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Défaut souverain

« L’argent public doit aller vers les banques fragiles et non pas vers les États »

Créé le

17.03.2011

-

Mis à jour le

23.08.2011

L’Europe a tort de repousser à 2013 l’éventualité de faillites d’États membres. Pour David Thesmar, c’est dès maintenant que des restructurations de dettes doivent être organisées. Les banques porteuses de risque souverain, ​qui seront déstabilisées par ces défauts, ​devront être soutenues et contrôlées provisoirement par les États.

Pourquoi selon vous, l’Europe a-t-elle jusqu’à présent évité de laisser un État membre faire défaut ?

Il y a une phobie du défaut souverain, même partiel, car il est souvent perçu comme une humiliation pour l’État défaillant. De plus, les pays européens souhaitent protéger leurs banques. En effet, les banques allemandes, anglaises ou françaises détiennent des obligations irlandaises, grecques ou portugaises ; le risque encouru par ces banques est important et il ​explique en grande partie la politique européenne visant à éviter des défauts souverains. Mais cette stratégie est politiquement insoutenable. En effet, comment contraindre les citoyens irlandais à subir de lourdes mesures d’austérité qui étouffent la croissance afin de préserver des banques allemandes ou françaises ​dont certaines ont réalisé des profits importants en 2010 ? D’ailleurs, la dernière campagne électorale irlandaise s’est faite largement sur ce thème et la nouvelle majorité négocie avec le FMI et le FESF (Fonds européen de stabilité financière, NDLR) pour alléger la pression qui pèse sur la population. Sa capacité de persuasion est importante puisqu’elle peut menacer la communauté européenne d’un défaut irlandais.

Que préconisez-vous en lieu et place de la stratégie de sauvetage des États périphériques ?

Les États en difficulté devraient faire faillite. J’entends par faillite une restructuration de la dette – un rééchelonnement sans augmentation du taux d’intérêt ou un abandon de créance partiel – et non pas un défaut pur et simple sur l’intégralité de la dette. J’observe d’ailleurs que l’on s’est timidement engagé sur cette voix lors de la réunion des chefs d’États européens du 11 et 12 mars dernier, en réduisant nettement le taux d’intérêt auquel la Grèce pourra rembourser son emprunt au FESF ; cela revient à un transfert de valeur depuis les États de la zone euro vers la Grèce. Pour l’instant, seuls les créanciers souverains acceptent des sacrifices, mais cela ne pourra pas durer.

L’introduction de Clauses d’actions collectives (CAC – Voir l'article de Didier Borowski, NDLR) dans toutes les émissions souveraines européennes à partir de 2013 n’est-elle pas une solution satisfaisante ?

Avec les CAC, l’Europe met en place un cadre pour des restructurations de dettes. J’y suis donc favorable mais 2013 constitue un horizon trop lointain. Il faut laisser les États européens les plus fragiles faire défaut sur leur dette dès maintenant. Cela fait même un an que des restructurations auraient dû avoir lieu, en Grèce notamment. Attendre 2013 induit des effets pervers. Les marchés anticipent cette échéance et spéculent dessus.

Une restructuration de dettes souveraines aurait-elle des conséquences positives pour les créanciers ?

En cas de restructuration, les créanciers récupéreraient moins de liquidités mais de façon certaine, ce qui est une très bonne chose. La valeur des titres qu’ils détiennent se stabiliserait. Aujourd’hui, en l’absence de cette restructuration, les marchés sont inquiets car ils ne croient pas aux plans de sauvetage. Le risque de défaut persiste. Favorisé par le climat d’incertitude, le phénomène spéculatif fait varier la valeur des titres. Or les marchés obligataires n’apprécient guère l’inquiétude. Aussi, les mécanismes du Repo ne fonctionnent plus normalement et la liquidité disparaît du marché. À l’inverse, si les dettes sont restructurées selon des paramètres qui rendent leur remboursement crédible, alors le marché obligataire retrouvera son fonctionnement normal.

La sphère publique ne place-t-elle pas les banques dans une situation difficile dans la mesure où elle les incite, avec Bâle III, à détenir du risque souverain ?

Cette réglementation ne dispense pas les établissements d’être responsables de leurs choix d’investissement et de faire preuve de discernement. Et si les établissements rencontrent des difficultés en raison des dettes souveraines qu’ils portent, les États devront les recapitaliser avec de l’argent public. Ils entreront donc provisoirement au capital des banques et dilueront les actionnaires. Pendant cette période, ils doivent prendre le pouvoir au sein des banques et modifier éventuellement le management. En faisant cela, le pouvoir politique montrerait que les banques seront toujours sauvées mais que, en revanche, les managers pourront être remerciés. Un tel signal inciterait les dirigeants des établissements à éviter les stratégies risquées qui peuvent conduire à la faillite.

Les banques françaises sont-elles très exposées au risque souverain des pays périphériques ?

Nous disposons de chiffres qui ne sont pas toujours fiables ou facilement exploitables : il y a ceux des stress tests, ceux de la BRI (Banque des règlements internationaux, NDLR) et ceux que les banques communiquent d’elles-mêmes. À la lumière de ces informations, je pense qu’un défaut partiel des États périphériques ne nécessiterait pas une recapitalisation des établissements français par l’État. Si cette restructuration était intervenue en 2010, les banques auraient simplement réalisé une année sans profit en lieu et place des résultats confortables qu’elles ont affichés.

Et les banques allemandes ?

En Allemagne, la situation est différente car les banques régionales sont fragiles et doivent, indépendamment d’un éventuel défaut souverain, être recapitalisées. L’argent public doit aller vers les banques fragiles et non pas vers les États. Et c’est d’ailleurs cette stratégie que l’Allemagne souhaite adopter. Angela Merkel est depuis longtemps favorable à ce que les investisseurs privés assument les risques qu’ils ont pris. Sa position est courageuse dans la mesure où les banques allemandes sont très concernées. Elle a été contestée au début de la crise, mais la suite des événements lui donne raison et c’est grâce à elle si l’idée de défaut souverain est de moins en moins taboue.

Des défauts souverains n’affaibliraient-ils pas l’euro ?

C’est possible, mais qui s’en plaindrait ? Nombre d’observateurs estiment que cette monnaie est surévaluée.

 

Propos recueillis le 15 mars

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº735