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Euro numérique, acte un

Créé le

30.06.2023

-

Mis à jour le

04.07.2023

La Commission européenne a présenté mercredi 28 juin un cadre pour l’éventuelle création d’une monnaie digitale de banque centrale.

C’est un premier pas. La Commission européenne (CE) a présenté mercredi 28 juin une proposition établissant un cadre législatif pour un éventuel euro numérique. Ce texte constitue, avec un second visant à préserver l’offre de « cash » et sa facilité d’accès pour les particuliers, un paquet législatif pour conforter la place, l’acceptation et l’usage de la monnaie unique, que ce soit sous forme d’espèces ou de « cash numérique » (« cash + »).

Le texte soumis à la négociation se « contente » de poser le cadre et les éléments essentiels qui permettraient à la Banque Centrale Européenne (BCE) d’introduire, le cas échéant, un euro numérique à destination des particuliers, soit une monnaie dite « retail », et non « de gros » (ou « wholesale »).

En ces temps de dématérialisation des services financiers et bancaires, l’exécutif européen l’envisage comme une alternative à la monnaie physique, présentant des caractéristiques équivalentes en termes de confiance des utilisateurs (puisqu’elle aura « cours légal »), de protection de la vie privée et de l’anonymat ainsi que d’inclusion financière. Le texte de la CE entend en effet garantir la gratuité d’un minimum de services liés à sa distribution. Les transactions devraient pouvoir être aussi effectuées hors connexion.

L’euro numérique est également considéré comme un moyen de dépasser la « fragmentation » du marché des services de paiement en Europe, où chaque Etat membre dispose de ses propres systèmes. Son utilisation serait une façon de favoriser l’interopérabilité entre pays européens voire hors des frontières de l’Europe.

L’accueil est circonspect

Les acteurs opérant les stablecoins placent leurs pions. Quelques pays, à l’instar de la Chine, émettent déjà leur propre monnaie digitale et les géants du numérique, notamment américains, ont bien entamé leur incursion dans l’univers des paiements électroniques à l’échelle internationale. En 2019, l’annonce du lancement de Libra, aujourd’hui avorté, avait quelque peu sonné l’alerte et convaincu l’Union européenne d’envisager sérieusement la création d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). « Battre monnaie » est la prérogative du pouvoir politique : garder la main dans ce domaine représente un véritable enjeu de souveraineté.

En dépit de ce légitime objectif, l’accueil de ce premier pas en direction d’un euro digital retail paraît plutôt circonspect.

La circonspection s’exprime quant à l’opportunité de distribuer l’euro numérique via les canaux retail au préalable plutôt qu’en tant que monnaie de gros.

Les acteurs privés posent la question du coût de cette distribution et de sa mise en œuvre. La Fédération bancaire française (FBF actionnaire de Revue Banque) évoque ainsi « l’ampleur des investissements à prévoir ». Avec d’autant plus d’acuité qu’un service minimal gratuit devra être fourni.

Une autre inquiétude concerne les risques éventuels de « bank run » vers l’euro digital au détriment des dépôts traditionnels. La FBF souligne à ce sujet « les effets potentiels d’une monnaie numérique de banque centrale sur la stabilité financière (déplacement des dépôts du système bancaire vers les autorités publiques) et l’économie ».

La Commission tente d’y répondre en émettant l’idée d’un montant maximal détenu sous forme numérique par chaque particulier.

Une question de société

Reste l’intérêt d’un tel euro numérique, pour les « utilisateurs finaux ». Quel usage, qui ne serait couvert ni par les cartes bancaires, ni par les virements, dont les virements instantanés, ni par les espèces, pourrait gagner à être effectué par l’euro numérique ? Quels avantages par rapport à une monnaie fiduciaire ? Quelles différences par rapport au paiement dématérialisé ? Quel bénéfice apporterait-il à s’inscrire dans un paysage où les wallets, ces portefeuilles numériques, sont déjà en cours d’adoption ?

« Il n’existe pas à date de besoin qui ne serait pas déjà couvert par une des solutions existantes ou en cours de développement. L’euro dématérialisé est offert depuis des années par les banques commerciales qui sont supervisées par la European Central Bank », relève la FBF.

L’alternative ainsi ouverte laisse craindre des difficultés à convaincre de son utilité. Son développement repose sur la fréquence et l’amplitude de son usage par les particuliers.

« La proposition faite aujourd’hui aidera à cadrer le débat autour de ce qu’est un euro digital et des avantages à le créer. Nous sommes au début d’un long processus démocratique, l’un de ceux qui sera fait main dans la main avec les Parlement et Conseil européens  et, bien sûr, la Banque Centrale Européenne, qui décidera si et quand il faut introduire l’euro digital », a déclaré Mairead Mc Guiness, commissaire européenne aux Services financiers, à la Stabilité financière et à l’Union des marchés des capitaux, lors de la présentation de cette proposition législative.

Au-delà des aspects techniques, le succès ou non de l’euro numérique est avant tout une question de société et le débat qui s’ouvre est éminemment politique.

RB