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L’épargne retraite à l’heure digitale : présenter une offre différenciante sur le marché

Créé le

25.03.2019

-

Mis à jour le

29.03.2019

La loi PACTE prévoit des mesures pour redynamiser l'épargne retraite. Cela représente une opportunité pour les acteurs (banques, assureurs et gestionnaires d'actifs) de proposer une nouvelle offre de retraite, couvrant des services financiers et non financiers. Les nouvelles technologies digitales permettront d'ouvrir cette offre à l'ensemble des épargnants.

Quelles sont les mesures incluses dans la loi PACTE qui vont changer l’épargne retraite ?

Marianne Tanguy (M. T.) : La loi PACTE devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2020. Les changements apportés ont notamment pour objectif de modifier le comportement des particuliers face à la retraite : le gouvernement souhaite que ceux-ci deviennent des acteurs à part entière du financement de leur retraite et deviennent conscients de la nécessité d’épargner pour leur retraite et que cette épargne soit facilitée et attractive.

La loi PACTE entend également promouvoir les produits de retraite aujourd'hui peu populaires auprès des épargnants : leurs encours en France sont d’environ 220 milliards d’euros face à 1 700 milliards d’encours d’assurance vie.

La somme de ces deux montants ne représente qu’un tiers de l’épargne financière totale des Français.

Dans ce contexte, la loi PACTE propose quatre mesures principales :

  • la portabilité : lorsqu’un épargnant changera d’entreprise, il aura la possibilité de transférer les avoirs accumulés sur un autre produit de retraite, chez un autre acteur ;
  • la généralisation de la gestion pilotée par défaut : il va falloir systématiquement adapter l’épargne au profil de risque de l’épargnant, défini en fonction de son appétit du risque et de sa connaissance des produits de placement ; mais il faudra aussi faire évoluer ces placements avec le temps : au départ il s’agira d’épargne de long terme en vue de la retraite, investie principalement en actions, mais à l’approche de la retraite une sécurisation progressive de cette épargne devra être organisée sur des produits obligataires ;
  • la flexibilité sur les modalités de sortie : lors de son départ en retraite, chaque épargnant aura la possibilité de choisir le mode de versement du capital accumulé, pour la partie issue de versements volontaires, en rente ou en capital, ou un mix des deux ;
  • enfin, l’allègement fiscal. Pour inciter les épargnants à investir dans ces produits, les cotisations versées seront déductibles du revenu imposable, jusqu’à hauteur de 10 % du salaire minimum.
L’État vise une croissance de l'épargne retraite, à hauteur de 100 milliards d’euros d’encours supplémentaires d'ici à 2020, sachant que, sur ce montant, 50 milliards sont considérés comme une croissance naturelle. Les fonds nouveaux pourraient notamment venir de l’assurance vie.

Ces mesures seront-elles suffisantes pour inciter les particuliers à une meilleure préparation à la retraite ?

M. T. : La loi va clairement dans le bon sens, mais il existe une inertie forte des Français quant au changement de leurs habitudes d’épargne. Les épargnants ont besoin de mieux comprendre les mécanismes et d’être accompagnés dans leur choix d’épargne.

C’est une grande nouveauté : jusqu’à présent, les gestionnaires d’actifs distribuent uniquement le Perco [ Plan d’épargne pour la retraite collectif : plan d’épargne salariale en vue de la retraite] , tandis que les assureurs proposent des produits de retraite individuels (Perp/Madelin) ou collectifs (art. 83).

Cela peut conduire certains acteurs à se repositionner pour maximiser la captation de valeur ajoutée et créer une incitation supplémentaire pour que les particuliers épargnent plus et différemment.

Mais il faudra accompagner les épargnants dans cette démarche.

Pourquoi faut-il envisager aujourd’hui un accompagnement des épargnants ?

M. T. : L’épargne retraite s’articule en trois phases : l’accumulation tout d’abord avant le départ en retraite, la phase pivot du passage à la retraite et enfin la phase de décumulation.

Cette dernière étape n’a pas encore été traitée en tant que telle en France, contrairement aux pays anglo-saxons et à l’Asie.

En tant que retraité, le particulier va avoir plusieurs types de besoins :

  • pour maintenir son niveau de vie, il va dépenser une partie de son épargne et il lui faudra des placements de court terme et très liquides ;
  • il aura ensuite besoin de placements de moyen terme à horizon de son espérance de vie. Beaucoup de retraités vont continuer à épargner pour financer les effets d’une éventuelle dépendance et couvrir des frais de santé qui peuvent croître fortement avec l’âge ;
  • enfin, il souhaitera sans doute réinvestir une partie de son épargne sur le long terme dans un objectif de succession.
Ces trois poches de placement doivent être gérées de façon coordonnée mais dissociée, parce que chacune d’entre elles requiert des instruments financiers différents en fonction de leur horizon de placement et du profil de risque de l’épargnant.

Or les épargnants peuvent être répartis en deux catégories : les hauts revenus qui sont déjà suivis par un conseiller financier lui-même soutenu par une cellule patrimoniale pour répondre à des questions souvent complexes, par exemple concernant la fiscalité. En revanche le petit épargnant qui pourra désormais récupérer sa retraite en capital, ne bénéficie aujourd’hui d’aucun dispositif d’accompagnement.

De quel type d’accompagnement pourraient bénéficier les épargnants qui ne relèvent pas d’une gestion patrimoniale ?

M. T. : Notre conviction est qu’il serait utile de mettre à la disposition des épargnants une plate-forme en ligne expliquant simplement les options possibles avec accompagnement dans les phases de constitution d’épargne préretraite et de décumulation.

