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Le surendettement des entreprises

Pourquoi une réforme ambitieuse du droit des entreprises en difficulté est-elle nécessaire ?

Créé le

16.09.2013

-

Mis à jour le

02.10.2013

La question du surendettement des entreprises et partant des procédures amiables et collectives, est un des principaux sujets de réflexion du think tank Droit & Croissance. Sophie Vermeille nous livre les conclusions de ces travaux sous la forme d’une « foire aux questions », notamment les pistes de réformes qu’il estime nécessaire en matière de droit des faillites.

1. De nombreux rapports (FMI, Banque de France) ont mis en évidence les conséquences délétères sur l’économie de l’éclatement des bulles sur le prix des actifs lorsqu’elles sont associées à une bulle du crédit. Quel lien faut-il établir entre l’éclatement de la crise fin 2007 et le problème du surendettement des entreprises ?
Les années précédant l’éclatement de la bulle des subprime aux États-Unis furent marquées par une phase historique d’expansion du crédit dans les pays développés. Cette phase d’expansion, provoquée par une vague d’innovations financières et de dérèglements au niveau macroéconomique, était sans rapport avec l’augmentation à l’époque de la croissance. Dans ce contexte, les acteurs économiques se sont habitués au fait que l’accès au crédit était facile et bon marché et que cette situation serait durable à l’avenir.
Les entreprises furent encouragées à s’endetter pour financer leurs projets d’investissement, en particulier, leur politique de croissance externe. Cette situation a contribué à la formation de bulles sur le prix des actifs.
Pour obtenir de meilleurs rendements, les investisseurs ont été naturellement encouragés à prendre de plus en plus de risques, en modifiant leurs conditions d’allocation de prêts. Ils ont ainsi souvent ignoré les fondamentaux économiques et la nécessité pour les entreprises de créer suffisamment de valeur pour rembourser leurs dettes. Ils ont souvent préféré tenir compte de la capacité des sociétés à pouvoir refinancer à terme leur dette, plutôt qu’à la rembourser.
La grande facilité pour les sociétés à refinancer ou proroger leurs dettes, plutôt qu’à les rembourser, a conduit à un excès d’enthousiasme sur la pérennité de la demande de crédit. Dans ce contexte, certaines entreprises, ayant profité du crédit à bon marché pour financer leurs projets d’investissement, se retrouvent aujourd’hui avec un niveau d’endettement inadapté ou excessif.
Il paraît de plus en plus évident que plutôt d’avoir bénéficié d’une croissance financée par un équilibre raisonnable de capital et de dette, notre système économique a bénéficié d’une croissance reposant de plus en plus presque exclusivement sur un accroissement de la dette (publique ou privée en fonction des pays). Cette situation a pour conséquence que des ressources ont été allouées vers des activités qui, sans cet effet d’emballement, n’auraient pas été financées. Le climat de confiance généralisé a probablement également entraîné une mauvaise allocation du capital.

2. La France est-elle particulièrement touchée par le problème du surendettement des entreprises ?
La France se distingue des autres pays par le rôle historique de l’État français dans l’économie. L’État a beaucoup soutenu la demande les années précédant l’éclatement des bulles, puis durant la crise, au prix d’un fort endettement. Parallèlement à l’intervention de l’État, une réglementation et une supervision plus contraignantes ont contribué à limiter la formation d’une bulle de crédit au niveau du secteur privé. Durant la phase d’expansion du crédit, l’économie a donc été financée, davantage qu’ailleurs, par la dette publique. En apparence, la France est donc moins concernée par le surendettement des entreprises. Jusqu’à présent, le niveau d’endettement de son secteur privé était en effet inférieur à la moyenne européenne.
Le problème du surendettement du secteur privé en France existe cependant bel et bien. Les entreprises, ayant eu fortement recours au crédit ces dernières années, subissent aujourd’hui les effets de l’éclatement des bulles de crédit et du prix des actifs. Elles subissent également les effets de la politique de réduction des déficits des États souverains partout dans le monde occidental.
Le problème de surendettement des entreprises françaises pourrait, à cet égard, perdurer à l’avenir, si la crise que nous traversons devient davantage structurelle que conjoncturelle. Si ce scénario se réalise, la rentabilité des entreprises sera encore davantage affectée. Leur capacité à générer des fonds propres, déjà insuffisante avant la crise, risque d’être encore plus problématique. Un niveau de dette acceptable hier au regard des fonds propres générés par l’entreprise ne le sera peut-être plus demain.
Malgré les apparences, le problème du surendettement pourrait avoir d’importants effets délétères sur notre économie. Se doter d’un cadre juridique efficace pour le régler est donc un enjeu majeur pour sécuriser la reprise et se protéger contre d’éventuels chocs futurs.

3. Pourquoi le surendettement des entreprises empêche-t-il le retour à une croissance forte ?
Lorsque les entreprises sont trop endettées, l’accès au crédit est plus difficile et de nouveaux projets d’investissement, créateurs de valeur, mettent plus difficilement du temps à se financer, ou tout simplement, ne trouvent pas de financement. Or, sans hausse du crédit à destination de nouveaux projets, le retour à une croissance forte est forcément compromis.
L’appétit des établissements bancaires à financer de nouveaux projets est réduit car ils utilisent déjà leurs capacités de prêt au profit de sociétés surendettées. Or, ces sociétés surendettées, quant à elles, ne peuvent pas financer de nouveaux projets. Le fardeau que représente pour une société surendettée l’obligation de rembourser sa dette accapare déjà toutes ses ressources.
Par ailleurs, contrairement aux États-Unis, les nouveaux projets d’investissement ont plus de difficultés en Europe à trouver d’autres alternatives au crédit bancaire. Les marchés obligataires sont, par exemple, beaucoup moins profonds en Europe, pour des raisons structurelles. On s’emploie actuellement à remédier à ce problème mais cela sera long.

