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Rétrospective 2016

Services financiers en Afrique : la déferlante du mobile

Créé le

08.12.2016

-

Mis à jour le

22.12.2016

Ces dernières années, l'Afrique a été vue comme un relais de croissance pour une industrie bancaire plombée par la crise, voire un « eldorado ». Le retard à rattraper est en effet énorme : selon la base de données de la Banque Mondiale sur l'inclusion financière (données 2014), 66 % de la population adulte en Afrique ne possède pas de compte bancaire. Seul le Moyen-Orient est plus mal loti, avec 86 % de non-bancarisés. Une des causes de cette faible inclusion financière est un maillage territorial des agences particulièrement épars. La course à l'extension du réseau a conduit à l'ouverture de plus de 2 200 agences entre 2007 et 2015, selon les calculs du cabinet Nouvelles Donnes, soit 6,1 agences pour 100 000 adultes, contre 4,9 en 2007. Mais ouvrir des agences dans des zones rurales, pour servir une clientèle pauvre dite du « bas de la pyramide », avec des contraintes techniques et de sécurité exacerbées, n'est pas la panacée pour les établissements. D'autant que les populations non bancarisées, parfois illettrées et, en tout cas, très éloignées du secteur économique formel, rechignent à entrer dans une agence, qu'elles considèrent « réservée aux riches ».

Le téléphone portable apparaît comme une réponse à ces problèmes : la pénétration du mobile est bien plus forte que celle des comptes bancaires, son utilisation est relativement bien maîtrisée par une population de plus en plus jeune, l'amélioration des réseaux téléphoniques désenclave peu à peu les zones rurales et, surtout, les services financiers peuvent y être développés à un coût bien plus faible que dans les agences. Les opérateurs téléphoniques, à la recherche de services complémentaires, ne s'y sont pas trompés et ont été les premiers à capitaliser sur leur réseau de revendeurs pour charger et retirer de l'argent liquide vers et depuis un compte dit de mobile money. Sont nés les succès comme M-Pesa en Afrique de l'Est, mais aussi Airtel Money, MTN Money ou Orange Money. Dans 19 pays d'Afrique subsaharienne, il y a davantage de comptes de mobile money que de comptes bancaires. Cantonnée un temps au transfert d'argent entre personnes et à l'achat de crédits téléphoniques, la mobile money a étendu ses usages vers un véritable outil de mobile banking. À l’instar de M-Pesa, qui propose aujourd'hui aux Kenyans d'épargner et d'emprunter via de simples SMS.

Si les « telcos » ont été pionniers, les banques cherchent aujourd'hui à prendre leur revanche (lire ci-contre les exemples de Société Générale et d'Equity Bank). Régulées, garantes de l'interopérabilité, rodées aux opérations à forte valeur ajoutée nécessaires au financement de l'économie réelle, trouveront-elles le moyen d'occuper leur place dans un écosystème financier africain qui s'éloigne des canons occidentaux ? Les années à venir seront cruciales en la matière.

 

Ils ont dit

Le modèle bancaire inadapté au bas de la pyramide

« Nous sommes partis du constat simple qu’en Afrique subsaharienne, le taux de bancarisation est très bas. Les banques disposent de peu d’agences et leur modèle économique n’est pas adapté à la clientèle du bas de la pyramide. À l’opposé, en tant qu’opérateur téléphonique, nous avons la capacité de toucher des millions de clients à faibles revenus, grâce à nos 700 000 points de contact (boutiques Orange, mais aussi restaurants, station-service, commerces de proximité…) au sein desquels il est possible d’acheter du crédit téléphonique. En effet, sur le continent africain, l’écrasante majorité des clients n’ont pas d’abonnement téléphonique mais ont recours à des recharges prépayées. Pour charger leur compte, ils utilisent la technologie USSD, proche du SMS. C’est également celle utilisée pour les services financiers et elle était déjà donc bien maîtrisée par notre clientèle. Enfin, du fait de notre modèle prépayé, nous avions une problématique de fidélisation de nos clients. L’ensemble de ces éléments a conduit à la création du service Orange Money en Côte d’Ivoire en 2008. Aujourd’hui, le service est disponible dans 14 pays [1] et compte 18 millions de clients inscrits. »

Alban Luherne, Directeur, Orange Money, Revue Banque n° 798, juillet-août 2016, p. 34.

