Confronté à des crises violentes entre 2008 et 2012 (crise des subprime, puis crise des dettes publiques), le secteur bancaire s’est renforcé dans la décennie suivante, afin de se prémunir des prochaines turbulences, sous l’action conjointe du régulateur et des établissements.
Face à la crise, des établissements bancaires mieux préparés et soutenus en 2020
Au niveau réglementaire, les ratios et stress-tests à respecter sont plus sévères et plus nombreux (en termes de solvabilité, liquidité, qualité de l’actif…) et le contrôle du secteur s’est renforcé et harmonisé par la mise en œuvre d’un mécanisme de supervision unique (MSU). La communication financière s’est enrichie dans le cadre du Pilier 3 du dispositif bâlois. Au niveau comptable, les établissements ont adopté de nouvelles normes comptables IFRS 9 pour le classement des titres et le provisionnement. Au niveau opérationnel, la gestion de la chaîne du crédit a été améliorée sur les étapes d’octroi, de gestion et de recouvrement.
Au-delà de ses propres efforts, le secteur a reçu en 2020 l’appui des banques centrales, des gouvernements et des grandes institutions du secteur. Leur réaction, à défaut d’être parfaitement coordonnée, a été plus rapide et puissante qu’en 2008. Sur la valeur de leurs actifs, les banques ont bénéficié du programme BCE PEPP de rachats de titres
La crise sanitaire s’est convertie en krach boursier, à partir des premières mesures de confinement italien (21 février). Les titres bancaires ont alors perdu jusqu’à deux tiers de leur valeur en un mois (voir Graphique 1). Le secteur bancaire a été l’un des plus impactés de la cote
En novembre, des résultats T3 supérieurs aux attentes ont provoqué un rebond boursier, accentué par l’euphorie consécutive aux annonces de vaccin. Ainsi, le recul du résultat net sur les neuf premiers mois est seulement de 13,4 % pour BNP Paribas et 17 % pour le Groupe Crédit Agricole, par rapport à la même période en 2019. Ces baisses sont moins violentes qu’en 2008 (respectivement -61 % et -75 %).
Fort de ces résultats, un retour au versement de dividendes est d’ailleurs prévu sur le résultat 2020, assorti de conditions.
Pour résoudre ce paradoxe « crise profonde/résultat résilient », nous proposons d’étudier plus en détail les résultats du troisième trimestre 2020. Si les constats varient entre établissements, de grandes tendances apparaissent (voir Graphique 2).
Une activité de banque de détail qui est restée soutenue
La marge nette d’intérêt (MNI) représente la différence entre les intérêts perçus d’une activité de crédit (à l’actif) et le coût du refinancement (au passif). Ce revenu a été relativement résilient, pour au moins quatre raisons :
1. Il a bénéficié d’une inertie liée au stock de crédits existant (notamment crédits long terme).
2. L’inversion de la courbe des taux qui était redoutée, ne s’est pas produite, malgré l’entrée en récession à laquelle elle est souvent associée. Les taux d’intérêt sont corrélés à l’inflation, qui elle-même reflète l’activité économique. Lorsque le marché anticipe une récession, les taux longs sont susceptibles de diminuer, et la courbe des taux s’aplatit voire s’inverse, comme constaté brièvement à l’été 2019. Au contraire d’une inversion, la courbe des taux s’est légèrement « pentifiée » durant l’année 2020, probablement dans l’anticipation d’une sortie de crise rapide. Cette pentification profite à la marge nette d’intérêt, car les crédits à l’actif des banques ont une duration plus longue que les refinancements au passif.
3. Le TLTRO, opération de refinancement menée par la BCE, a permis d’abaisser le coût du refinancement, compensant en partie le coût lié à la hausse des dépôts pendant le confinement.
4. L’octroi a baissé certes mais sans s’effondrer : dans les crédits à la consommation, la baisse de production a atteint 13 % sur les neuf premiers mois de l’année
Ces observations sur les taux bas et les volumes records demandent toutefois à être confirmés, certains professionnels de l'immobilier indiquant au 4e trimestre que les critères d’octroi se sont resserrés. La part des demandes de crédits refusées serait ainsi passée de 5,5 % en 2019 à 17 % en fin d’année 2020, justifiant une action conjointe auprès du HCSF
Un contexte de stress favorable aux activités de BFI, avec toutefois quelques accidents
Quelques activités ont été fortement affectées. Les activités de BFI Action ont été touchées par la baisse des introductions boursières (aucune opération au deuxième trimestre en France), ainsi que par les fortes pertes sur des produits structurés exposés aux contrats futures sur dividendes. Les activités de conseil en fusions-acquisitions ont subi un effet prix et un effet volume (attentisme et difficultés opérationnelles pour mener les opérations)
À l’inverse, beaucoup de métiers de la BFI ont bénéficié du stress et de la volatilité. Les besoins de financements des entreprises ont porté les activités de crédits, d’émission de dette et de convertible, ainsi que les activités action d’accelerated bookbuilding
Les activités de taux et change ont également bien tenu dans ce contexte volatil.
Dans l’assurance, le contexte incertain a créé de nouveaux besoins, mais aussi des charges
Malgré son image de placement sûr, l’assurance-vie a subi huit mois de décollecte entre mars et octobre, au profit du Livret A notamment. Toutefois, cette décollecte reste d’ampleur limitée
La crise de la Covid a entraîné une évolution dispersée de la sinistralité, à la hausse dans la prévoyance à cause de la surmortalité, à la baisse dans l’auto et la santé durant le confinement.
L’incertitude sanitaire et économique a accentué les besoins de couverture pour toutes catégories de souscripteurs, sous forme d’assurance des personnes, assurance des emprunteurs, assurance des pertes d’exploitation d’entreprise. Le travail à distance a induit des besoins d’assurance liés au cyber risque. À l’inverse, l’évolution du marché automobile reste incertaine, entre chutes et redécollages
Des encours de gestion maintenus, grâce au rebond des marchés et à une décollecte limitée
Freinés dans leurs dépenses par le confinement, les Français ont renforcé leur épargne, qui a d'abord bénéficié aux produits d'épargnes de précaution. Puis la collecte de la gestion d'actif a repris au T3, principalement sur les produits de trésorerie. Sur les produits moyen et long terme, la chute des marchés a impacté mécaniquement les commissions de gestion, proportionnelles à l’assiette, qui représentent la principale source de revenus. Toutefois cet impact a été atténué par la forte remontée du marché, la variation du CAC 40 se limitant à 7 % en 2020. En outre, il n'y a pas eu d'effet significatif de décollecte sur ces produits.
En considérant tous les actifs, le gérant Amundi citait une décollecte de 4 Mrd€ au 1er semestre, touchant principalement des produits de trésorerie soit 0,25 % d’un encours de 159 milliards d'euros. Grâce à un solide troisième trimestre, son encours est repassé en légère hausse sur les neuf premiers mois de l’année
Les établissements français ont pu contenir voire diminuer leur base de coût sur les trois premiers trimestres 2020. Les coefficients d’exploitation
Le provisionnement est en forte hausse, mais est-il suffisant ?