4. Pourquoi le surendettement des entreprises fragilise-t-il le système financier et quel est le lien avec le financement de nouveaux projets ?
Le surendettement des entreprises entraîne dans le bilan des banques une hausse du nombre de créances douteuses (non-performing loans), c’est-à-dire des prêts présentant un risque élevé de crédit. Cette hausse contraint les établissements bancaires à enregistrer des provisions afin de matérialiser leurs pertes provisoires. Une fois ces pertes enregistrées, les établissements bancaires doivent, conformément à la réglementation bancaire, ajuster leurs fonds propres afin de pouvoir garantir les créances douteuses.
Les établissements bancaires ont alors le choix d’augmenter leurs fonds propres et/ou de céder une partie de leurs actifs (on parle de « deleveraging »). La première option présente l’avantage de ne pas réduire la capacité de prêter des établissements bancaires. Elle présente néanmoins l’inconvénient d’être très dilutive pour les actionnaires des établissements bancaires, en bas de cycle, à un moment où le cours de leur action ne reflète pas forcément la juste valeur de l’établissement. Pour cette raison, ils ont choisi principalement la seconde option.
Lorsqu’il s’agit de céder une partie de leurs actifs, les établissements bancaires ont le choix entre sortir de leur bilan les créances douteuses ou céder des actifs sains. La première option paraît a priori la plus logique car les créances douteuses sont davantage consommatrices de fonds propres que les actifs sains. Les établissements bancaires ont pourtant préféré céder des actifs sains. Ils ont eu peur qu’en cédant leurs créances douteuses, les pertes définitives soient plus importantes que les pertes provisoires qu’ils avaient passées en provision. Les établissements bancaires n’ont en effet pas voulu courir le risque de devoir rééquilibrer par la suite leur bilan, pour tenir compte des pertes définitives cette fois-ci.
Les établissements bancaires espèrent à présent, qu’en patientant un peu, la situation des entreprises surendettées s’améliorera et/ou que la défiance du marché envers les actifs risqués s’atténuera, de sorte qu’il y aura moins d’offre d’achat au rabais pour les actifs à risque. Dans l’attente, les établissements bancaires peuvent être incités à refinancer leurs créances douteuses dans l’espoir qu’une meilleure offre pour l’acquisition de leurs actifs à risque se présente. Au final, les établissements prêtent « au mauvais endroit » : ils gardent dans leurs bilans des créances vis-à-vis d’entreprises surendettés et ont des difficultés à prêter à des projets créateurs de valeur. Cette situation pourrait conduire à une réduction des sources de crédit sur le marché. Il y a donc bien un lien entre le surendettement des entreprises et le retour à la croissance.

5. Comment une entreprise pourtant parfaitement viable peut se retrouver dans une situation de surendettement ?
Avant la phase d’expansion du crédit, une entreprise était en difficultés en raison de difficultés liées à son activité opérationnelle et non en raison de difficultés purement financières. Si on remonte encore plus loin, il faut se souvenir, qu’au début du siècle dernier, les entreprises étaient, soit des personnes physiques, soit des sociétés de personne dans lesquelles le dirigeant était responsable sur ses biens propres. Ils étaient moins enclins à prendre des risques, le recours à la dette était donc forcément plus limité qu’après l’apparition des sociétés de capitaux et le développement de l’innovation financière.
Désormais, des sociétés peuvent se retrouver en situation de surendettement alors même que leurs résultats opérationnels ne se sont pas dégradés. Il se peut que leurs résultats n’aient tout simplement pas évolué à la hauteur des attentes des investisseurs. Une société peut se retrouver dans cette situation parce que, par exemple, elle a fait le choix de financer ses acquisitions en ayant recours uniquement à la dette, moins chère que le capital pour les actionnaires, parce que non dilutive. Or, les acquisitions en question peuvent ne pas dégager les synergies escomptées ou, la rentabilité de la société peut tout simplement être insuffisante pour assurer le service de la dette. La société peut dans ces conditions devenir insolvable. Elle ne pourra probablement pas régler à temps ses dettes.
Dans d’autres situations, des sociétés se sont retrouvées dans une situation de surendettement tout simplement parce qu’elles n’étaient plus en mesure de refinancer leur dette sur les marchés financiers, comme il était prévu initialement, au moment où elles ont eu recours à l’emprunt. Avant la crise, les gens avaient perdu l’habitude de s’interroger sur la capacité de l’emprunteur à rembourser sa dette par ses propres moyens. Dans le climat de confiance généralisé, il était acquit qu’on arriverait à refinancer la dette.
La bulle du crédit, conduisant à un crédit bon marché, a multiplié le nombre de sociétés en situation de surendettement pour des raisons purement financières. Une entreprise, même parfaitement viable, dont le niveau de d’endettement est trop élevé pendant une période prolongée, est inéluctablement conduite à subir des difficultés économiques.

