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Responsabilité fondée sur l’article
L. 650-1 du Code du commerce :
une définition restrictive de la fraude

Créé le

02.04.2024

Cass. com. 17 janvier 2024, n° 22-18090, arrêt n° 29, F-B, LDB 2024, n° 3, p. 7, note N. Mathey ; Dalloz Actualité 7 février 2024, note Th. Favario.

L’article L. 650-1 C. com. pose un principe d’irresponsabilité des créanciers ayant consenti des concours à un débiteur soumis ultérieurement à une procédure collective, sous réserve de trois exceptions. La Cour de cassation a donné la plus grande portée au principe d’irresponsabilité des créanciers dispensateurs de crédit, en interprétant strictement les exceptions entendues comme des causes de déchéances du principe d’irresponsabilité et, en exigeant la démonstration d’un concours fautif pour retenir leur responsabilité1. La fraude constitue la première des causes de déchéances qui permettent de lever l’immunité de ces créanciers. S’il peut paraître surprenant que le législateur ait jugé utile de la mentionner2, la fraude présente un caractère polymorphe qui a rapidement conduit à s’interroger sur le sens à lui donner dans le cadre de cet article3. Au fil de sa jurisprudence4, la Cour de cassation a opté pour une définition restrictive de la fraude qu’elle consacre dans un arrêt du 17 janvier 2024, dont la valeur de principe pourrait se déduire de sa formulation générale et de sa publication au Bulletin.

Dans cette affaire, une banque a consenti à une EARL, entre 1998 et 2009, plusieurs concours bancaires. Le 14 mars 2008, l’EARL a souscrit un billet à ordre d’un montant de 440 000 €, qui est demeuré impayé à l’échéance du 15 avril 2008. Les 2 mai et 31 juillet 2009, la banque a consenti aux époux U deux prêts relais de 271 000 € et 400 000 € garantis par une hypothèque, dans l’attente de la vente d’un bien leur appartenant. Le 30 mai 2012, l’EARL a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire étendue, par un jugement du 19 janvier 2013, pour confusion de patrimoine à Monsieur U, avant que soit arrêté, le 16 janvier 2014, un plan de redressement. La banque ayant déclaré sa créance, celle-ci est assignée le 6 janvier 2017 par le commissaire à l’exécution du plan en responsabilité pour soutien abusif. Pour condamner la banque à réparer le préjudice subi et pour annuler l’hypothèque conventionnelle, la Cour d’appel retient qu’ « en ne mettant pas le billet à ordre à l’encaissement et en incitant les époux U à souscrire des prêts-relais dont les fonds ont intégralement servi à rembourser les échéances des emprunts et qui faisaient partie d’un montage d’ensemble orchestré par la banque pour tenter de maintenir l’activité de l’EARL, (la banque) a usé de manœuvres contraires aux lois et règlements permettant d’éluder l’application d’une loi impérative en matière de procédure collective avec la volonté caractérisée d’éluder l’application de la loi visant l’état de cessation des paiements et le principe de l’égalité des créanciers ». Pour la chambre commerciale, il s’agit là de « motifs impropres à caractériser une fraude commise par la banque », sachant qu’il n’est pas non plus constaté « en quoi l’absence de réaction de la banque à l’échéance du billet à ordre était frauduleuse ». Consacrant une définition restrictive de la fraude, la Cour cassation considère que constitue un acte frauduleux « au sens de ce texte, celui réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive ».