 

Retirer les biais humains

« L’octroi [d'un crédit sur la plate-forme de mobile banking d'Equity Bank] est basé sur le score du client, obtenu en croisant des données financières, des informations du registre des crédits, des données comportementales et psychométriques… Aujourd’hui, nous explorons aussi les informations sur la manière dont le client utilise son téléphone, en particulier en matière de médias sociaux. Les prêts sont accordés en temps réel. Cela ne nécessite pas d’infrastructures lourdes pour la banque puisque c’est le téléphone du client qui est utilisé et le coût de la communication lui revient. Cela nous permet de lui rendre un service à très bas coût [2] . […]

Dans nos activités traditionnelles, le taux de crédits douteux est de 3,6 %, contre moins de 3 % pour la plate-forme de m-banking. Ceci principalement parce que l’on a retiré les biais humains. L’octroi se fait sur une base factuelle, suivant une méthode scientifique. Un conseiller est humain et il peut se laisser convaincre par des arguments qui jouent sur la corde sensible davantage que sur la raison. Par ailleurs, via la plate-forme, les clients peuvent obtenir des prêts 24 heures sur 24, contre seulement les 8 heures d’ouverture de l’agence pour un crédit traditionnel. Cette disponibilité est très prisée des clients qui veulent éviter tout mauvais remboursement pouvant dégrader leur score. Le système pousse à bien rembourser puisque nous récompensons les clients par de meilleurs taux d’intérêt ou un plafond d’emprunt plus élevé. Nous nous attendons à ce que la qualité des crédits continue de progresser. »

James Mwangi, CEO et Managing Director, Equity Bank, Revue Banque n°798, juillet-août 2016, p. 25-27.

 

« Les technologies mobiles sont sur le point de transformer de fond en comble notre banque du XXe siècle et c’est en Afrique qu’est en train de naître la banque digitale mobile. Elle va influencer tout le système bancaire mondial. […] La banque africaine est un peu comme la banque privée européenne : elle a été conçue pour s’occuper des riches. Elles se sont toutes inspirées des mécanismes bancaires de l’Occident, mais pour une clientèle très limitée. Le mouvement des opérateurs téléphoniques vers la mobile money et l’émergence lente mais régulière d’une classe moyenne sont deux événements qui imposent aux banques de se poser les questions stratégiques suivantes : quel est mon métier ? Quelles sont les opportunités qui se présentent ? Rester une banque de niche, ciblant les plus aisés, reste possible, mais aujourd’hui, chaque économie locale est à la recherche d’un acteur dont le rôle sera de dynamiser la vie économique en proposant des services bancaires efficaces et sécurisés. La banque nouvelle n’est plus strictement cantonnée au rôle de simple acteur du monde de la finance. On attend maintenant d’elle un rôle central d’animateur des écosystèmes locaux. Les entreprises, les PME, les commerçants et les citoyens veulent s’appuyer sur la banque pour simplifier la gestion des flux, diminuer leurs risques, accélérer leurs échanges, simplifier les processus financiers en les intégrant. C’est ainsi que s’offre aux banques l’opportunité de reprendre leur place d’origine, celle d’animateur de leur économie locale. »

Yves Eonnet, Président-Directeur général, TagPay, Banque & Stratégie n° 349, juillet-août 2016, p. 6.

 

1 Par ordre de lancement, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Niger, Madagascar, Botswana, Cameroun, Ile Maurice, Guinée, Égypte, Tunisie, RDC, Républicaine centrafricaine et Burkina Faso.
2 Le taux d’intérêt facturé au client dépend de son comportement, mais est compris entre 2 et 10 % par an (source : banque).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº803
Notes :
1 Par ordre de lancement, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Niger, Madagascar, Botswana, Cameroun, Ile Maurice, Guinée, Égypte, Tunisie, RDC, Républicaine centrafricaine et Burkina Faso.
2 Le Taux d'intérêt facturé au client dépend de son comportement, mais est compris entre 2 et 10 % par an (source : banque).