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Rétrospective 2019

Les banques européennes sous pression

Créé le

18.12.2019

Après les importants efforts prudentiels accomplis dans le sillage de la crise financière de 2007-2008, les banques européennes callent devant le dernier opus bâlois : la finalisation de Bâle III, surnommée Bâle IV, soit par commodité, soit pour insinuer que cette finalisation cache en réalité un important changement. Selon les chiffres publiés le 4 décembre 2019 par l’EBA, l’application de Bâle IV devrait avoir pour conséquence, sur les banques européennes, une augmentation de 23,6% de leurs exigences minimales de fonds propres. Ce chiffre est légèrement plus bas que les 24,4% qui avaient été calculés en aout 2019 mais, pour les banquiers européens cela demeure trop important. Et Michel Bilger, responsable Régulation et Supervision chez Crédit Agricole SA, souligne la différence d’impact selon que le texte sera appliqué d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique : « Les banques européennes seront beaucoup plus pénalisées par Bâle IV que leurs homologues américaines qui, malgré leurs bilans plus risqués, vont paradoxalement afficher, elles, des ratios prudentiels en légère hausse sous l’effet du mauvais nouveau thermomètre bâlois. » Les établissements européens espèrent donc maintenant que la transposition du dernier accord de Bâle tiendra compte de leurs spécificités et fera en sorte qu’ils ne soient pas pénalisés.

Outre leur solvabilité, les banques doivent également améliorer leur résolvabilité c’est-à-dire être en mesure de se soumettre, le cas échéant, au mécanisme de la résolution : elles doivent notamment émettre une quantité suffisante de titres qui seront en première ligne en cas de renflouement interne (bail-in). Cette obligation est exprimée par le ratio MREL (pour l’Europe) ou TLAC (pour le monde). L’adoption le 14 mai 2019 du paquet bancaire, qui précise les attentes du régulateur européen en la matière, génère ainsi d’importants volumes d’émissions de dette bancaire (voir Pour en savoir plus). En l’occurrence, le contexte de taux bas favorise les banques. En effet, le coût pour les banques demeure raisonnable, le niveau des taux étant globalement très bas.

Mais les taux bas constituent à l’inverse un sérieux handicap pour elles dans leur activité de prêteur car ils pèsent sur leur rentabilité, ce qui n’a pas échappé aux investisseurs en actions qui ne sont guère séduits par les valeurs bancaires.

Les banques européennes sont en pleine remise en question, également sous la pression de la révolution digitale en cours, et nombre d’observateurs, comme l’économiste Nicolas Véron (Bruegel, Peterson Institute) estiment que le secteur bancaire européen doit se restructurer et que des fusions transfrontalières seraient les plus opportunes. Problème : dans sa forme actuelle, l’Union bancaire n’incite pas du tout les banques à réaliser des fusions transfrontalières ! L’achèvement de l’Union bancaire devrait donc constituer une priorité pour la mandature qui débute à Bruxelles mais les obstacles à surmonter sont encore nombreux !

S. G.

 

Ils ont dit

L’Europe doit appliquer Bâle IV

L’EBA a raison d’insister sur l’intérêt supérieur pour l’Union européenne de se mettre en conformité au standard international, comme le seront du reste les États-Unis, dans ce cas précis. Cela nécessitera un effort d’adaptation des banques, mais pour une bonne raison, et dans la période actuelle la Commission doit agir comme « gardienne du multilatéralisme », comme l’a dit Mme von der Leyen. […] La finalisation de Bâle III s’est décidée précisément en raison des effets des modèles internes. J’aurais personnellement préféré qu’on puisse faire l’économie de cette nouvelle phase de la réglementation prudentielle, mais c’est un fait que de mauvaises pratiques ont été observées dans l’utilisation des modèles internes. Si les banques avaient été vertueuses et bien contrôlées par leurs superviseurs, Bâle IV n’aurait pas été nécessaire.

