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Éditorial

Sauver le volet répressif de la régulation

Créé le

06.10.2015

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Mis à jour le

29.10.2015

La régulation suppose la répression, mais est-il absolument nécessaire que la même institution soit chargée des deux ? On peut rester attacher à la séparation des pouvoirs, gage de bonne démocratie, et, dans l’absolu, préférer que toute sanction autre que purement disciplinaire soit prononcée par une juridiction, car on peut estimer qu’il n’y a rien de mieux qu’un juge pour juger. Il n’y a pas de supériorité intrinsèque d’une autorité administrative sur l’autorité judiciaire ; une juridiction spécialisée, composée adéquatement, dotée de larges pouvoirs d’enquête et de sanction et bénéficiant des moyens nécessaires, ferait aussi bien. Mais on est en France, où le politique et l’administratif, intimement liés, l’emportent toujours sur le judiciaire. Pourtant, l’AMF est un curieux Janus, tantôt autorité administrative, tantôt autorité répressive, ce qui ne laisse pas complètement satisfait le juriste-citoyen. Mais il faut reconnaître que les questions abordées relèvent autant de l’expertise que du jugement et que l’objectif de la régulation est un peu différent de celui de la Justice, ce qui justifie une institution qui oeuvre à la régulation du secteur financier tant avec les moyens de la réglementation, de la surveillance et du contrôle qu’avec ceux de la sanction. La Commission des sanctions de l’AMF a trouvé sa place dans le paysage français et largement rempli le rôle qui lui avait été assigné, dans des conditions qui, aujourd’hui, lui confèrent sa légitimité. Dès lors, par réalisme et pragmatisme, il faut sauver son pouvoir de sanction. Voilà qui rend assez improbable la création d’une juridiction spécialisée, le Tribunal des marchés financiers, outre la complexité technique du projet.
Cependant, il faut mettre en harmonie le système français avec le principe ne bis in idem, consacré avec force par la Cour EDH et moins nettement par le Conseil constitutionnel, ce qui oblige à une conciliation des contentieux des abus de marché, le contentieux pénal et le contentieux administratif. Cette conciliation est difficile, car elle ne peut pas se faire au détriment de l’un ou de l’autre. D’un côté, le contentieux pénal ne peut pas être écarté, parce que la dernière directive relative aux abus de marché impose la sanction pénale pour les cas les plus graves et ceux dont l’intention de l’auteur est la plus marquée. Autre raison, qui n’est pas négligeable : les exemples étrangers les plus parlants montrent que, même là où les sanctions administratives pécuniaires sont les plus lourdes (États-Unis), l’État ne se prive pas de la sanction pénale, à condition, évidemment, d’être prononcée chaque fois que nécessaire et en temps raisonnable. Certes, cela ne semble pas être le cas en France, où les procédures pénales ont du mal à aboutir et sont très longues, mais il ne faut pas sous-estimer le caractère dissuasif du risque de prison, même théorique. D’un autre côté, l’État ne peut se priver de la sanction administrative, car elle est nécessaire en raison même de son efficacité : elle vise large, tape fort et vite. Aussi, seule une articulation des deux est-elle envisageable. Mais la solution technique n’est pas simple, car, d’un côté, il faut respecter l’indépendance du Parquet par rapport à toute autorité administrative (la séparation des pouvoirs) et, de l’autre, préserver aussi l’indépendance de l’AMF. S’y ajoutent les susceptibilités de chaque camp, que révèle la lecture des propositions émises ici et là, par l’ancien Rapport Coulon, par le Rapport de l’AMF, par le Club des juristes et, semble-t-il, même si rien n’a encore été officiellement révélé, par la Chancellerie et le Parquet national financier, ce qui ne sera pas le plus facile.

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº163
RB