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Préface

L'action de groupe à la française

Créé le

12.11.2014

-

Mis à jour le

17.11.2014

La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, complétée par le décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014, a introduit dans le droit français l’action de groupe en matière de consommation. Le titre II du livre IV du Code de la consommation est désormais complété par un chapitre III intitulé « Action de groupe » et les dispositions législatives des articles L. 423-1 à L. 423-26 du Code de commerce traitent successivement du champ d’application de l’action de groupe, de la qualité pour agir, du jugement sur la responsabilité, d’une procédure simplifiée, de la mise en œuvre du jugement, de la liquidation des préjudices, de la médiation éventuelle et des modalités spécifiques à l’action de groupe auprès des décisions d’autorités administratives ou européennes. Les articles qui suivent permettent au lecteur de comprendre l’ampleur et les particularités de l’action de groupe à la française.

Serpent de mer des débats entre les entreprises et les consommateurs, monstre du Loch Ness selon les premiers, urgente nécessité pour les seconds, la naissance de l’action de groupe a connu un délai de gestation hors norme et sans précédent, délai à la mesure des enjeux économiques, juridiques et sociétaux, régulièrement mis en exergue, tant par les partisans que par les détracteurs de ces actions.

Selon certains, l'action de groupe est mortifère pour l'économie. Lisa Rickard, présidente de l'Institute for Legal Reform (US Chamber of Commerce, Washington) met en garde contre des procédures générant des litiges dont le coût représente au total 2,1 % du PIB des
États-Unis, soit quatre fois plus que dans le reste de l' OCDE [1] . À l'occasion de son audition au Sénat français en 2006, la représentante du MEDEF affirmait que le coût estimatif des actions de groupe était d'environ 1 point dans les pays où les class actions sont mises en place, ce qui représentait alors en France 165 milliards d' euros [2] . Même crainte du côté de la FFSA, qui estimait que l'introduction des actions de groupe pourrait représenter de 500 à 600 millions d'euros de charges supplémentaires pour les assureurs [3] .

Pour d'autres, les actions de groupe sont un indispensable instrument de justice économique permettant aux consommateurs de faire reconnaître leurs droits et d'obtenir réparation de préjudices sériels dont le montant, trop peu élevé pour chaque victime, empêche d'introduire une action dont le coût est démesuré par rapport à l’intérêt du litige. Le total de ces préjudices de faible montant représenterait, en Europe, 20 milliards d’euros par an, selon le rapport de juillet 2012 du Conseil national des barreaux (CNB) sur l’introduction de l’action de groupe en droit français [4] . S'il est certain que l'évaluation des enjeux financiers de procédures qui n’ont encore jamais été utilisées est un art délicat, ces chiffres donnent un ordre de grandeur qu’aucune étude d’impact n’a été en mesure de démontrer pleinement.

Il serait faux de penser que ces enjeux n'ont suscité aucune réaction législative [5] : le droit français s'est doté, au fil du temps [6] , d'instruments permettant l'introduction de recours collectifs qui ne concernent toutefois que quelques consommateurs et ne constituent pas une action « ouverte » comme peut l'être une action de groupe. La plus emblématique de ces actions est l’action en représentation conjointe, laquelle n'a toutefois rencontré qu'un succès d'estime puisque, depuis 1992, seules cinq de ces actions ont été engagées [7] .

Il n’est pas surprenant que le projet, tant honni, de l’action de groupe ait pris corps à une époque où les entreprises cherchent à protéger leur capital de réputation en mettant en place, au plus haut niveau, des procédures de conformité définissant les règles de comportement, organisant la formation des collaborateurs à l’application de ces règles et vérifiant leur application effective.

La France a désormais rejoint les pays européens d'ores et déjà dotés de telles actions, mais elle l’a fait en défendant un particularisme certain. Qu’on en juge !

Au départ, il n’y a pas de groupe : l'initiative de la mise en œuvre judiciaire appartient aux seules associations agréées qui décident des sujets dignes de susciter de telles actions. Quel est alors le sort des associations de consommateurs d’autres pays de l’Union européenne alors que le règlement du Conseil, du 22 décembre 2000, permet de soumettre aux tribunaux de l’État membre dans lequel est domicilié le consommateur tout litige de consommation dès lors que le commerçant cocontractant a « dirigé » son activité vers ledit État ? Actuellement, seules les associations françaises agréées par les pouvoirs publics détiennent le monopole de l’action de groupe.