Nicolas Véron, Économiste, Bruegel, Peterson Institute, Revue Banque n° 836, octobre 2019, pp. 18-22.

 

L’intérêt du renforcement des bilans reste à prouver.

Reste à voir si ce renforcement des bilans sera accompagné d’une amélioration similaire de la résilience des banques dans un scénario de crise. Disposer de plus de capital ne rend les banques plus sûres que si le capital supplémentaire leur donne l’opportunité d’utiliser ces coussins – même de manière temporaire – quand les temps se font plus rudes. Or il reste à voir dans quelle mesure les investisseurs et régulateurs autoriseront les banques à le faire. Sans cela, au prochain retournement de cycle, les banques continueront à adopter des comportements procycliques, réduisant rapidement leurs expositions dès que ces coussins sont menacés. Relever la barre prudentielle ne renforce le système que dans la mesure où cela n’augmente pas le risque qu’une banque « trébuche » sur une des multiples exigences à respecter.

Alexandre Birry, Managing Director, responsable mondial des études pour les Services Financiers, S&P Global Ratings, Revue Banque n° 830, mars 2019, pp. 20-23.

 

Encore un effort sur les prêts non performants

Les pays européens sont maintenant dotés de standards communs pour déterminer à quel moment un prêt devient non performant. Les critères concernent souvent le remboursement et en pratique, ce n’est pas facile à contrôler quand on est à l’extérieur de l’établissement. (…) Mesurer les NPL est loin d’être aisé, car il faut faire la différence entre une extension de crédit, une augmentation du montant du crédit et un non-remboursement. Donc malgré les standards communs que les Européens ont adoptés pour définir ce qu’est un NPL (absence de paiement des intérêts pendant une période donnée), il demeure très difficile d’harmoniser la qualité des NPL.

Jan Pieter Krahnen, professeur de Finance, Goethe University, Revue Banque n°830, mars 2019, pp. 24-26.

 

La profitabilité des banques malmenée

Après une décennie d’inflation réglementaire, les régulateurs ne donnent pas de signe d’essoufflement. Alors même que le fameux paquet « Bâle IV », dont l’accouchement fut si difficile, n’est même pas encore sérieusement discuté par la Commission et le Conseil, deux nouveaux textes d’importance ont été publiés récemment: le premier, relatif aux NPE (expositions non performantes), ne s’appliquera qu’aux grandes banques supervisées par la BCE ; le second regroupe en réalité plusieurs documents puisqu’il s’agit du nouveau « paquet bancaire » – défini par l’accord du 4 décembre 2018 – qui apporte des changements importants à la CRR, à la CRD 4 et à la BRRD. Ces changements ne seront pas sans impact sur la profitabilité des banques – déjà malmenée par le niveau historiquement bas des taux.

Jérôme Legras, directeur de la recherche, Axiom, Revue Banque n° 830, mars 2019, pp. 28-30.

 

Le risque d’un trop faible niveau de rentabilité

Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, a aussi mentionné le besoin de finaliser l’Union bancaire ce qui serait un élément important pour le secteur. Cette étape est une condition nécessaire – mais pas suffisante – pour rendre les fusions transfrontalières plus rentables via des économies d’échelle, la mutualisation des ressources de financement et une meilleure fongibilité du capital. L’Union bancaire, si elle était menée à terme, entraînerait également une mutualisation des fonds de garantie des dépôts, ce qui pourrait à terme améliorer la perception du risque, et donc le coût de financement et du capital, de certains systèmes bancaires européens, notamment en périphérie. Si le régulateur s’est surtout soucié de réduire le risque du secteur, un niveau de rentabilité trop faible constitue un risque en soi, qui in fine peut même s’avérer contreproductif.

Stéphane Déo, stratégiste, et Stéphane Herndl, Analyste Senior bancaire, LBPAM, Revue Banque n° 836, octobre 2019, pp. 30-32.

 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº839
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