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Obligations européennes : l’idée de J.-C. Juncker permettrait-elle de sortir de la crise ?

Créé le

17.03.2011

-

Mis à jour le

23.08.2011

Favorable à la mise en place d’Eurobonds, Pascal Canfin les considère notamment comme un outil permettant de distinguer deux types de dettes souveraines européennes : les unes seraient « senior » et les autres « junior ».

L'idée de créer des obligations européennes a été brutalement remise sur le devant de la scène en pleine crise de la zone euro par le président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. De telles euro-obligations permettraient de dépasser le paradoxe actuel d'une zone euro à l'endettement public globalement soutenable (79 % du PIB à fin 2009), alors même que les marchés financiers contestent la solvabilité de certains États membres. Ces euro-obligations permettraient aux pays de la zone euro de financer tout ou partie de leur dette publique à des taux très bas probablement proches de ceux payés par l'Allemagne. Pourtant, la proposition de Jean-Claude Juncker se heurte à l’opposition de l'Allemagne et de la France, un refus motivé par la peur de ces deux pays de voir leurs propres taux d’intérêt augmentés et de devoir payer les dettes de leurs voisins aux situations budgétaires plus dégradées.

Mettre en place des obligations européennes ne revient pourtant pas forcément à signer un chèque en blanc aux États les plus endettés. La  proposition Juncker-Tremonti limite d'ailleurs la part des Eurobonds à 40  % du PIB de chacun des États membres. Ce taux pourrait être porté à 60 %, comme le proposent les économistes Jacques Delpla et Jakob von Weizsäcker, ce qui inscrirait les euro-obligations dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, qui impose un endettement public maximal de 60 % du PIB – ​au-dessus de ce plafond, l’endettement serait financé par des obligations nationales.

Les obligations européennes seraient hypersécurisées car garanties par l’ensemble des États de la zone euro et de rang senior par rapport aux obligations nationales. De plus, elles bénéficieraient rapidement d’un marché secondaire profond et hautement liquide comparable au marché obligataire américain. Dès lors, le risque de défaut sur ces obligations étant quasi nul et leur liquidité très forte, il est très probable que ces obligations bénéficient de taux d’intérêt très bas – inférieurs même aux taux allemands et français. Le succès de la première émission du fonds européen de stabilité financière en janvier dernier démontre l’attrait des investisseurs pour de tels titres. Les États de la zone euro pourraient donc bénéficier d’un financement très avantageux sur la majeure partie de leur endettement. Parallèlement, la dette nationale correspondant à la partie qui excède les 60 % du PIB aurait le rang de dette junior et ne bénéficierait d’aucune garantie européenne. L’État membre pourrait alors librement s’endetter au-delà des 60 % de son PIB au taux du marché pour sa propre signature. Une incitation positive à respecter les critères d’endettement du pacte de stabilité, dont les mécanismes de sanctions n'ont pas, jusqu'à présent,​prouvé leur efficacité.

Des enchères pour échanger les titres

L’introduction d’un tel mécanisme serait l’occasion d’une restructuration technique de l’ensemble de la dette de la zone euro. Une étape qui n'est pas ouvertement assumée par la proposition Juncker-Tremonti qui évoque simplement l'application d'un discount pour échanger une obligation nationale en obligation européenne. En effet, 10 des 17 États de la zone euro dépassent aujourd’hui les 60 % d’endettement par rapport au PIB. De ce fait, la substitution directe des obligations nationales par des obligations européennes n’est pas possible. Les investisseurs devraient alors se voir proposer le choix entre, d’une part, ​conserver leurs obligations nationales – qui ne feraient plus l’objet d’aucune garantie européenne implicite ou explicite et deviendraient une dette junior – et d’autre part les échanger contre des obligations européennes dans la limite des 60 % du PIB. La demande potentielle de titres senior serait donc supérieure à l’offre. Un mécanisme d’enchères permettrait de procéder au transfert. Ainsi, les porteurs d’obligations grecques pourraient échanger leurs obligations contre une obligation européenne, ​en échange d’une décote résultant du mécanisme d’enchères. Les investisseurs acceptant les décotes les plus importantes seraient servis en premier jusqu'au seuil des 60 % du PIB. L'échange aurait ainsi pour conséquence de transformer les pertes latentes des investisseurs en pertes définitives, mais aussi de resolvabiliser l'État membre sur sa dette nationale en abaissant la charge de la dette. D'où un risque de voir certains investisseurs refuser d'échanger leurs obligations nationales… Pour finir de les convaincre d'échanger leurs titres, l’État membre garderait la possibilité de réémettre des obligations européennes si, à l'issue du processus d'échange, le seuil de 60 % du PIB en obligations européennes n'était pas atteint, ce qui aurait pour effet d'augmenter encore le risque de défaut sur les obligations nationales.

Réduire la facture du renflouement des pays périphériques

Les pays qui rencontrent des problèmes de liquidité du fait d’une solvabilité incertaine comme le Portugal, l’Irlande, ou encore l’Espagne seraient pleinement bénéficiaires d’une telle mesure. Le financement à bas coût de la majeure partie de leur dette rendrait plus réaliste une trajectoire d’endettement public devenue soutenable alors que les conditions actuelles de financement les acculent précisément à l’insolvabilité. Mais l’Allemagne et la France y trouveraient également leur intérêt en réduisant la facture du renflouement des pays périphériques de la zone euro aujourd’hui assuré via le fonds européen de stabilité financière sans aucune garantie effective de remboursement des fonds prêtés.

Ce processus ne rendrait pas caduque le mécanisme européen de stabilité financière. En effet, le défaut sur la dette souveraine nationale, non couverte par la garantie européenne, d’un État de la zone euro serait possible. Et un tel défaut, en privant brutalement l’État concerné de toute possibilité de financement de son déficit, entraînerait une situation économique socialement inacceptable, ​vectrice d’instabilité politique. Un scénario à l’argentine n’est pas politiquement envisageable pour un État de la zone euro. Le mécanisme européen de stabilité financière trouverait ici sa raison d’être en assurant le financement à court terme d’un État en défaut sur sa dette nationale.

Un tel plan permettrait de sortir de l’impasse actuelle aussi coûteuse que potentiellement dangereuse. En effet, en resolvabilisant la Grèce puis l’Irlande, les États de la zone euro ne font qu’assurer, potentiellement au prix fort pour leurs contribuables, les créanciers de ces États au nom du principe de la non-faillite d’un État de la zone euro. Une assurance publique des créances privées que ni l’Allemagne ni la France n’auraient les moyens d’offrir si les marchés venaient à douter d’un État trop gros pour être sauvé, ​comme l’Italie.

 

Achevé de rédiger le 15 mars

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº735