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Fonds souverains : vraie menace ou chasse aux sorcières ?

Créé le

04.02.2014

L'attention portée aux fonds souverains peut paraître disproportionnée au vu de leur poids réel dans l'économie : 4% des actifs gérés par des fonds dans le monde et 1,6 % des fusions acquisitions réalisées en 2007. De là à prêter des objectifs politiques aux États qui tentent de les réglementer, il n'y a qu'un pas ...

Désireux de se mettre au diapason des autres gouvernements du G7, le ministère de l’Économie et des Finances français a souhaité évaluer la pertinence du cadre juridique français relatif aux investissements des fonds souverains. Un rapport sur la question doit lui être remis le 15 mai prochain.

Depuis 2006, et l’affaire DP World aux États-Unis (encadré), les fonds souverains ont été placés sous une surveillance attentive par des gouvernements inquiets de leur montée en puissance financière (tableau 1) : au cours des deux dernières années, 12 États, représentant plus de 40%  des IDE entrants, ont adopté des réglementations plus contraignantes, mentionnait David Marchick, du Carlyle Group, lors d’une conférence organisée par l’OCDE le 31 mars dernier.
En 2007 et 2008, leurs prises de participation remarquées dans les établissements bancaires mis à mal par la crise financière n’ont fait qu’augmenter la vigilance et les craintes des États : bien qu’ils représentent un poids modeste dans les fusions  acquisitions en 2007 (1,6%, selon Dealogic), l’essentiel des sommes investies ont été consacrées à la recapitalisation de grandes enseignes de la finance.
Les fonds souverains, réputés peu transparents, sont souvent soupçonnés de servir des objectifs davantage politiques qu’économiques. Les rapports décrivant leurs menaces supposées sont légion, et unanimes : sécurité nationale, distorsions de concurrence, fragilisation des équilibres macro-économiques, etc. Néanmoins, rappellent les observateurs, rien de tel n’a jamais pu leur être reproché. De fait, les arguments agités pour justifier telle ou telle mesure réglementaire ne tiennent pas devant l’analyse.

Sur la question des motivations politiques des fonds le FMI précise, dans une étude parue en avril 2008, que la plupart d’entre eux, et notamment les plus récents, recourent activement à des gestionnaires externes [1]. Dans le cas des fonds souverains du Golfe, la proportion externalisée de la gestion des actifs pourrait concerner entre 50 et 80% des actifs, selon Florence Eid [2].
Pour mener à bien une opération de prise de participation, certains fonds souverains ont même accepté des concessions sur la question des droits de vote : le FMI cite à titre d’exemple CIC, le fonds souverain chinois, qui a abandonné ses droits de vote dans Blackstone. Similairement, le
fonds souverain de Dubai, qui s’est porté acquéreur de 20% de l’ensemble NASDAQ OMX, a obtenu 5% des droits de vote.

Enfin, les fonds souverains sont des investisseurs de long terme et peu activistes, à l’image de KIA (Kuwait Investment Authority), actionnaire de Daimler depuis 1969 et de BP depuis 1986.
Malgré ces éléments factuels, qui devraient concourir à l’apaisement des consciences, les initiatives multilatérales et bilatérales se multiplient comme autant de signes de fébrilité, laissant craindre une montée du protectionnisme financier. Lors du sommet annuel du G7, en octobre 2007, le FMI et l’OCDE se sont vus confier la rédaction de deux codes de bonne conduite, respectivement pour les fonds souverains et les pays récipiendaires des investissements. Les textes définitifs devraient voir le jour à l’automne 2008, pour une adoption en 2009. Certains États n’ont pas attendu l’aboutissement des discussions multilatérales pour édicter leurs propres règles : l’Union européenne a rédigé son propre code de bonne conduite, en février 2008; l’Allemagne songe à légiférer [4]. Les États-Unis ont également signé leur propre code de bonne conduite avec les fonds souverains d’Abu Dhabi et Singapour.
Chez les fonds souverains, habituellement discrets, l’agacement pointe. En réaction à la publication du code de conduite de l’Union européenne, Bader al-Sa’ad, directeur général de Kuwait Investment Authority (KIA), a déclaré qu’avec des réglementations appelées, dans le plus pur style de Novlangue décrit par George Orwell, “codes de conduite” ou “meilleures pratiques”, les pays récipiendaires mettaient des menottes aux fonds souverains [5].
Le sultanN. Al-Suwaidi, Gouverneur de la banque centrale des Émirats Arabes Unis, a vivement critiqué, lors du sommet du G7, le 12 avril dernier, des mesures qui ne viseraient que les fonds souverains, à l’exclusion “d’autres catégories d’investisseurs dotés d’un historique avéré de prises de risque excessives”. Le risque, selon lui, serait un coup de frein aux flux d’investissements dans une période de liquidité rare.

[1] Sovereign Wealth Funds-A Work Agenda, FMI, 29 février 2008.
[2] Wherefore Arabian SWFs ?, Florence Eid, Pantera Capital, 31 mars 2008.
[3] A common European approach to Sovereign Wealth Funds, 27 février 2008, adopté par le conseil ECOFIN du 14 mars 2008.
[4] Un premier projet de loi était paru en octobre 2007. Selon la Bundesverband der Deutschen Banken, un projet amendé, s’inspirant du modèle américain, devrait prochainement être soumis au Parlement, et voté dans les trois mois.
[5] EU plan for sovereign fund code  under fire, FT, 8 avril 2008.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº702