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Rétrospective 2015

La structure des banques empoisonne les députés

Créé le

15.12.2015

-

Mis à jour le

30.12.2015

Initiée par une proposition de l’ancien commissaire européen Michel Barnier, la réforme de la structure des banques a donné lieu à un accord en Ecofin le 19 juin 2015 qui reflète la position des États membres de l’UE. Au parlement, ce dossier attise les tensions. Les défenseurs du modèle de banque universelle et ceux qui veulent les couper en deux grâce à une séparation de leurs activités s’affrontent. Les députés européens ne parviennent pas à définir une position commune, comme l’a illustré le vote négatif en comité ECON du 26 mai 2015, un fait très rare, comme le souligne le député vert Sven Giegold : « pour la première fois, un rapport sur les services financiers a échoué en Commission ECON ». Pourquoi un tel bras de fer ? Le shadow rapporteur Gunar Hokmark (PPE), trop inflexible selon certains, est plutôt favorable à une réforme a minima, tandis que le shadow rapporteur du groupe socialiste, le bouillonnant Jakob von Weizsäcker, souhaite que cette réforme change vraiment la donne. Or, pour faire passer un texte en commission Econ, mieux vaut au préalable que Socialistes et PPE trouvent un compromis. L’espoir d’obtenir un accord réside dans la pluralité des positions et des personnalités au sein du groupe socialiste où certains députés (comme Elisa Ferreira) sont plus conciliants que Jakob von Weizsäcker.

Un accord informel a été annoncé le 29 octobre 2015, mais il semble avoir fait long feu et n’était toujours pas passé en commission Econ lors de la rédaction de cet article. Les discussions auraient repris.

Non seulement les députés ne s’entendent pas sur la façon d’intervenir sur la structure des banques mais le champ d’application fait également débat. Déjà dans la proposition Barnier, l’Angleterre était exclue du périmètre en raison de l’adoption par ce pays de la loi Vickers. Cette logique a été maintenue dans le texte du Conseil. Elle est contestée par de nombreux députés (voir Ils ont dit).

Et même sur le continent, toutes les banques ne seraient pas concernées : « si le texte proposé par l’Ecofin entrait dans les faits, la tenue de marché ne serait surveillée de façon certaine que dans les banques systémiques européennes, ce qui n'est pas assez, s’indigne la députée socialiste Pervenche Berès. Il faut que le seuil au-delà duquel une banque est concernée par la législation soit suffisamment bas pour englober les banques moins grandes. Dans l’accord du 19 juin, les banques allemandes échappent au viseur de la législation qui, au bout du compte, se résume au traitement de trois banques françaises ».

Si la cacophonie se maintient dans les rangs des députés, il pourrait ne pas y avoir de réforme du tout ! L’enjeu est particulièrement important en France où le modèle de banque universelle est très présent. S.G.

 

Ils ont dit

Une solution européenne proche de la voie française

"Dans la proposition Barnier, le principe appliqué à la tenue de marché était la filialisation, même si des exceptions étaient prévues. Dans l’accord de l’Ecofin, la solution est plus discrétionnaire puisque la décision de filialiser les activités de trading autres que le trading pour compte propre reposera largement sur l’appréciation de la BCE. Si les activités de trading considérées relèvent bien de la tenue de marché et permettent donc d'assurer la liquidité des marchés, alors elles devraient échapper à la filialisation, ce qui rapprocherait la solution européenne de la solution retenue par la loi bancaire française de 2013. […] Une distorsion de concurrence est à craindre entre, d’une part, les banques d’Europe continentale et, d’autre part, les banques de la City, qu’elles soient anglaises ou américaines."

Laurent Quignon, responsable économie bancaire chez BNP Paribas, Revue Banque n° 786, juillet 2015, p.12.

 

Rebaptiser la réforme

"Le texte proposé par le Conseil n’est pas une réforme de la structure des banques. Son titre est un étiquetage trompeur sur un texte qui n’entraîne que très peu de changements. Michel Barnier, s’appuyant sur le rapport Liikanen, avait proposé de mettre fin au trading pour compte propre et, pour les grands établissements, de séparer leurs activités de marché de leurs activités de dépôts. Dans le texte du Conseil, ces principes ont disparu, pour laisser place à une éventuelle séparation des activités de marché, décidée au cas par cas. Ceci est très faible et ne peut certainement pas être appelé « réforme de la structure des banques ». […] Le 26 mai dernier, pour la première fois, un rapport sur les services financiers a échoué en Commission ECON. Il s’agissait du rapport de Gunnar Hökmark sur la réforme de la structure des banques. Cet échec s’explique par l’attitude inflexible de M. Hökmark, qui n’a pas cherché à réunir une large majorité. Sa stratégie très dure a échoué ; il a très mal géré ce rapport."

Sven Giegold, député (Verts), Parlement européen, Revue Banque n° 787, septembre 2015, p.35.

 

Pas de régulation sans substance

"Au Parlement, quand il n’y a pas de majorité, il faut trouver un compromis mais il faut préserver l’esprit original, c’est-à-dire résoudre le problème du « too big to fail ». Dans les détails, on peut toujours trouver un accord, mais je ne suis pas du tout prêt à accepter un compromis aboutissant à une régulation sans substance qui à la fin ne change rien à la question du « too big too fail »."

Jakob von Weizsäcker, rapporteur fictif pour le groupe S&D,  Revue Banque n° 787, septembre 2015, p.33.

 

Banques britanniques : une dérogation qui passe mal

"Michel Barnier avait commis une grave erreur en instaurant une dérogation pour les banques anglaises, sous prétexte qu’elles vont appliquer la loi Vickers. Ainsi, la réforme ne concernerait qu’une demi-douzaine de banques, essentiellement des établissements français. Il est surprenant de créer un texte européen qui ne s’appliquerait qu’à un seul pays ! Cela suscite un certain malaise et constituerait une grande erreur."

Alain Lamassoure, député, Parlement européen, Revue Banque n° 787, septembre 2015, p.22.

 

"Dans sa proposition (projet Barnier présenté le 29 janvier 2014), la Commission avait déjà – et assez maladroitement à mon sens – prévu une dérogation pour le Royaume-Uni, en raison de l’adoption par ce pays des règles Vickers. Je peux comprendre cette démarche, mais nous sommes quand même dans un marché unique !"

Sylvie Goulard, députée, Parlement européen, Revue Banque n° 787, septembre 2015, p.26.

 

L’Europe en passe de donner le marché aux Anglo-saxons

"[Sur l’accord informel du 29 octobre] Nous souhaitions placer pleinement les filiales des banques de pays tiers (comme les États-Unis) installées en Europe dans le champ de la réforme. La Grande-Bretagne, non contente de bénéficier d’une dérogation pour ses propres banques, a mené un lobbying efficace pour contrer nos efforts. Le shadow rapporteur du groupe socialiste, Jakob von Weizsäcker, a cédé sur ce point, ce qui lui a permis de se rapprocher de la position de Gunnar Hökmark (PPE), le rapporteur du texte. Si cet accord est adopté, le trading pour compte propre sera certes interdit aux banques américaines, mais elles échapperont aux autres contraintes imposées aux banques continentales, c’est-à-dire l’obligation de démontrer que l’établissement ne présente pas de risque pour la stabilité financière, faute de quoi le superviseur pourra exiger une augmentation de fonds propres ou l’interdiction d’autres activités de marché. Pour résumer : l’Europe est en passe de donner le marché aux Anglo-saxons ! Grâce à la menace de Brexit, la Grande-Bretagne obtient tout ce qu’elle souhaite."

Pervenche Berès, députée (groupe Socialistes et démocrates), Parlement européen, Revue Banque n° 790, décembre 2015, p.6.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº791