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Versement de primes sur une assurance vie et préjudice réparable

Créé le

31.01.2024

Cass. 2e civ, 21 décembre 2023, 22-17.456.

Une personne décède, à la suite d’une exposition à l’amiante. L’enfant de la victime, âgé de 17 ans lors du décès, et rattaché au foyer fiscal de l’autre parent, peut-il saisir le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (le FIVA) d’une demande de réparation de la perte résultant de la fin des versements opérés par son ascendant sur son assurance vie (et sur un plan d’épargne logement) ?

En d’autres termes, la perte d’un flux financier régulier affecté à deux opérations, l’une d’épargne (plan épargne logement), l’autre de prévoyance (assurance vie) est-elle pour l’ayant droit de la victime un préjudice économique réparable ?

C’est à cette question que répond la Cour de cassation.

La Cour d’appel d’Aix en Provence (CA Aix-en-Provence, 29 novembre 2022, n° 20/06797), saisie du litige, avait répondu par la négative pour les raisons suivantes : d’une part le défunt n’avait déduit de son assiette taxable à l’impôt sur le revenu aucune contribution à l’entretien de cet enfant non rattaché à son foyer fiscal, d’autre part, « l’alimentation de compte d’épargne procède du souci d’un investissement pour le futur, ou de la prévision et de l’assurance garantissant divers événements, mais ne constitue pas davantage au sens économique l’apport d’une aide financière régulière ».

L’arrêt est cassé sur ce point : en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l’existence d’un préjudice économique subi par l’enfant du fait du décès de son père, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

En principe, au regard des règles de réparation du préjudice économique régulièrement rappelées par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 7 avr. 2011, n° 10-12.948. – Cass. 2e civ., n° 13-25.564. – Cass. crim. 2 févr. 2016, n° 15-23.160. – Cass. 2e civ., 7 févr. 2019, n° 18-13.354. – Resp. civ. et assur. 2019, comm. 128. – Cass. crim. 4 oct. 2022, n° 21-87.246. – Cass. crim., 4 janv. 2023, n° 22-80.925), l’existence et l’importance du préjudice de l’ayant droit doivent donc être évaluées en tenant compte des revenus du foyer antérieurement au décès, déduction faite de la part d’autoconsommation de la victime directe.

Le fait que l’enfant ne vivait pas dans le foyer de la victime lors du décès ne constitue pas un obstacle à l’indemnisation (Cass. 2e civ., 19 janv. 2023, n° 21-12.264 selon lequel le préjudice économique d’un enfant résultant du décès d’un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci).

Cependant, il en résulte que le foyer à prendre en compte pour déterminer l’indemnisation est celui auquel est rattaché l’enfant, et non pas celui de la victime.

La particularité de l’espèce ne tenait pas à ce que l’enfant ne vivait pas chez la victime, mais plutôt que celle-ci ne versait pas (ou en tout cas ne déduisait pas) de sommes au titre d’une obligation alimentaire.

Les fonds versés par le père, fût-ce de façon régulière, pouvaient donc apparaître comme un avantage accordé à sa fille et non comme le moyen de subvenir à ses besoins.

Tout l’intérêt de cet arrêt réside dans cette affirmation, qui n’était pas évidente, que la perte de ressources peut constituer pour l’ayant droit un préjudice économique, même si celles-ci n’étaient pas destinées à la couverture des besoins essentiels de l’ayant droit.

Certes, il ne faut pas déduire de cette motivation qu’une telle perte de flux financier constitue nécessairement un préjudice réparable.

Il faut sans doute que la victime établisse d’une part la nécessité de tels investissements et l’impossibilité pour celle-ci, au regard des ressources de son foyer, de les réaliser sans le flux régulier de son auteur décédé.

Or une telle recherche n’avait pas été effectuée par la Cour d’appel. D’où la cassation. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
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