6. À quel moment s’observe la dégradation de l’activité économique d’une société surendettée, a priori parfaitement viable ?
Les entreprises surendettées perçoivent les inconvénients provoqués par leurs difficultés purement financières sur leur activité opérationnelle. La dégradation survient souvent de manière progressive, et sans qu’aucun défaut n’ait été constaté. Les entreprises qui sont dans une situation de surendettement subissent des coûts dits « de détresse financière », c’est-à-dire des coûts directs et indirects liés à leur état de surendettement. Ces coûts finissent par affecter leur situation sur un plan opérationnel. L’obligation pour une entreprise de porter le fardeau d’une dette devenue trop élevée détourne par exemple l’attention des dirigeants et des salariés de l’activité opérationnelle pendant la durée des négociations avec leurs créanciers, elle incite au départ des employés les plus performants et rend plus difficile le recrutement de nouveaux employés. Cette obligation empêche également le financement de projets créateurs de valeur et aggrave les effets de chocs externes imprévisibles (par exemple, les effets des grèves des transports publics, des catastrophes naturelles, de soulèvements politiques à l’étranger où la société exerce une activité, etc.). Lorsqu’aux difficultés financières, succèdent des difficultés économiques, la valeur d’entreprise de la société diminue.

7. Dernièrement, les marchés d’obligations à haut rendement (high yield) ont réussi à refinancer des volumes importants de dettes d’entreprises. La dégradation de l’activité économique des sociétés ayant réussi à refinancer leur dette a-t-elle pu être évitée ?
Il est vrai que, dernièrement, un grand nombre d’entreprises en Europe ont réussi à refinancer leur dette à risque sur les marchés obligataires high yield. Après la crise de 2007, l’assèchement de l’offre du crédit sur les marchés financiers avait rendu illusoire le refinancement de la dette des entreprises dans une situation de fragilité d’un point de financier.
La politique monétaire accommodante menée par les banques centrales, en particulier par la Réserve fédérale américaine, a permis d’améliorer le contexte macroéconomique. Les injections massives de liquidités réalisées par la Réserve fédérale américaine ont indirectement produit des effets ailleurs qu’aux États-Unis. En faisant baisser les taux d’intérêt, elle a indirectement relancé en Europe l’offre de crédit en faveur des entreprises fragiles. Les investisseurs ont en effet été incités à rechercher des investissements leur permettant d’obtenir des rendements plus importants, comme à l’époque de la bulle du crédit.
Cet apport significatif de liquidité sur les marchés permet aux sociétés de gagner du temps mais ne règle pas pour autant les problèmes de solvabilité des sociétés fragilisées. Les taux d’intérêt finiront par augmenter, entraînant mécaniquement une hausse du coût du crédit pour ces entreprises, qu’elles ne parviendront pas forcément à absorber. Compte tenu de leur niveau d’endettement qui reste très élevé, elles pourraient, de plus, avoir des difficultés à avoir accès au crédit afin de financer, non seulement leurs projets d’investissement, mais aussi leurs besoins en fonds de roulement. Or, une reprise économique s’accompagne généralement d’une augmentation des besoins en fonds de roulement des sociétés désireuses de pouvoir reconstituer leur stock.

8. Quelle devrait être la réaction des Pouvoirs publics face au problème du surendettement des entreprises ?
Au niveau des établissements bancaires, la manière dont les Pouvoirs publics devraient intervenir au travers de la réglementation bancaire est une question complexe qui fait débat. Si l’établissement bancaire est insolvable ou sur le point de l’être, il est dorénavant possible avec la nouvelle loi bancaire d’imposer aux actionnaires et aux créanciers subordonnés de l’établissement de prendre leurs pertes. Les investisseurs voient alors leurs droits sur l’établissement dilués suite au bail-in. Si l’établissement bancaire ne court pas le risque d’être insolvable, il s’agit de trouver le bon équilibre entre la nécessité de le forcer à prendre rapidement ses pertes, afin qu’il soit en mesure de prêter pour financer de nouveaux projets créateurs et, la nécessité de ne pas aggraver la situation. Forcer un établissement bancaire à prendre ses pertes au-delà d’un certain seuil a des effets contre-productifs : il sera alors forcé d’ajuster à nouveau la taille de son bilan pour tenir compte des pertes provisoires accumulées et aura, encore de moins en moins, la capacité de prêter en faveur de nouveaux projets d’investissement. En définitive, il s’agit de déterminer à quel moment le marché est en mesure d’évaluer les actifs risqués à leur juste prix, afin d’éviter les ventes au rabais. Ce moment correspond à la date, à partir de laquelle, suffisamment d’incertitudes sont levées sur les marchés, postérieurement à la crise. Les différentes bulles sur le prix des actifs ont alors été identifiées. Ce moment est très difficile à déterminer.
Les Pouvoirs publics doivent également agir directement au niveau des entreprises. Le législateur peut, à travers la loi, fortement encourager les différentes parties (dirigeant de la société, créanciers et actionnaires) à traiter les problèmes de surendettement des entreprises le plus tôt possible, de manière appropriée et à l’amiable, c’est-à-dire en dehors d’une procédure collective et sans avoir recours à la menace d’un recours du juge. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est le droit des entreprises en difficulté qui peut encourager, à travers les règles de la procédure collective, le désendettement rapide et à l’amiable des sociétés. Pour cela, le droit des entreprises en difficulté doit s’adapter aux évolutions de la finance. Le rôle d’un cadre juridique adapté au traitement de la défaillance est de s’assurer que ce capital est réalloué vers des activités susceptibles de générer une croissance durable. Les Pouvoirs publics français et la Commission européenne reconnaissent le rôle clé du droit des entreprises en difficulté et l’importance de l’adapter aux évolutions de l’économie qu’il sert. Partout en Europe de nombreuses initiatives sont à l’étude. Droit et Croissance participe activement aux discussions avec les Pouvoirs publics et les universités sur cette question, qui peut paraître accessoire, mais n’en demeure pas moins essentielle pour relancer la croissance.

9. Les règles relatives à la procédure collective pourraient donc faciliter le désendettement rapide et à l’amiable des sociétés. Comment est-ce possible dans la mesure où ces règles ne s’appliquent qu’après l’ouverture d’une procédure collective ?
Durant la phase amiable, les parties négocient toujours dans l’anticipation de l’ouverture d’une procédure formelle en cas d’échec des négociations. Autrement dit, ce qui pourrait se passer en cas d’ouverture d’une procédure collective gouverne le comportement des acteurs dans la négociation en amont à l’amiable. Il est donc essentiel d’avoir des outils permettant d’obtenir le résultat souhaité durant une procédure collective, même si on préfère ne jamais devoir utiliser ces outils. Si la procédure collective n’offre pas un cadre prévisible et fiable et que des obstacles à une solution efficace persistent, les parties n’ont pas les bonnes incitations afin d’aboutir, dès l’apparition des premières difficultés, à un accord à l’amiable rapide qui soit satisfaisant pour la société. La probabilité de succès des négociations à l’amiable est alors sans doute plus faible.
La procédure collective devrait donc permettre de lever les trois principaux obstacles à la négociation amiable, et ce, en amont d’un défaut afin de réduire la période de détresse financière, dans laquelle, se trouve la société. Ces obstacles sont principalement liés :
1. à la situation d’asymétrie d’information dans laquelle se trouvent les créanciers vis-à-vis du dirigeant de la société ;
2. au fait qu’il existera toujours des incertitudes sur l’évolution de la situation de l’entreprise, et ce, même si les créanciers parviennent à avoir un niveau d’information équivalent à celui des dirigeants. Il faut, à un moment donné, que les parties retiennent un scénario et ce, afin d’établir de nouvelles prévisions sur la base desquelles, un accord de restructuration sera conclu ;
3. à des problèmes de coordination entre créanciers, surtout lorsqu’ils sont en nombre important et qu’ils détiennent des droits vis-à-vis de la société très différents.
Afin de lever les trois obstacles à la négociation, il est important, après l’ouverture de la procédure collective, une fois la situation d’asymétrie d’information corrigée (point 1), qu’en cas d’échec des parties à s’accorder sur un scénario plausible quant à l’évolution future de la situation de la société, le juge puisse trancher cette question avec l’aide d’experts, en dépit des incertitudes qui demeureront toujours, tant que la société n’aura pas fait défaut (point 2). Déterminer un scénario plausible, c’est calculer la valeur d’entreprise de la société à partir de prévisions de flux de trésorerie. Cette valeur d’entreprise servira de référentiel au moment de décider dans quelle proportion la société devra être désendettée.
Enfin, au moment de l’approbation du plan, il est nécessaire d’abandonner la règle de l’unanimité, et accepter que la majorité qualifiée des deux tiers des créanciers qui ont les meilleures incitations à adopter un plan satisfaisant pour la société suffise pour approuver le plan (point 3). Autrement dit, lorsque la société est insolvable, il est très important d’autoriser le transfert du contrôle du destin de la société, avant un défaut de paiement, aux créanciers dont les intérêts sont les plus alignés à ceux de l’entreprise. Ce sont les « créanciers pivots » qui, ne peuvent plus prétendre au remboursement complet de leurs créances, mais qui n’ont pas encore tout perdu, compte tenu de la valeur d’entreprise de la société. Ils devraient pouvoir être identifiés conformément au rang de priorité applicable dans l’hypothèse d’une dissolution volontaire de la société. Ce transfert du contrôle du destin de l’entreprise doit s’opérer sans le consentement des actionnaires et des dirigeants, lorsque la société est insolvable. Ces « créanciers pivots » devraient pouvoir soit convertir leurs créances en actions, soit céder l’ensemble des actifs à un tiers. Ce transfert devrait survenir avant le défaut de paiement afin de réduire la période, durant laquelle, la société se trouve dans une situation de détresse financière.

10. La procédure de sauvegarde, telle qu’elle existe en droit Français, permet-elle de lever les obstacles à la négociation amiable entre les parties ? À ce titre, s’agit-il d’un instrument utile pour lutter efficacement contre le surendettement des entreprises ?
Dans le droit actuel et depuis la réforme de 2005, leurs dirigeants peuvent ouvrir une procédure dite « de sauvegarde ». Si elle permet de lever le troisième obstacle évoqué précédemment (la règle de la majorité des deux tiers), la procédure de sauvegarde ne fait rien pour lever les incertitudes qui demeurent quant à l’évolution de l’activité de la société. La procédure de sauvegarde n’entraîne pas une cristallisation de la valeur d’entreprise de la société, en fonction de laquelle, les droits des créanciers (y compris des actionnaires) pourraient être réorganisés.
De plus, elle ne permet pas aux investisseurs de rendre opposable leurs droits vis-à-vis des autres catégories d’investisseurs afin de les forcer à absorber les pertes. Ainsi, si la procédure de sauvegarde permet de convertir la dette en actions des entreprises, elle ne facilite pas réellement le transfert du contrôle du destin des sociétés insolvables aux créanciers. D’une part, la conversion de la dette en actions n’est pas possible sans l’accord des actionnaires et des créanciers. D’autre part, il n’est pas non plus envisageable de céder l’ensemble des actifs de l’entreprise à un tiers sans l’accord du dirigeant et des actionnaires. En cas de refus de ces derniers, seule la solution du rééchelonnement des créances est envisageable.
L’alternative à la négociation amiable, à savoir la procédure de sauvegarde, réserve donc aujourd’hui à certaines parties prenantes à la négociation un sort bien plus favorable que celui qui les attendrait, en cas de faillite, en application des accords contractuels établissant l’ordre de priorité des paiements et d’absorption des pertes. Au final, la procédure de sauvegarde conduit souvent à retarder le moment du désendettement de la société avec le risque que cela soit trop tard ou simplement de faire perdurer sa détresse financière
Il n’est donc pas surprenant que le taux d’échec des plans de sauvegarde et de redressement soit, pour ces raisons, estimé à plus de 60 %.

