qui offre d’immenses possibilités, comme hier le Web, ne doit être ni un espace de non-droit, ni un mirage…

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº177
RB