Cette plate-forme proposerait des services financiers, par exemple les possibilités de placements correspondants aux différents besoins liés à la décumulation ; mais elle pourrait aussi proposer des services non financiers, que ce soit des services sur la santé et la dépendance, qui correspondent à un questionnement fort des particuliers, mais aussi d’autres services liés à la silver économie parce que les retraités ont des loisirs, veulent bien vieillir, voyager, faire du bénévolat…

Sylvain Canu (S. C.) : En effet, si l’objectif est de servir le plus grand nombre avec un niveau de services de qualité et assez exhaustif, il faut passer par le canal digital, ce qui n’est plus un frein même pour les seniors, car ceux-ci sont aujourd'hui largement équipés et familiarisés avec les smartphones ou les tablettes. Le conseil et l’accompagnement humain pourront être à tout moment sollicités grâce à un parcours fluide et omnicanal. Un autre point intéressant du modèle de plate-forme est sa logique biface : d’un côté, il donne accès pour un grand nombre de clients à un large éventail de services pour préparer et gérer sa retraite, de l’autre il permet aussi à des partenaires tiers d’être aisément intégrés sur la plate-forme pour exposer leur offre de services. Or les banques ou les assureurs savent que s’ils souhaitent présenter une offre globale autour de la retraite, ils ne pourront pas délivrer eux-mêmes tous les services nécessaires au bien vieillir et à la dépendance, et vont devoir recourir à des partenaires en marque blanche ou en marque propre.

Entre ouverture à la concurrence et digitalisation de l'offre, quelle peut-être la stratégie des gestionnaires d’actifs, banques et assurances dans ce contexte ?

S. C. : Les gestionnaires d’actifs et les assureurs regardent tous ce sujet avec grand intérêt, à la fois sur le marché individuel mais aussi sur le marché collectif. Sur le marché individuel, les banques de détail ont un avantage structurel puisqu’elles ont la relation client, la récurrence de contacts, la gestion des comptes courants, des crédits, d’une partie de l’épargne… Il est donc tout à fait naturel qu’elles se positionnent sur le sujet de la retraite pour essayer de conserver leurs clients au moment du passage à la retraite.

Les assureurs de leur côté voient une opportunité pour fidéliser leurs clients sur la dimension épargne, mais aussi pour aller chercher de nouveaux clients sur le thème de la défiscalisation et de la préparation à la retraite, par exemple dans la tranche d’âge des 55 ans, ou auprès de sa clientèle de professionnels, pour capter également sa sphère individuelle.

Pour les gestionnaires d’actifs enfin, déjà bien positionnés sur l’épargne salariale, l’épargne retraite constitue une certaine continuité de leur activité. Cela correspond notamment à une demande de leurs grands clients corporate d’avoir une offre globale d’épargne salariale et d’épargne retraite et éviter ainsi la paupérisation que peut entrainer une baisse de revenus si elle n’est pas préparée. Enfin, qu’il s’agisse de grands groupes ou de PME, une telle offre constitue un levier d’attractivité pour le recrutement et permet la fidélisation du salarié.

Ainsi les trois types d’acteurs qui détiennent aujourd’hui la relation client ont un intérêt à jouer la partie.

À terme, pourrait survenir l’émergence d’acteurs « ubériseurs » qui pourraient désintermédier les acteurs traditionnels avec une plate-forme performante et une expérience client très étudiée distribuant toutes les offres et les services des banques, assureurs ou gestionnaires d’actifs. Mais cela prendra sans doute plus de temps ; pour l’heure les FinTechs ou autre start-up innovantes vont plutôt chercher à nouer des partenariats avec des grands acteurs de la Place.

Quel investissement représente la structuration d'une telle plate-forme ?

S.  C.  : C’est une question déterminante pour nos clients : si la loi PACTE déclenche un effet d’entraînement immédiat sur une offre de produits de retraite, l’investissement sera justifié. En revanche, si le démarrage est plus timide, il faudra calibrer l'investissement plus progressivement.

M. T. : Sachant que les acteurs qui fournissent déjà un service de conseil en investissement ont généralement une première solution car ils ont dû intégrer les contraintes de Mifid 2 et se sont équipés d’outils. Ils doivent en effet déjà conseiller leurs clients sur la partie placements en fonction de leur profil de risque et leur connaissance des produits d’investissement. Ils vont probablement dans un premier temps voir comment enrichir cet outil existant avec les spécificités nouvelles introduites par la loi PACTE.

De même, les différents prestataires d’épargne salariale ont des plates-formes de services pour les entreprises et leurs salariés. Les banques, quant à elles, mettent à disposition des plates-formes de services pour la gestion des comptes personnels mais personne n’a été jusqu’au bout pour agréger une proposition de valeurs qui gère l’accumulation, la décumulation, l’offre de produits, de conseils, les simulateurs et tous les services connexes.

L’acteur qui pourra le premier proposer une plate-forme pertinente pour sa population cible, présentera une offre véritablement différenciante sur le marché.

Ces pratiques innovantes peuvent-elles s’étendre à d’autres formes d’épargne ?

M. T. : Ces mêmes outils peuvent gérer l’ensemble de l’épargne financière, qu'il s'agisse de protéger l'épargne, d'optimiser les placements, préparer sa retraite, les budgets d’études des enfants ou un placement dans l’optique d’un achat à court ou moyen terme. Tous ces besoins peuvent être gérés sur la même plate-forme et cela permet de faire jouer des synergies.

Les acteurs présents dans d’autres pays européens se posent aussi la question de savoir si ce n’est pas le moment d’essayer de créer une solution qui pourrait être opérationnelle au niveau européen pour les pays dans des situations un peu similaires.

Propos recueillis par E. Coulomb.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº831
Notes :
null Plan d’épargne pour la retraite collectif : plan d’épargne salariale en vue de la retraite]