11. Le plus important n’est-il pas que le mandat ad hoc ou la conciliation fonctionnent ? De nombreux pays semblent envier les procédures préventives françaises.
Le mandat ad hoc et la procédure de conciliation sont la traduction française d’un concept généralisé bien reconnu et accepté : mieux vaut privilégier dans la mesure du possible une négociation à l’amiable entre les parties à l’ouverture d’une procédure collective. Afin de faciliter cette négociation à l’amiable, la nomination d’un arbitre est souvent souhaitable. À cet égard, la France a fait le choix d’adopter des règles spécifiques destinées à encadrer les négociations à l’amiable, et en particulier, à permettre la nomination d’un arbitre. Dans d’autres pays, le rôle de l’arbitre est rempli par des conseils financiers ou juridiques nommés conformément aux accords contractuels qui lient les parties prenantes à la négociation.
De plus en plus de professionnels s’accordent pour dire qu’en France, à l’heure actuelle, même si la majorité des difficultés purement financières se voient traitées en mandat ad hoc ou conciliation, les résultats obtenus en pratique sont décevants dans la mesure où ces procédures ne permettent pas d’aboutir à un accord permettant de désendetter suffisamment les sociétés. Parfois, elles y parviennent, cependant à l’issue d’une longue période de négociation, pendant laquelle l’entreprise aura subi une forte destruction de valeur.
Il peut être alors préférable, à première vue, de réformer la procédure de conciliation, plutôt que de réformer la procédure de sauvegarde. Cette approche conduirait cependant à complexifier encore davantage notre système de prévention actuel, au risque de modifier les incitations des parties à conclure un accord amiable. Il nous semble préférable de réformer les règles de la procédure de sauvegarde afin de donner aux parties prenantes à la négociation amiable les bonnes incitations à conclure un accord satisfaisant pour elles et l’intérêt général.
Il est en effet important que les parties soient incitées par la loi à s’assurer que le résultat de leurs négociations aboutisse bien à une solution donnant à la société une réelle opportunité de tourner la page d’un endettement excessif pour repartir sur des bases saines qui lui offrent de réelles perspectives. Cette solution serait préférable à celle qui s’applique aujourd’hui sans réelle concertation ni considération pour la situation particulière de l’entreprise et se contente de repousser les échéances fatidiques en alimentant l’incertitude et la précarité qui empêchent la société de continuer à se battre face à la concurrence ou de financer sa croissance interne.

12. Pourquoi les actionnaires peuvent-ils avoir intérêt à retarder la phase de désendettement de la société si cette solution permet de sauver l’entreprise ?
Lorsque la valeur d’entreprise d’une société est inférieure à sa dette, c’est-à-dire lorsqu’elle est dans une situation d’insolvabilité, l’actionnaire a déjà tout perdu, puisque la valeur de son action est quasiment égale à zéro. D’un point de vue purement financier, un actionnaire rationnel n’a aucun intérêt dans cette situation à réaliser un apport en capital. La société utiliserait les fonds apportés, non pas pour financer des projets créateurs de valeur, mais pour rembourser ses dettes. Tout nouvel apport de l’actionnaire ne servira donc qu’à améliorer les chances de remboursement des créanciers.
L’actionnaire n’a pas non plus intérêt à ce que la société soit désendettée le plus rapidement possible. Il n’a pas intérêt à provoquer des discussions avec les créanciers pouvant conduire, par exemple, à une dilution de leurs droits, via la conversion de la dette en actions. En revanche, il a tout à gagner, si par « chance », le rebond de l’activité est tel que la société finit par arriver à régler ses dettes le jour de la date convenue. En résumé, l’actionnaire peut espérer se refaire avec le passage du temps et ce, tant que la société n’est pas en cessation des paiements. Il a donc intérêt à conserver le contrôle au détriment des autres parties prenantes qui peuvent estimer que le sort de la société fragilisée ne doit pas reposer sur un « coup de chance ».

13. Pourquoi ne pas prévoir tout simplement que lorsque la société entre en procédure collective, les actionnaires et dirigeants puissent demander au juge d’annuler d’office le passif ?
Annuler d’office le passif d’une société revient à faire supporter aux seuls créanciers les pertes, c’est une fausse bonne idée. Les droits des actionnaires seraient alors préservés puisqu’ils conserveraient leurs droits sur les bénéfices réalisés par la société. Cette solution aurait, à l’avenir, de graves conséquences sur l’accès au crédit. Les créanciers, à qui on aurait demandé d’absorber les pertes en premier, ne seraient plus disposés à financer à l’avenir la société. Plus grave, si le marché du crédit devait anticiper qu’en France les créanciers sont moins bien traités en cas de défaut qu’ailleurs, d’autres sociétés seraient probablement également pénalisées et subiraient une restriction ou un renchérissement du coût du crédit.
Par ailleurs, les « créanciers pivots », dont les incitations à désendetter rapidement la société et de manière satisfaisante sont plus importantes que les actionnaires pour les raisons évoquées précédemment, n’auraient aucun moyen de convaincre les actionnaires d’absorber les pertes de la société durant la phase de négociation à l’amiable. Les actionnaires, sachant que les créanciers n’auraient aucun droit dans la procédure collective, préféreront toujours attendre le dernier moment pour désendetter la société et refuser de négocier avec les créanciers. Annuler les droits des créanciers retarderait en conséquence la phase de désendettement de l’entreprise.