L’essentiel de l’action se déroule sans le groupe, car il convient que le juge, saisi par l’association agréée, statue sur la recevabilité de l’action, les responsabilités et le montant des dommages et intérêts mis à la charge du professionnel fautif. Autrement dit, l'action de groupe naît sans le groupe puisque le juge décide de tout, en marge de l'existence d'un quelconque groupe de consommateurs. Le groupe ne sera constitué que tardivement, une fois tranchées les questions relatives à la responsabilité du professionnel et au préjudice indemnisable.

Autre particularité : l’action de groupe donne à voir une figure procédurale sans précédent en droit français au regard de l'autorité de la chose jugée dont dépend l'indemnisation du consommateur [8] . Ainsi, en matière de concurrence, une décision devenue définitive d'une autorité de la concurrence lie le juge civil saisi de l'action en réparation du préjudice collectif au point de créer une présomption irréfragable de manquement. Le juge doit alors s’incliner devant l’autorité de la chose administrativement décidée ! Étrange inversion pour l’autorité de la chose jugée.

Cette soumission du juge à la décision administrative est curieusement compensée par les règles applicables en matière de médiation. Si les associations de consommateurs sollicitent une médiation, celle-ci ne pourra être que judiciaire. Pourtant, les médiations professionnelles ont montré leur utilité et leur efficacité. Espérons que l’autorité du juge sera utile pour éviter la chicane.

L’action de groupe à la française vit ses premiers mois d’expérimentation : le texte est silencieux sur la question cruciale du financement des actions et ce silence est d’autant plus surprenant, à un moment où se développent des pratiques participatives dans le financement d'actions par des tiers [9] .

Inutile de poursuivre ce constat d'étonnement. Mieux vaut laisser le lecteur découvrir les riches contributions du présent numéro hors-série consacré à l’action de groupe.



1 Le Figaro, site Débats, 27 juin 2008. 2 http://www.senat.fr/rap/r05-249/r05-2494.html. 3 Rapport d'information n° 499 (2009-2010) de MM. L. Béteille et R. Yung fait au nom de la Commission des lois, déposé le 26 mai 2010, note 29. 4 Rapport accessible aux avocats sur le site du CNB. 5 Lire à ce sujet : E. Jouffin, « Les actions de groupe... avant les actions de groupe », Banque et Droit nº 154, mars-avril 2014, spéc. p. 6. 6 Une loi du 11 juillet 1906, abrogée en 2007, relative à « la protection des conserves de sardines, de légumes ou de prunes contre la fraude étrangère » reconnaissant un droit d’agir aux syndicats professionnels régulièrement constitués représentant une industrie intéressée à la répression de la fraude. 7 Rapport d'information n° 499 (2009-2010) de MM. L. Béteille et R. Yung, op. cit., p. 17. 8 N. Molfessis, « L'exorbitance de l'action de groupe à la française », D. 2014, p. 947. 9 Cf. notamment Le Financement de contentieux par un tiers, sous la direction de Catherine Kessedjian, Éditions Panthéon-Assas, 2012, et Rapport du Club des juristes « Financement de procès par les tiers », juin 2014 : http://www.leclubdesjuristes.com/les-commissions/commission-ad-hoc-financement-de-proces-par-un-tiers/.

À retrouver dans la revue
Banque et Droit NºHS-2014-2
Notes :
1 Le Figaro, site Débats, 27 juin 2008.
2 http://www.senat.fr/rap/r05-249/r05-2494.html.
3 Rapport d'information n° 499 (2009-2010) de MM. L. Béteille et R. Yung fait au nom de la Commission des lois, déposé le 26 mai 2010, note 29.
4 Rapport accessible aux avocats sur le site du CNB.
5 Lire à ce sujet : E. Jouffin, « Les actions de groupe... avant les actions de groupe », Banque et Droit N- 154, mars-avril 2014, spéc. p. 6.
6 Une loi du 11 juillet 1906, abrogée en 2007, relative à « la protection des conserves de sardines, de légumes ou de prunes contre la fraude étrangère » reconnaissant un droit d’agir aux syndicats professionnels régulièrement constitués représentant une industrie intéressée à la répression de la fraude.
7 Rapport d'information n° 499 (2009-2010) de MM. L. Béteille et R. Yung, op. cit., p. 17.
8 N. Molfessis, « L'exorbitance de l'action de groupe à la française », D. 2014, p. 947.
9 Cf. notamment Le Financement de contentieux par un tiers, sous la direction de Catherine Kessedjian, Éditions Panthéon-Assas, 2012, et Rapport du Club des juristes « Financement de procès par les tiers », juin 2014 : http://www.leclubdesjuristes.com/les-commissions/commission-ad-hoc-financement-de-proces-par-un-tiers/.
RB