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Philippe Setbon

« Nous pouvons établir
des solutions communes
d’indices verts de référence »

Créé le

26.08.2022

-

Mis à jour le

30.09.2022

L’objectif de Philippe Setbon, nouveau président de l’AFG ? « Faire de la gestion française un acteur économique incontournable et reconnu, et une référence à l’international, notamment sur les questions climatiques. » Ainsi exposé lors de sa candidature, il en détaille les moyens pour Revue Banque.

Vous avez été élu à la présidence de l’AFG le 23 juin. Votre prédécesseur, Éric Pinon, a réalisé deux mandats. Six années, serait-ce compatible avec vos fonctions de directeur général d’Ostrum AM (à 100 % affilié de Natixis Investment Managers, groupe BPCE, depuis mai 2022) ?

J’ai été élu pour un mandat de trois ans. C’est mon horizon de travail. L’AFG représente les professionnels de la gestion d’actifs. Les fonctions exécutives et électives sont plus que compatibles : elles sont indissociables. C’est une bonne chose que la gouvernance soit confiée à des professionnels en activité, en phase avec le terrain. J’ai été vice-président durant les deux mandats d’Éric Pinon et avant déjà membre du comité stratégique sous la présidence d’Yves Perrier. Durant ces années, nous avons participé aux réflexions de Place, sur l’épargne retraite par exemple, et travaillé avec l’ensemble des parties prenantes à des textes structurants pour notre profession en amont de leur adoption, comme la loi Pacte de 2019. Sous l’impulsion de mes prédécesseurs, nos métiers ont ainsi acquis une reconnaissance croissante. Notre ambition collective repose toujours sur notre capacité à apporter des solutions aux épargnants et aux investisseurs, mais aussi un financement efficace de l’économie, en France, en Europe – des marchés mûrs, mais également vers des zones en croissance. L’AFG a changé de statut...

...de statut juridique ?

Je fais référence à l’envergure de l’AFG. Notre industrie s’inscrit dans le temps long, même si sa recomposition s’accélère depuis quelques années. La France se distingue à l’échelle européenne par son tissu de sociétés de gestion dense, riche et varié. Rester en première place de la gestion d’actifs sur le continent n’est pas suffisant. Londres s’est octroyé une position dans la finance internationale. Nous avons toutes les cartes en main (richesse des ressources humaines, des clients, etc.) pour parvenir progressivement à cette échelle dans la gestion d’actifs mondiale.

Il est vrai, par ailleurs, que l’AFG ouvrira une réflexion au niveau de son Conseil d’administration (CA) sur un éventuel rafraîchissement de ses statuts, par exemple sur les modalités et les termes du mandat de son président.

C’est l’une des propositions de votre lettre de candidature. Cette fonction élective pourrait-elle s’inspirer de celle de la Fédération bancaire française (FBF, l’actionnaire de Revue Banque), confiée pour un an à Laurent Mignon, président du directoire de BPCE ?

Il appartiendra au CA de l’AFG de déterminer les options et éventuelles modifications. Par ailleurs, dans sa recherche de visibilité externe, de reconnaissance de ses talents et de ses métiers, l’AFG travaille avec toutes les associations professionnelles : la FBF, France Assureurs, l’Association française des Sociétés de Placement Immobilier, France Invest... C’est très important car la gestion d’actifs participe pleinement au financement de l’économie, ainsi qu’à la réalisation d’objectifs que se fixent les investisseurs comme les épargnants, avec les solutions qu’elle leur apporte. Tous nos membres, adossés à un groupe bancaire ou d’assurance, indépendants ou en entrepreneuriat, participent de l’écosystème en co-construction, également avec les pouvoirs publics et régulateurs.

Estimez-vous que la régulation est facilitatrice ?

Elle est destinée à protéger les épargnants et les marchés. Elle doit aussi avoir le souci de la compétitivité des acteurs afin qu’ils puissent se développer au bénéfice du financement de l’économie. Cette compétitivité repose sur l’innovation et une structuration des investissements qui doit désormais systématiquement prendre en compte les critères ESG (environnementaux, sociétaux et de gouvernance, NDLR). Cette notion de compétitivité doit guider les réflexions visant à co-construire le futur écosystème.