14. Transférer le contrôle du destin d’une société insolvable aux créanciers, en amont d’un défaut de paiement, n’est-ce pas là une atteinte aux droits de propriété des actionnaires ?
La perte pour les actionnaires de leurs droits dans la société, avant que celle-ci ne fasse défaut sur sa dette, peut en effet être constitutive d’une atteinte aux droits de propriété. Cependant, sous réserve qu’elle soit correctement encadrée afin d’éviter les abus, cette atteinte paraît tout à fait légitime et proportionnée.
Le capital apporté par un actionnaire sert de matelas de sécurité pour l’entreprise. En situation de surendettement, ce matelas n’est plus suffisant afin de permettre à nouveau le financement de projets créateurs de valeur ou afin d’éviter les conséquences liées à la situation de détresse financière de la société. Dans ces conditions, il semble normal que l’actionnaire remplace ce matelas ou soit contraint d’accepter de prendre les pertes, c’est-à-dire de perdre tous droits dans la société, dans l’intérêt de l’entreprise et des autres parties prenantes qui elles aussi ont des droits.
Plus généralement, cette atteinte serait légitime, car dans l’intérêt de la collectivité. Elle permettrait aux sociétés, une fois désendettée, de financer plus rapidement à nouveau des projets créateurs de valeur. De plus, l’atteinte aux droits de propriété des actionnaires mettrait fin à une pratique bien connue consistant pour les dirigeants à unilatéralement reporter la date de paiement des charges sociales et fiscales et ce, afin de permettre à la société de se constituer une trésorerie suffisante pour assurer ses besoins en fonds de roulement durant la procédure collective. Le fait qu’il soit si difficile de forcer les actionnaires à prendre leurs pertes est une des raisons pour lesquelles, les créanciers sont très réticents à apporter leur soutien aux sociétés fragiles, à la recherche de nouveaux financements, ne serait-ce que pour financer leurs besoins de fonds de roulement. C’est pour cette raison que les dirigeants ont pris pour habitude de cesser de payer leurs dettes fiscales et sociales, en amont de la procédure collective. Or, bien souvent, le passif public fait l’objet ensuite d’un abandon de créances, faute pour la société de pouvoir émerger dans d’autres conditions avec un passif assaini. Ce problème a été récemment mis en évidence dans un rapport de l’Inspection générale des finances. Le contribuable a donc intérêt à ce que les actionnaires prennent leurs pertes afin de recréer les conditions de marché permettant à une offre de crédit privé de se développer au profit des sociétés fragilisées. Ce n’est pas impossible, il existe des marchés de cette nature à l’étranger.
L’atteinte aux droits des actionnaires serait par ailleurs proportionnée car le dommage pour les actionnaires serait négligeable, dans la mesure, où ils ne perdraient leurs droits qu’à la condition qu’il soit démontré que la société est probablement insolvable, et ce, sous le contrôle du juge, pour éviter les abus. La valeur économique des actions étant quasiment égale à zéro dans cette situation, les actionnaires perdraient seulement le droit à un retour éventuel à meilleure fortune de la société. Cette atteinte serait, par ailleurs, moins significative que l’atteinte aux droits des actionnaires des établissements bancaires, susceptibles d’être contraints par l’Autorité de contrôle prudentiel depuis la nouvelle loi bancaire, à prendre leurs pertes, et ce, même si l’établissement bancaire considéré n’est pas encore insolvable.
Pour toutes ces raisons, l’atteinte aux droits des actionnaires nous paraît être conforme à la Constitution française et au droit européen.

15. Les réformes du droit des entreprises en difficulté ont déjà été très (trop ?) nombreuses en France ces dernières années : 1985, 1994, 2005, 2009 et 2010. Pourquoi le problème du surendettement des entreprises n’a-t-il pas été auparavant traité par les Pouvoirs publics ?
Le droit des entreprises en difficulté doit s’adapter à l’évolution constante de l’économie. Nous sommes confrontés aujourd’hui à des problèmes d’une ampleur inédite depuis la crise de 2007. La solution proposée par loi depuis 1985 consiste, en cas de désaccord des actionnaires, à permettre au juge de rééchelonner d’office les créances sur une période pouvant aller jusqu’à dix ans. Cette solution était dans le passé supportable pour les sociétés pour deux raisons principalement.
D’une part, proroger les créances le temps que la croissance reparte était une solution qui convenait auparavant aux créanciers, comme aux dirigeants de sociétés en difficultés. Désormais, lorsque la crise devient davantage structurelle et non simplement conjoncturelle ou lorsque les retournements de cycle sont plus lents, « donner du temps au temps » pour espérer profiter d’une reprise générale ne suffit plus. Il faut dorénavant pouvoir désendetter les sociétés de manière beaucoup plus radicale à partir du moment où on pressent qu’il n’y aura pas de réelle reprise de l’activité après la crise.
D’autre part, les sociétés avaient auparavant moins accès à un crédit facile et bon marché. Il était donc plus rare de rencontrer des entreprises souffrant de difficultés purement financières. La solution du rééchelonnement d’office des créances sur dix ans permettait donc le plus souvent de mettre fin aux difficultés de l’entreprise, sous réserve que son activité fût bien viable. Ces dernières années, l’innovation financière intense a permis aux sociétés d’accéder plus facilement au crédit à bon marché. Comme évoqué précédemment, cette situation a conduit des sociétés à avoir des difficultés purement financières alors qu’elles étaient parfaitement viables.

