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Dettes souveraines : l’Europe vacille

Créé le

15.11.2011

-

Mis à jour le

30.11.2011

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Le scénario tant redouté en début d’année a menacé, à partir d’octobre, de se concrétiser. La crise de la dette souveraine s’est propagée à l’Italie dont les émissions obligataires ont été attaquées par les marchés, risquant de transformer un simple problème de liquidité en problème de solvabilité, tant les taux que la péninsule transalpine doit payer ont grimpé : ils ont dépassé les 7 % alors qu’un niveau d’environ 5 % serait souhaitable.

Or, depuis le début de l’année, les analystes n’ont cessé de répéter que l’Europe devait absolument régler le problème à l’échelle de la Grèce et le cantonner à ce petit pays car l’Union n’a pas les moyens de sauver l’Italie qui pourrait emporter toute la zone euro. Mais cette menace n’a pas suffi à pousser l’Europe à frapper vite et fort pour régler le problème grec. Au contraire, les leaders européens ont tergiversé avant de proposer des mesures, fin mars, fin juillet, puis fin octobre. À chaque fois la mise en œuvre des plans d’action s’est fait attendre pendant que la situation grecque continuait de se dégrader, rendant les solutions européennes obsolètes avant même d’avoir vu le jour. Ce mécanisme a été particulièrement flagrant pour le plan du 21 juillet, littéralement mort-né. Celui des 26-27 octobre semble un peu plus viable, mais repose en partie sur une aide des pays émergents et grave dans le marbre la dépendance de l’Europe à leur égard. Ces pays semblent, dans un premier temps du moins, rechigner à aider l’Europe car ils doutent que leurs éventuels investissements permettront au vieux continent de se rétablir. Toutefois, une autre interprétation de leur réticence est possible : il s’agit d’une stratégie qui leur permettra de monnayer leur aide en échange de certains avantages (meilleure perméabilité des frontières de l’Union à leurs produits, soutien des européens dans leur combat pour être mieux représentés dans les instances internationales…).

L’Europe risque donc une perte de souveraineté. Pire, la solution esquissée les 26 et 27 octobre ne fait qu’amplifier les déséquilibres mondiaux dénoncés par le G20 : d’un côté des pays dotés de réserves gigantesques qui cherchent à se placer et de l’autre des pays trop endettés qui cherchent des créanciers. S. G.

Ils l’ont dit

Quand le défaut d’un état européen était encore un tabou…

« Il y a une phobie du défaut souverain, même partiel, car il est souvent perçu comme une humiliation pour l’État défaillant. De plus, les pays européens souhaitent protéger leurs banques. En effet, les banques allemandes, anglaises ou françaises détiennent des obligations irlandaises, grecques ou portugaises ; le risque encouru par ces banques est important et il ​explique en grande partie la politique européenne visant à éviter des défauts souverains. Mais cette stratégie est politiquement insoutenable. […] Les États en difficulté devraient faire faillite. J’entends par faillite une restructuration de la dette – un rééchelonnement sans augmentation du taux d’intérêt ou un abandon de créance partiel – et non pas un défaut pur et simple sur l’intégralité de la dette. […] Cela fait même un an que des restructurations auraient dû avoir lieu, en Grèce notamment. […] si les dettes sont restructurées selon des paramètres qui rendent leur remboursement crédible, alors le marché obligataire retrouvera son fonctionnement normal. »

David Thesmar, professeur à HEC, Revue Banque n° 735, daté d'avril 2011, pp. 28-29.

Des eurobonds pour sortir de l’ornière

« L'idée de créer des obligations européennes a été brutalement remise sur le devant de la scène en pleine crise de la zone euro par le président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. De telles euro-obligations permettraient de dépasser le paradoxe actuel d'une zone euro à l'endettement public globalement soutenable (79 % du PIB à fin 2009), alors même que les marchés financiers contestent la solvabilité de certains États membres. Ces euro-obligations permettraient aux pays de la zone euro de financer tout ou partie de leur dette publique à des taux très bas probablement proches de ceux payés par l'Allemagne. Pourtant, la proposition de Jean-Claude Juncker se heurte à l’opposition de l'Allemagne et de la France, un refus motivé par la peur de ces deux pays de voir leurs propres taux d’intérêt augmentés et de devoir payer les dettes de leurs voisins aux situations budgétaires plus dégradées.

Mettre en place des obligations européennes ne revient pourtant pas forcément à signer un chèque en blanc aux États les plus endettés. La proposition Juncker-Tremonti limite d'ailleurs la part des Eurobonds à 40 % du PIB de chacun des États membres. Ce taux pourrait être porté à 60 %, comme le proposent les économistes Jacques Delpla et Jakob von Weizsäcker, ce qui inscrirait les euro-obligations dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, qui impose un endettement public maximal de 60 % du PIB – ​au-dessus de ce plafond, l’endettement serait financé par des obligations nationales. »

Pascal Canfin, député européen, Europe Ecologie - Les Verts, Revue Banque n° 735, daté d'avril 2011, pp. 30-31.

Après la dégradation du AAA américain, une restructuration de la dette US ?

« L’Europe focalise les inquiétudes des investisseurs en matière de dettes souveraines, alors que le monde financier semble accepter la fatalité de la dette explosive des États-Unis. […] Le choix américain est officiellement celui de la relance aux dépens, à court terme, du déficit budgétaire. […] En réalité, tout le monde le sait, mais il règne une totale omerta sur le sujet. Les États-Unis ne pourront jamais rembourser leur dette ; ils ne méritent donc pas de garder leur triple A. Ils ne veulent probablement d’ailleurs pas la rembourser. Le pays du Chapter 11, dans lequel un General Motors peut faire faillite un jour en ruinant ses créanciers et ses actionnaires et s’introduire en Bourse le lendemain, ​a toujours eu l’intime conviction qu’il vaut mieux sacrifier ses créanciers que sa croissance ou sa survie économique. Les États-Unis n’hésiteront donc pas à proposer, si la croissance économique ne redémarre pas rapidement et fortement, un plan de restructuration de leur dette. »

Marc Fiorentino, président de monfinancier.com, Revue Banque n° 735, daté d'avril 2011, pp. 34-35.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº742
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