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L’action de groupe fait ses premiers pas en France

Créé le

17.12.2014

-

Mis à jour le

23.12.2014

C’est un débat vieux de 30 ans qui vient d’être tranché : la France s’est finalement dotée de l’arme juridique de l’action de groupe. À travers une même action en justice, plusieurs – voire de nombreux – consommateurs peuvent demander la reconnaissance du même préjudice et obtenir une indemnisation, quand bien même le montant de cette dernière serait faible. C’est la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », complétée par un décret du 24 septembre 2014, qui fixe le droit en la matière. Pas question toutefois de reproduire le système américain des class actions qui coûterait l’équivalent de 2,1 % du PIB [1] des États-Unis aux entreprises condamnées. Ne peuvent ainsi initier une action de groupe auprès du tribunal de grande instance que les associations de consommateurs agréées par le ministère de l’Économie, au nombre de 15 [2] . Ce filtrage exclut donc d’entrée de jeu la création d’associations ad hoc de consommateurs s’estimant victimes d’un même préjudice. Autre limitation : seuls les dommages matériels peuvent aujourd’hui faire l’objet d’une réparation. Les dommages corporels, moraux ou, plus largement, extrapatrimoniaux ne sont pas inclus dans l’action de groupe telle qu’est définie par la loi de mars 2014. Mais le sujet est d’ores et déjà en discussion entre le législateur et l’exécutif.

Dès l’entrée en vigueur du décret le 1er octobre, plusieurs associations se sont lancées : pour l’instant, une seule concerne le secteur financier à travers l’assurance vie (lire Encadré). Le fait est que lors des discussions au Parlement, un doute planait sur l’inclusion des produits financiers au champ de l’action de groupe. « Aucun argument de texte ne permet d’exclure formellement les produits financiers », note aujourd’hui Martine Boccara, juriste chez BNP Paribas, tout en précisant que « des préjudices qui pourraient résulter d’un conseil du prestataire » ne seraient a priori pas éligibles. Mais des sujets comme l’assurance emprunteur ou les ventes liées (contrats d’assistance, par exemple) pourraient vraisemblablement se retrouver concernés. Pour l’instant, chacune des associations de consommateurs concentre ses efforts sur une action et le secteur bancaire a été épargné. Mais en cas de réussite de l’une d’elles, la machine pourrait s’enclencher rapidement.

 

Ils ont dit...

 

Un courant européen

« La France s’inscrit dans un courant européen, plusieurs États membres de l’Union européenne s’étant d’ores et déjà dotés d’un cadre législatif en la matière, chacun présentant ses propres spécificités quant au champ d’application (secteur financier en Allemagne ; inclusion du droit de l’environnement en Suède et du droit de l’environnement et de la santé publique au Portugal), aux personnes compétentes pour saisir les tribunaux (associations, personnes privées et autorités publiques en Suède), aux tribunaux compétents (tribunaux administratifs également compétents en Italie et au Portugal), ou encore au mode de constitution du groupe (si l’opt-in est privilégié en règle générale, un opt-out est mis en place au Portugal et aux Pays-Bas). Cette procédure est utilisée en dernier recours en Angleterre et au Pays de Galles.

La Commission européenne s’est de longue date déclarée favorable à la mise en place d’une action de groupe ; elle s’est exprimée à plusieurs reprises en ce sens depuis 2005. Elle a ainsi lancé une consultation publique en 2011 et adopté, le 11 juin 2013, un projet de directive et une recommandation n° 2013/396/UE relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres, les invitant à se doter de mécanismes de recours collectifs et à assurer une approche homogène au sein de l’Union. Bien que les préconisations de la Commission ne soient pas contraignantes, elles pourraient servir de référence dans une future adaptation de l’action de groupe. »

Martine Boccara, juriste à la direction des affaires juridiques du groupe BNP Paribas, Hors-série Banque et Droit, novembre 2014, p. 6.

 

Assurer le risque de class action

« En exprimant à peu près les mêmes craintes que les autres distributeurs de contrats d'adhésion, les assureurs considèrent que la transférabilité du risque de class action est l'instrument de la conciliation entre la protection des consommateurs et la sécurité financière des entreprises. L'assurabilité est analysée tant du point de vue de la responsabilité civile (RC) des entreprises que de la mise en œuvre de la protection juridique pour les plaignants. La FFSA (Fédération française des sociétés d'assurances) a tenté d'évaluer le coût global du sinistre annuel “action de groupe” : 30 à 40 actions par an, avec un plafond d'indemnisation à 4 000 euros aboutiraient à un surcoût de sinistralité de 500 à 600 millions d'euros par an pour la RC entreprises, soit une augmentation de l'ordre de 35 % des paiements de sinistres annuels de la branche. D'une manière générale, la FFSA craint un retour en arrière vers le traitement judiciaire de nombreux litiges et sinistres au détriment de la transaction. […] Naturellement, assureurs et réassureurs sont extrêmement sensibles à la rétroactivité de la loi (volatilité juridique qui conduit à couvrir de fait des engagements sans avoir reçu de primes). »

Géraldine Fontaine, responsable Communication et Affaires publiques chez Scor, Banque et Stratégie n°330, novembre 2014, p. 5.

 

« La patience de Pénélope »

« L’action de groupe de la loi Hamon demandera des trésors de patience... presque la patience de Pénélope qui attendit 20 ans son époux Ulysse... Il faut d’abord que l’Autorité de concurrence découvre les faits, instruise le dossier et rende sa décision. L’entreprise condamnée va ensuite épuiser les voies de recours contre la décision de l’Autorité de concurrence, jusqu’à ce que celle-ci soit définitive. L’action de groupe sera alors engagée ou, ayant été engagée avant mais suspendue, elle suivra son cours. Le jugement “civil” prononçant la responsabilité de l’entreprise lors de l’action de groupe sera rendu, et l’entreprise pourra encore épuiser les voies de recours au civil contre le jugement. Ce n’est qu’ensuite que le consommateur pourra être indemnisé. C’est dire qu’il attendra sans doute souvent huit à dix années avant d’être indemnisé ! Peut-être y aura-t-il une discussion sur la question de savoir si le professionnel pourrait être condamné au paiement d’une provision. Mais cela ne risque-t-il pas de se heurter à l’article L. 423-4, al. 2, du Code de la consommation qui dispose que “les mesures de publicité de la décision […] ne peuvent être mises en œuvre qu’une fois que la décision sur la responsabilité n’est plus susceptible de recours ordinaires ni de pourvoi en cassation”. Or, ce sont les mesures de publicité qui vont permettre de constituer le groupe. Et cette constitution serait nécessaire pour demander une provision. En d’autres termes, une provision pourrait peut-être être obtenue au moment où elle serait la moins essentielle, parce que l’action de groupe serait en passe d’aboutir. »

Martine Behar-Touchais, codirectrice de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne, Hors-série Banque et Droit, novembre 2014, p. 34.

1 Source : Lisa Rickard, Institute for Legal Reform, in Le Figaro Débats, 27 juin 2008. 2 ADEIC, AFOC, ALLDC, CGL, CLCV, CNAFAL, CNAFC, CNL, CSF, Familles de France, Familles rurales, FNAUT, Indecosa-CGT, UFC-Que choisir, UNAF.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº779
Notes :
1 Source : Lisa Rickard, Institute for Legal Reform, in Le Figaro Débats, 27 juin 2008.
2 ADEIC, AFOC, ALLDC, CGL, CLCV, CNAFAL, CNAFC, CNL, CSF, Familles de France, Familles rurales, FNAUT, Indecosa-CGT, UFC-Que choisir, UNAF.