16. Transférer le contrôle du destin de la société aux créanciers n’est-ce pas dangereux compte tenu du comportement des établissements bancaires avant la crise ?
Il y aura toujours dérives, que le contrôle du destin des sociétés insolvables soit conservé par les actionnaires, ou transféré aux créanciers ou encore à un juge. Les personnes physiques, qui prennent in fine les décisions, ne sont pas toujours rationnelles, c’est-à-dire qu’elles n’agissent pas toujours conformément à leurs propres intérêts. Les personnes physiques ont horreur de perdre plus qu’elles apprécient de gagner, une somme pourtant équivalente. Elles ont une préférence pour le statu quo et ne révisent pas toujours leur jugement quand il le faudrait. Les établissements bancaires peuvent, parfois, refuser de prendre certaines décisions, comme convertir leurs dettes en actions, alors que cette décision aurait été la plus pertinente, tant pour la société, que pour les établissements bancaires eux-mêmes.
En dépit des erreurs de jugement que peuvent commettre les personnes physiques, il est toujours préférable dans une économie de marché de laisser agir la personne qui a les meilleures incitations à prendre une décision qui s’avère être satisfaisante à la fois pour elle-même et pour la collectivité.
Si on applique ce principe aux situations de surendettement d’entreprise, il est préférable que le droit des entreprises en difficulté s’assure que le transfert du contrôle du destin de l’entreprise revient à celui ou celles dont les intérêts sont les plus alignés avec ceux de l’entreprise, le créancier « pivot ». Lorsque la société est insolvable, ce sont certains créanciers, et non pas les actionnaires, qui ont le plus intérêt à préserver la valeur d’entreprise du débiteur. Les actionnaires sont quant à eux, davantage incités à faire prendre des paris sur l’avenir de la société, dans l’espoir d’un hypothétique retournement. Par ailleurs, il est important de souligner, qu’en procédure collective, un juge spécialisé est chargé de superviser le bon fonctionnement du processus afin de minimiser les risques de dérives et appliquer les garde-fous prévus par le législateur. L’idée n’est donc pas de laisser tous les pouvoirs aux « créanciers pivots » qui ont une responsabilité à prendre dans le redressement de l’activité.

17. N’est-ce pas un peu optimiste de penser que le désendettement de la société passera nécessairement par des négociations amiables ? Bien souvent le dirigeant n’a tout simplement pas les moyens humains à sa disposition afin de traiter, en amont d’un défaut, les difficultés de son entreprise. Toutes ces considérations ne sont-elles pas théoriques dans la vaste majorité des cas ?
Il est vrai que bien souvent dans les entreprises de taille réduite, le dirigeant d’entreprise n’a pas les moyens humains à sa disposition afin d’anticiper les difficultés avant une éventuelle crise de liquidité. Il est souvent absorbé par les difficultés liées à l’activité courante de sa société.
À cet égard, il est important de souligner que les préoccupations des petites entreprises sont bien différentes des autres. Leurs difficultés sont liées à leur activité opérationnelle probablement déficitaire. Elles ne sont donc pas purement financières. C’est d’ailleurs impossible qu’elles le soient. Les petites entreprises ne sont pas, par essence, suffisamment solvables pour avoir un accès au crédit facile et bon marché, contrairement aux entreprises de taille significative. Lorsque l’entreprise est de taille réduite, la procédure de sauvegarde ne sert donc pas à faciliter le transfert du contrôle du destin de l’entreprise, même insolvable, entre les mains des créanciers.
Ce n’est pas parce que l’apparition des difficultés de la très grande majorité des sociétés entraîne, presque mécaniquement, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, qu’il faut en conclure qu’il est illusoire de vouloir, à travers la loi, encourager toutes les parties à s’asseoir autour de la table avant qu’il ne soit trop tard. On voudrait que la procédure de sauvegarde s’applique à des petites entreprises de moins de cinq salariés, qui constituent l’immense majorité des dossiers de faillites. C’est illusoire. Le plus souvent, le problème des petites entreprises est structurel et l’entreprise n’est objectivement pas viable. L’ouverture d’une procédure de sauvegarde ne ferait qu’entretenir de faux espoirs dont l’entrepreneur sera rarement le seul à payer les pots cassés. Les circonstances, dans lesquelles l’ouverture d’une procédure de sauvegarde sur une petite entreprise se justifie, sont exceptionnelles.
En cas de difficultés, l’enjeu pour le dirigeant d’une petite entreprise est alors de trouver rapidement une nouvelle ligne de crédit et de pouvoir rééchelonner sa dette. La procédure collective peut lui être utile afin d’éviter qu’une crise de liquidité n’aggrave sa situation pendant qu’il négocie avec son banquier. Il lui faut convaincre que ses difficultés économiques ne sont que passagères et que ses incitations sont similaires à celles de son banquier, autrement dit qu’il ne prendra pas trop de risques avec l’argent prêté. La procédure de sauvegarde peut même contribuer à faciliter l’accès au crédit des entreprises sans que celles-ci fassent nécessairement l’objet d’une procédure collective. Le fait que l’établissement de crédit puisse avoir la certitude que, s’il est avéré que les difficultés de la petite entreprise ne sont pas que seulement passagères, il pourra se faire rembourser en priorité par rapport aux autres créanciers, peut l’encourager à octroyer de nouveaux financements, en amont de la procédure collective.
Plutôt que d’espérer que la procédure de sauvegarde soit utile aux petites entreprises, il est préférable d’améliorer les règles applicables à la faillite personnelle du dirigeant-entrepreneur afin d’atténuer l’effet repoussoir de la liquidation judiciaire sur ces derniers. La situation est complètement différente pour les entreprises de plus grande taille. Pour celles-ci, la procédure de sauvegarde doit leur permettre de mieux anticiper leurs difficultés.

18. Très souvent, le modèle « anglo-saxon » est cité en référence. Pourquoi vouloir absolument copier les Anglais et les Américains ? N’avons-nous pas notre propre spécificité ?
Lorsque Droit & Croissance, tout comme le Conseil d’analyse économique, recommandent l’adoption de certaines règles du Chapter 11 du Code des faillites américain, ce n’est pas pour le plaisir de copier les Américains. Ces derniers ont, par ailleurs, un droit des entreprises en difficulté très différent et, par certains côtés, meilleur que les Anglais. Le Conseil d’analyse économique, tout comme les chercheurs de Droit & Croissance, s’appuie sur les enseignements de la recherche en analyse économique du droit (Law & Economics). Il s’avère qu’un nombre important de règles du Chapter 11 tiennent compte de ces mêmes enseignements.
En France, l’analyse économique du droit est une discipline dont l’intérêt est encore malheureusement trop méconnu. Cette discipline consiste à analyser, à l’aide des outils de l’économie, la production et les conditions d’efficacité des règles de droit. Une règle de droit est considérée comme efficace lorsqu’elle crée les conditions, à moindre coût, permettant aux parties d’avoir les meilleures incitations à créer le plus possible de richesse avec un nombre limité de biens de production et de service.
La loi sur le traitement des faillites devrait être conçue en s’appuyant sur les enseignements de la recherche en analyse économie du droit car la finalité du droit des entreprises en difficulté selon les économistes est de maximiser la valeur de l’usage des ressources de l’entreprise en difficulté.

19. Ne manque-t-il pas d’études empiriques afin d’appuyer les thèses de Droit & Croissance ?
Les études universitaires sur les conséquences du surendettement et sur les effets des mesures prises par les Pouvoirs publics pour remédier à ce problème sont nombreuses aux États-Unis, notamment parce que les données sont publiques. Ces études permettent d’alimenter la réflexion.
Droit & Croissance essaye de faciliter la réalisation d’études empiriques en France, même si l’accès aux données est difficile. Nous travaillons par ailleurs actuellement avec HEC en vue de la réalisation d’une nouvelle étude empirique. Nous avons déjà reçu l’accord du greffe du tribunal de commerce de Paris et nous espérons pouvoir étendre notre étude à d’autres tribunaux.
Afin que les résultats de ce type d’études soient exploitables, il est absolument essentiel de poser les bonnes questions permettant de mesurer l’efficacité des règles de droit. À titre d’illustration, à lui seul, le nombre de procédures de sauvegarde ouvertes par les tribunaux de commerce annuellement ne serait pas un indicateur de l’échec de ce type de procédure collective par rapport à une autre. Il n’est pas surprenant que la procédure de sauvegarde ne soit utilisée que pour les entreprises de taille significative, tout comme la procédure de conciliation. Les deux procédures ont pour objectif, avant tout, de faciliter le désendettement des sociétés ayant des difficultés principalement purement financières.
Seule une recherche universitaire indépendante et financée de manière adéquate permettra d’améliorer l’état de la connaissance sur les conséquences du surendettement des sociétés et d’analyser les effets des solutions proposées pour régler ce problème. Chaque fois que nous interagissons avec les Pouvoirs publics, nous tâchons de les sensibiliser à la nécessité d’améliorer les conditions de la recherche en France.

20. Pour résumer, quelles propositions en vue de la prochaine réforme ?
1. Permettre à l’ouverture de la procédure de sauvegarde de conduire les parties prenantes à prendre leurs responsabilités en dépit des incertitudes sur l’avenir de l’entreprise et donc à cristalliser sa valeur, dite d’« entreprise ». C’est en fonction de cette valeur d’entreprise que les droits des créanciers et des actionnaires doivent être restructurés.
2. Garantir que les droits des investisseurs, vis-à-vis de la société, soient aussi opposables aux autres catégories d’investisseurs et ce, même durant une procédure collective. Autrement dit, assurer le respect de l’ordre de priorité des paiements et d’absorption des pertes qui a été initialement convenu. Cet ordre correspond au rang des créanciers et actionnaires applicable en cas de dissolution volontaire de la société. Les investisseurs ayant des droits et obligations différents vis-à-vis de la société ne doivent pas disposer du même droit de vote pour approuver un plan de restructuration. C’est leur rang de priorité mais aussi la valeur d’entreprise retenue qui déterminera leur droit de vote.
3. Si la société est insolvable, le juge doit pouvoir évincer l’actionnaire ainsi qu’autant d’autres catégories d’investisseurs et de créanciers qu’il est nécessaire afin de permettre à la société de se désendetter suffisamment pour repartir sur des bases saines.
4. Supprimer la solution de facilité que représente le rééchelonnement d’office les créances pour lui substituer une solution plus nuancée et adaptée aux réalités de chaque cas.
5. Permettre au juge de rapidement convertir une procédure de sauvegarde en procédure une procédure de liquidation judiciaire si la société ne s’avère pas viable.
6. Autoriser les tiers à acquérir l’ensemble de l’activité d’une entreprise pendant une procédure de sauvegarde en privant les dirigeants et actionnaires de leur droit de veto actuel, afin de faciliter la vente de l’activité de la société défaillante à un acquéreur stratégique,
7. Encourager l’octroi de financements aux entreprises pendant la procédure de sauvegarde en accordant au juge le pouvoir d’attribuer un rang de créancier super-privilégié aux nouveaux créanciers, à l’instar de ce qui se pratique déjà dans d’autres pays.

À retrouver dans la revue
Banque et Droit NºHS-2013-2
RB