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Relations particuliers/ investisseurs institutionnels

L’épargne longue est-elle l’apanage des seuls investisseurs institutionnels ?

Créé le

10.01.2011

-

Mis à jour le

07.08.2014

La crise a raccourci l’horizon des investisseurs et des épargnants et a réduit leur appétence au risque. La capacité de se projeter à long terme s’est trouvée fragilisée par l’incertitude. Néanmoins, l’épargne longue est un élément indispensable à la reprise car c’est elle qui finance les moteurs de la croissance future. Aussi, le besoin d’investisseurs à long terme n’a jamais été aussi fort.

Les investisseurs institutionnels, qui sont des acteurs de premier plan dans la collecte et la gestion de l’épargne longue, ne pourront jouer pleinement leur rôle qu’à certaines conditions. Tout d’abord, ils devront proposer une relation à long terme avec les épargnants. Ensuite, ils devront faire preuve de bon sens, de patience et de discipline dans la gestion de cette relation suivie.

Trop fréquemment considéré comme le simple résultat de la soustraction de la consommation au revenu, l’acte d’épargner est fonction d’un ensemble de facteurs psychologiques, culturels et économiques ; il est donc complexe et ne va pas de soi. Or épargner à long terme est d’autant plus nécessaire que la population vieillit.

Une relation à long terme avec les épargnants

Épargner et gérer son épargne impliquent de faire des choix, ce qui peut représenter un véritable défi pour les individus. En plus d'une expertise financière qui s'avère bien souvent insuffisante, certaines raisons psychologiques pourraient expliquer la réticence des individus envers l'épargne : l’impatience, le fossé entre les intentions et le comportement réel, le conservatisme dans les choix d’investissement sont autant d’obstacles à une démarche rationnelle. De plus, l’empilement des dispositifs fiscaux complexifie la compréhension des choix qui s’offrent à l’épargnant, notamment parce que ces dispositifs ne sont pas assez en adéquation avec les risques pris et l’horizon de placement. Enfin, à long terme, certains risques spécifiques, comme ceux liés à la longévité ou à l'inflation, viennent s’ajouter aux traditionnels.

Puisque l’épargne et sa gestion exigent confiance, expertise et patience, les investisseurs institutionnels apparaissent comme des acteurs indispensables et cruciaux pour la gestion de l’épargne.

En effet, en raison de la nature de leurs engagements contractuels, ils peuvent prendre des risques et optimiser l’allocation de leurs investissements à long terme. Grâce à leur taille, ils disposent de l’expertise nécessaire pour effectuer des choix rationnels et bénéficient de coûts moindres que ceux supportés par les particuliers. Ceci est d’autant plus indispensable dans le cadre d’une stratégie de gestion au niveau mondial. Enfin, seuls les investisseurs institutionnels peuvent offrir des solutions d’épargne longue adaptées aux besoins des ménages, leur permettant d’obtenir un équilibre optimal entre le rendement et le risque.

Mais ces atouts indiscutables ne doivent pas conduire les investisseurs institutionnels à la facilité, notamment en ce qui concerne la relation avec les épargnants. Ils doivent aller au-delà des obligations réglementaires que sont la connaissance du client et le devoir de conseil.

Ainsi, les investisseurs institutionnels doivent proposer à l’épargnant un partenariat qui inclut notamment une démarche pédagogique : ils doivent accompagner l’épargnant tout au long de sa vie, car il sera, à partir d’un certain âge, un « désépargnant ». Dans cette optique, les investisseurs institutionnels devront de plus en plus s’engager dans une logique de service et moins se focaliser sur la vente de produits d’épargne.

Investir à long terme implique de se projeter dans l’avenir et de prendre du recul par rapport à la situation présente. Bien que la réalité du moment ne puisse être ignorée, il faut se garder d’en être prisonnier et de la croire immuable. La capacité de penser en dehors du cadre actuel est d’autant plus impérative au vu du caractère exceptionnel de l’environnement financier.

Conséquence des politiques menées pour lutter contre la crise, la liquidité est extrêmement abondante et les taux sont très bas. Ce constat est indiscutable. Mais ceci peut-il perdurer à l’horizon de 20 ou 30 ans ? Ne faudra-t-il pas éponger la liquidité actuelle, sous peine de déclencher de nouvelles bulles ? Sans retrouver les excès d’avant-crise, ne faudra-t-il pas retrouver un nouvel équilibre entre le risque et le rendement ?

De la même façon, le cadre réglementaire, qui exerce une influence indéniable sur la gestion de l’épargne, peut-il être considéré comme immuable ? Répondre positivement à cette question est évidemment erroné. Ainsi, les réformes réglementaires en cours (par exemple, Solvency II) pourraient conduire à une transformation de la gestion d’actifs déployée par certains investisseurs institutionnels (en l’espèce les assureurs).

Mais toutes ces incertitudes relatives à l’avenir ne doivent pas conduire à refuser d’investir à long terme. Au contraire, elles doivent être explicitement prises en compte dans l’approche du long terme et la définition de la stratégie d’investissement.

Bon sens, patience et discipline

L'investisseur à long terme particulier ou professionnel doit à notre sens cultiver quelques vertus utiles à ses objectifs. Le professionnel pourrait penser que son expertise ou son expérience suffisent. Pourtant la crise a amplement démontré les dérives du « court termisme », bien ancré dans les habitudes et dans les modes de certains investisseurs de métier. Osons donc enfoncer quelques portes ouvertes…

Toute activité humaine s'inscrivant dans la durée requiert la compréhension de ses principaux enjeux. Comment y parvenir sans faire preuve de bon sens ? La tentation est évidemment très grande de suivre les conseils d'experts sans les comprendre, d’emprunter les mêmes solutions que son voisin ou de se laisser influencer par certains arguments marketing primaires. Quels sont les objectifs de l’épargne, quels sont les moyens utiles pour la faire fructifier, quels sont les moteurs et les limites des différents véhicules de placement et correspondent-ils aux besoins et contraintes du projet ? Voici quelques questions qu’il est nécessaire de se poser. Car changer trop souvent d'avis sera coûteux, en frais d'abord, en capital confiance ensuite !

Vertu première et essentielle pour l'investisseur, la patience est trop rarement encouragée à sa juste mesure. Pourtant la culture paysanne de notre pays devrait davantage servir d'exemple. Combien de temps faut-il pour qu'un chêne arrive à maturité ? Comment concevoir qu'un projet d'entreprise puisse se développer en moins de quelques années ? Est-il raisonnable de vouloir changer de projet ou d'effectuer une rotation de la totalité du portefeuille tous les ans, comme on peut régulièrement le voir ? Faut-il suivre la valorisation de ses avoirs tous les mois, voire tous les jours, et dans quel but ? Le risque de nuire aux intérêts de long terme au profit d'un confort immédiat ou d'un réflexe insuffisamment contrôlé est souvent très élevé. Qui sont ceux qui ont su, à l'automne 2008, éviter les ventes paniques et les cristallisations de pertes qui en ont découlé ? Le levier principal de la création de valeur à long terme est l'accumulation patiente des bénéfices des placements, pas leur changement permanent.

Une forme de discipline enfin, même si elle n'est guère populaire, mérite d'être observée. La première règle est sans doute de dominer le stress généré par l'activité de marché. Fait-on les meilleures opérations quand tout le monde se bouscule pour acheter ou pour vendre ? Il faut investir régulièrement, en lissant les hauts et les bas, tant dans la phase d'accumulation que dans la phase de réalisation de l'épargne. Rééquilibrer le portefeuille en ses différentes composantes, classes d'actifs par exemple, est également très bénéfique. Et si les conditions du projet d'investissement changent, ne pas attendre pour en reconsidérer les objectifs…

Particuliers et investisseurs institutionnels peuvent être davantage partenaires pour une meilleure efficacité de la gestion de l’épargne à long terme. À l’aube d’une année de réforme fiscale et de transformation des régimes de retraites, ils doivent aussi savoir faire mieux entendre leurs voix et être mieux écoutés.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº733
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