La réglementation sur la finance durable est encore en gestation. Quelles sont les attentes de l’AFG ?

L’élément le plus sensible est celui de la donnée. Une information économique et financière, comme toujours, mais aussi extra-financière est impérative à la gestion d’actifs si elle veut être efficace, choisir les bons investissements, sur les bonnes durées, c’est-à-dire les solutions adaptées aux particuliers et aux investisseurs. Le SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) fixe maintenant (entrée en vigueur le 10 mars 2021, NDLR) des critères normatifs au niveau européen pour déterminer le caractère durable d’un investissement sur le plan environnemental, avec des nuances, mais il ne suffit pas de cocher des cases à l’octroi d’un investissement. Il nous est nécessaire d’accéder aux données brutes des émetteurs, de disposer d’une information formalisée. Nous devons aboutir à une normalisation du reporting extra-financier (grâce à la Corporate Sustainability Reporting Directive). C’est un sujet majeur. L’initiative européenne de guichet unique pour l’accès aux données des entreprises (European Single Access Point, NDLR) y contribue aussi.

De plus, une partie de la finance est investie de façon passive. Il faut aussi faire évoluer les indices pour accompagner une gestion passive verte. C’est le sens du rapport Perrier, remis au ministre de l’Économie en mars dernier, pour faire de la Place de Paris une référence dans la transition climatique.

Les indices évoluent...

Une réflexion est en cours au sein des principales sociétés productrices. Les indices de référence évoluent pour intégrer les enjeux environnementaux et climatiques. Nous pouvons espérer la voir aboutir dans les trimestres qui viennent, même s’il faut prendre le temps d’une construction stable et viable. Mais il faut aussi considérer les coûts. L’information est une charge de plus en plus importante : elle a doublé en cinq ou six ans dans les comptes des sociétés de gestion. Il s’agit de réagir, de s’organiser avec des propositions alternatives. On ne peut pas subir ainsi des hausses de tarifs provenant de fournisseurs organisés en oligopoles. Nous pouvons établir des solutions communes d’indices verts de référence, que chacun sera libre de retenir. Nous l’envisageons depuis plus de cinq ans, mais nous avons besoin d’intégrer nos clients à nos travaux.

Serait-ce un garde-fou au greenwashing ?

Plus nous aurons accès à une information large, dense, riche et relativement homogène pour exercer nos métiers, plus nous pourrons être transparents. Nous vivons une recomposition des flux financiers, notamment en Europe. Cela va redessiner le paysage industriel dans les 10 à 15 ans à venir. C’est un sujet éminemment stratégique pour les États eux-mêmes. Les enjeux sont à prendre en compte par l’ensemble des parties prenantes, en France et en Europe.

La France a toujours mis en avant sa gestion active. Vous avez cité la gestion passive, qui gagne du terrain. Comment faire cohabiter les deux ?

Gestions active et passive se développent en complémentarité : c’est un atout dans l’environnement de marché global afin de proposer une palette complète aux clients. Dans ce contexte, nous avons fait appel à Fannie Wurtz, dont le parcours s’inscrit notamment dans la gestion passive et les ETF (Exchange Traded Fund, NDLR), pour rejoindre la gouvernance de l’AFG, comme vice-présidente. L’AFG travaille à la publication d’un livre blanc sur l’articulation des gestions active et passive, qui paraîtra en 2023. La réflexion a débuté cette année avec les autorités. Il y a là un enjeu de compétitivité pour la Place de Paris. À cet égard, la France doit s’assurer d’être en ligne avec les autres pays européens. Les usines de production doivent disposer du même cadre sur tous les territoires. La compétitivité repose sur un socle réglementaire et fiscal qui accompagne chaque acteur, comme sur sa performance propre.

La donnée est au centre de nombreux sujets. Y accéder, c’est aussi disposer de supports techniques adaptés. Y a-t-il une position AFG en matière de cloud computing ?

Les volumes de données croissants à traiter pour nos décisions d’investissements ainsi qu’une demande de reporting de plus en plus granulaire mettent à contribution nos systèmes d’information. Les outils numériques aussi. L’AFG publiera d’ailleurs le 10 novembre son deuxième Livre Blanc sur la digitalisation des sociétés de gestion. Mais chaque membre de l’association a sa propre stratégie en matière de cloud computing.

L’AFG, l’Amafi et la SFAF ont pris des engagements communs concernant la recherche sponsorisée. À quelle fin ?

La recherche sponsorisée fait partie de l’information à disposition de chacun pour détecter et sélectionner des projets économiques. Nos trois associations se sont engagées au mois de mai à de bonnes pratiques dans ce domaine, avec une charte. C’est un acte fort d’être parvenu à relancer la recherche sur les petites voire très petites entreprises pour lesquelles la visibilité du marché est indispensable. La recherche est d’autant plus essentielle que l’on vit un changement de paradigme après près de 12 ans de politique monétaire expansionniste.

Vous préférez le terme d’« expansionniste » plutôt qu’« accommodante » !

Cette politique monétaire a placé sous morphine les actifs financiers et non financiers (l’immobilier). Cela était justifié au départ, mais le prix des actifs a quasiment été administré par les banques centrales pendant dix ans. Si nous tournons la page, notre monde ressemblera davantage à celui d’avant 2008-2009. Avec moins de visibilité, une information riche est d’autant plus nécessaire pour prendre les décisions de demain.

La fête est-elle donc finie pour la gestion d’actifs en Europe ?

Non, au contraire. Ces cinq ou six dernières années, les taux d’intérêt à zéro, voire négatifs, ont abaissé fortement le coût du capital, entraînant une allocation pas toujours efficiente. Une fois passée la période d’ajustement que nous vivons, nous pouvons nous réjouir de la remontée des taux et des spreads. L’écart de rendement exigé entre un bon projet et un mauvais est normal. La tendance est positive pour le financement de l’économie, l’orientation de l’épargne et, donc, pour nos clients.

Cette période d’ajustement peut-elle être longue ?

La transition a débuté. Elle peut plus ou moins durer, selon le niveau d’inflation et la politique monétaire. A priori, moins... Le premier semestre n’a pas été bon en termes de performance, pour les actions comme pour les obligations. En fait, la moins bonne depuis 50 ans. C’est mécanique. Mais les marchés s’ajustent. Nous devons expliquer que le monde normal n’est pas celui des taux zéro et insister sur un avenir qui sera sans doute plus favorable aux épargnants comme aux investisseurs. Investir est un métier. Il faut faire confiance aux professionnels sur la durée. Cela se valorise.

Vous dites « valoriser ». Certains entendront « facturer »...

La directive MIF (en anglais, Markets in Financial Instruments Directive, NDLR) a renforcé la transparence sur les frais. Lorsque l’on compare les frais de production à l’étranger et en France, notre gestion affiche une très bonne compétivité-prix. Aujourd’hui encore la gestion d’actifs ne suit pas la tendance de hausse généralisée des prix. Pourtant, les coûts de production se sont accrus. De plus, les politiques monétaires n’ont pas seulement gommé la volatilité des prix des actifs, elles ont aussi eu pour effet réel de mettre sous pression nos marges.

Cela pourrait-il mener à davantage de consolidation ?

Oui, sans doute, bien que la notion de taille critique soit fonction de la cible de clientèle et des ambitions de croissance. Disposer d’une grande diversité d’acteurs est une force que nous devons préserver. Le nombre de sociétés de gestion en France est d’ailleurs passé de 633 fin 2018 à 708 aujourd’hui. Il y a un effet Brexit, avec des relocalisations mais aussi des créations de sociétés. Notre profession constitue un tissu vivant.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº871
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