Expressément circonscrite au texte visé, cette définition met en valeur les éléments constitutifs de la fraude. Bien plus que la faute lourde, la fraude suppose non seulement un élément matériel tenant à l’usage de moyens déloyaux, mais aussi un élément intentionnel qui est de surprendre un consentement, d’obtenir un avantage indu ou d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive. En d’autres termes, le seul acte déloyal est insuffisant à caractériser la fraude. De même, l’acte visant à préserver son simple intérêt personnel ou à éluder le principe d’égalité entre les créanciers ne peut être qualifié de frauduleux. La fraude suppose un élément intentionnel caractéristique de la fraude pénale. Ainsi entendue, la fraude n’évoque que des comportements relevant du droit pénal et ne sera donc retenue qu’en présence d’actes pénalement répréhensibles, tels que l’usage de faux, l’escompte d’effets de complaisance, la mobilisation par bordereau de créances inexistantes ou fictives ou bien encore la circulation d’effets de cavalerie5.

Prenant ses distances avec les intentions initiales du législateur6, cette définition paraît conforme à l’esprit de la loi. En effet, une conception trop souple de la fraude risquerait de balayer le principe de non-responsabilité de l’article L. 650-1 C. com. et de fragiliser la situation de ceux dont le soutien s’avère indispensable à sauver les débiteurs en difficulté. En définitive, il incombe désormais aux juges du fond de réunir les indices d’une déloyauté intentionnelle pour caractériser la fraude susceptible de lever l’immunité des créanciers ayant consenti un concours fautif. Concrètement, la preuve de cette intention sera difficile à rapporter, de sorte que ne pouvant être établie, la fraude a toutes les chances de ne pas être retenue. Ce faisant, la déloyauté grave dont pourraient avoir fait preuve les créanciers demeurera sans sanction. n

Notes :
1 Cass. com. 27 mars 2012, Bull. civ. IV, n° 69 ; D. 2012. Actu. 870, obs. Lienhard ; D. 2012. 1455, note Dammann et Rapp. ; JCP E 2012. 1508, n° 9, obs. Pétel ; JCP E 2012. 1274, note Legeais ; JCP E 2012. 1373, obs. Stoufflet ; JCP 2012. 635, note Piedelièvre ; Rev. sociétés 2012. 398, obs. Roussel Galle ; Gaz. Pal. 27 avr. 2008, p. 31, obs. R. Routier, Rev. soc. 2013, p. 91, note I. Riassetto ; Banque et Droit mai-juin 2012, p. 22, note Th. Bonneau.
2 F. Pasqualini et G. Marain, « Responsabilité du banquier dispensateur de crédit à l’entreprise », Rép. Droit commercial, février 2019, Dalloz, spéc. n°142 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2023-2024, n° 834-121.
3 P. Le Cannu, D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, Précis Dalloz, 2022, n°991.
4 Cass. com. 2 oct. 2002, n°11-23.213, Rev. proc. coll. 2023, Mai-Juin, com. 92, note A. Martin-Serf – 16 octobre 2012, n° 11-22993, Bull. civ. IV, n°186 ; D. 2012, AJ, p. 2513, note A. Lienhard, RTDCom. 2012, p. 829, note D. Legeais - 13 décembre 2017 n° 16-21.498, Rev. proc. coll. 2018, comm. 127, note A. Martin-Serf ; Gaz. Pal. 17 avril 2018, p. 77, note J. Lasserre-Capdeville – 8 janv. 2020, n° 18-21.452, Gaz. Pal. 21 avril 2020, p. 83, note J. Lasserre-Capdeville et 8 janv. 2020, p. 66, note S. Moreil ; Rev. proc. coll. 2020, comm. 167, note A. Martin-Serf ; JCP E 2020, p. 33, note N. Mathey.
5 A. Jacquemont, N. Borga et Th. Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté,
12e éd., Lexisnexis, 2022, n° 658 - P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, op. cit., n° 834-151.

6 J. Stoufflet et N. Mathey, « Loi sur la sauvegarde des entreprises – Commentaire des dispositions applicables aux concours financiers », RDBFin. 2006, dossier 1, spéc. n°33. – J. Lasserre Capdeville, « Article L. 650-1 du Code de commerce : retour sur quelques incertitudes persistantes », Bull. Joly Entreprises en difficulté, novembre-décembre 2022, doctr., p. 42, spéc. n° 26 et suivants.
RB