Dans le cas des établissements français, sur les neuf premiers mois de l’année, le montant du coût du risque a été multiplié en moyenne par 2,3 par rapport à la même période de l’année précédente (v. Graphique 4). Ces provisionnements visent à se couvrir contre des défauts futurs. À la fin du troisième trimestre 2020, l’augmentation du taux de douteux sur les quatre grands groupes étudiés est située entre +0,0 pt et +0,2 pt selon les établissements. Au niveau européen le taux de NPL n’a évolué que de 0,1 pt entre la fin d’année et le 30 septembre
Les créances d’un établissement sont enregistrées à son actif et dépréciées sous forme de provisions dont le stock vient diminuer l’actif. Par le passé, les provisions étaient déterminées en se basant sur les pertes avérées, essentiellement déterminées à partir des historiques de défaut, selon les normes IAS39
Dans un premier temps, le régulateur a surtout appelé les banques à éviter la procyclicité, c’est-à-dire leur tendance à amplifier le cycle économique, en accentuant l’octroi en expansion et en le resserrant en période de récession. Un communiqué du 1er avril 2020 avançait la notion de « flexibilité » et appelait ainsi à « réduire la volatilité inappropriée dans le capital réglementaire et le compte de résultat »
Huit mois plus tard, la BCE
Les enseignements de l’année 2020 pour le secteur bancaire
Le rôle des banques centrales
Les annonces de programmes de rachat de titres
Les banques au service de la politique publique
En relayant le dispositif de PGE, les banques ont été perçues en 2020 comme un appui, alors qu’elles étaient considérées comme une cause de la crise en 2008. Elles devront gérer à partir de 2022 les premiers remboursements des PGE
La question en suspens des NPL
Si les taux de douteux ont peu varié en 2020, la gestion du flux sera un enjeu des années 2021 et 2022, par recours à des solutions classiques (restructuration, recouvrement), ou par des déconsolidations incluant la création de sociétés nationales de gestion de portefeuille (SGP), comme encouragé par le Parlement européen
Le premier stress sous IFRS 9
La crise de la Covid représente le premier stress depuis la mise en œuvre d’IFRS 9 en janvier 2018. Un objectif initial de la norme était d’éviter des variations trop abruptes dans le provisionnement. La vertu d’anticipation se comprend lorsque la conjoncture se dégrade lentement. Toutefois, cette crise présente des caractéristiques différentes : une apparition brutale, une durée incertaine, un amortisseur lié aux aides publiques (PGE…). La norme n’a probablement pas freiné l’octroi depuis sa mise en œuvre et l’application de sa dimension prospective a manqué d’homogénéité entre établissements.
Les vertus de la diversification
Les activités de BFI ont contribué à la résilience des résultats et confirment ainsi la pertinence d’un modèle diversifié, qui est également valable hors-crise lorsque les activités de détail sont pénalisées par des taux bas.
Les produits à risque
Cette crise, comme les précédentes, a montré les limites de certains produits en situation de stress inattendu. L’exposition aux futures sur dividendes a pénalisé des établissements français au premier semestre. La gestion des risques liés aux produits structurés reste donc un sujet.
Des modèles à repenser pour l’assurance
Pour les bancassureurs, les activités d’assurance sont essentielles, puisqu’elles représentent un relais de croissance et parfois plus de 20 % des résultats. Le secteur de l’assurance propose un service, dont les coûts (dédommagements) et une partie des revenus (placements) ne seront connus qu’a posteriori. Face à de nouveaux risques, le secteur doit réétudier son offre et ses tarifs, comme il l’a déjà fait par le passé (ex. risque climatique, amiante, terrorisme…) pour prospérer dans l’inconnu.
Le périmètre des groupes
Le contexte et les incertitudes sur les taux de défaut pourraient freiner les velléités de rapprochement, mais les valorisations pourraient aussi inciter à étudier des cibles, à l’image d’autres consolidations en Europe (acquisition d’UBI Banca par Intesa San Paolo en Italie, fusion de Caixabank et Bankia en Espagne).
L’avenir du télétravail
Certaines banques ont amélioré leur coefficient d’exploitation malgré les périodes de confinement. Les vertus et limites du télétravail doivent être étudiées, en termes de coût, efficacité, bien-être, sécurité des données.
Le problème structurel de sous-rentabilité
Les problèmes d’avant-crise n’ont pas disparu, notamment le manque de rentabilité des fonds propres (voir Graphique 5). La solvabilité a bien été renforcée depuis 2008, et préservée en 2020, mais les fonds propres demeurent le dénominateur du ROE…
Anticiper dès 2021 la sortie des dispositifs d’aide
En 2020, l’action conjuguée de l’État et des banques centrales a notamment évité la transmission de la crise économique
C’est dans ce contexte que les établissements doivent repenser dès 2021 leur modèle économique sur la base d’un scénario de sortie de crise progressive, dans la durée. L’année 2022 sera sans nul doute un tournant décisif.