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Quelle valeur probatoire accorder
à la fiche de renseignements patrimoniale remplie par la caution ?

Créé le

06.12.2023

Com. 20 septembre 2023, pourvoi n° P 22-14751, arrêt n°600, F-D

Lorsqu’elle est assignée en paiement, la caution essaye très fréquemment d’invoquer la disproportion du cautionnement au jour de sa souscription au regard de ses biens et ses revenus pour échapper à son engagement. Ce contentieux né essentiellement des dispositions prévues aux anciens art. L. 332-1 et L. 343-4 du Code de la consommation – désormais transférées sous réserve de remaniements dans le Code civil depuis la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 – a suscité de nombreuses interrogations sur le plan probatoire, notamment celle de la valeur probante de la fiche de renseignements patrimoniale que le créancier aura pris soin de faire remplir à la caution avant la conclusion du contrat1. Bien qu’ils ne fassent pas l’objet d’une publication au Bulletin, les arrêts du 30 août et du 20 septembre 2023 apportent un certain nombre de précisions que la caution comme le créancier seraient bien avisés de connaître.

Dans l’arrêt du 30 octobre 2023, une banque a consenti une ouverture de crédit à une société dont les trois co-gérants s’étaient portés caution dans la limite d’un certain montant. Suite à la mise en liquidation judiciaire de la société, la banque a assigné en paiement les trois cautions (Messieurs O, L et D) qui lui ont chacune opposé la disproportion de leur engagement. Dans l’arrêt du 20 septembre 2023, une banque a consenti à une société un prêt garanti, aux termes d’un acte du même jour, par le cautionnement solidaire de Monsieur P qui, quelques mois plus tard, s’est engagé en qualité de caution en garantie du fonctionnement du compte courant de la société. Dans tous les cas, une fiche de renseignements patrimoniale avait été remplie par ces cautions. L’intérêt de rédiger une telle fiche paraît indéniable, dès lors qu’en recensant un certain nombre d’informations objectives relatives aux éléments d’actif et de passif du patrimoine de la caution au jour de son engagement, elle a pour objet justement d’apprécier le caractère proportionné du cautionnement. En cette matière, il est acquis qu’il appartient à la caution qui invoque le caractère manifestement disproportionné de son engagement, d’en apporter la preuve2. Mais l’existence d’une fiche de renseignements patrimoniale peut priver la caution de cette possibilité (1.), dès lors qu’elle remplit les conditions qui lui assurent une pleine efficacité (2.).

1. Pour la Cour de cassation, « la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relatives à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’il a déclarée au créancier ». Dans l’arrêt du 20 septembre 2023, la caution avait omis de déclarer qu’elle était débitrice du solde d’un crédit immobilier dans les fiches de renseignements qu’elle avait établies quelques jours avant chacun de ses engagements et dont elle ne soutenait pas, dans ses conclusions d’appel, qu’elles étaient affectées d’anomalies apparentes. Alors que la cour d’appel avait estimé que la caution était libre de rapporter la preuve du caractère disproportionné de ses engagements, la Cour de cassation considère que la banque était en droit de se fier aux fiches de renseignements établies par la caution dont il résultait que les engagements n’étaient pas disproportionnés à son patrimoine. Dans l’arrêt du 30 août 2023, la Cour de cassation désapprouve la cour d’appel d’avoir relativisé la force probante de la fiche de renseignements certes non datée, mais signée, et d’avoir autorisé la caution (Monsieur O), pour démontrer le caractère disproportionné de son cautionnement, à se prévaloir d’engagements qu’elle avait contractés, sans rechercher si la fiche patrimoniale avait été établie antérieurement aux engagements de la caution qui n’y figuraient pas. En tout état de cause, la Cour de cassation impose un devoir de cohérence à la caution, qui ne peut chercher d’abord à convaincre le créancier qu’elle dispose d’un patrimoine suffisant en ne lui déclarant pas toutes les caractéristiques de son patrimoine, avant ensuite de contester son engagement en lui reprochant d’avoir obtenu auprès de lui un cautionnement disproportionné3. Il est de l’intérêt de la caution de remplir la fiche de renseignements de manière exhaustive et sincère afin qu’elle soit conforme à la réalité patrimoniale au jour de son engagement et cela d’autant plus que, sauf anomalies apparentes, le créancier est en droit de s’y fier, sans avoir à vérifier l’exactitude des déclarations qu’elle contient4.

2. Cependant, l’efficacité de la fiche de renseignements patrimoniale suppose qu’elle respecte un certain nombre de conditions.

Premièrement, la fiche de renseignements patrimoniale doit avoir pour auteur la caution, si ce n’est matériellement au moins intellectuellement, ce qui implique que la fiche qui serait remplie par un tiers soit signée par la caution afin d’en attester la véracité5. Dans l’arrêt du 30 août 2023, la Cour de cassation approuve ainsi la cour d’appel d’avoir admis que la caution (Monsieur D) puisse librement établir l’état de ses revenus, de ses biens et de ses dettes à la date de son engagement, après avoir relevé que la fiche de renseignements produite par la banque n’était pas signée et que l’écriture manuscrite qui y était apposée ne correspondait pas à celle figurant sur les mentions manuscrites des cautionnements donnés6. Il importe ainsi qu’a minima la fiche soit bien rédigée et signée par la caution.

Deuxièmement, la fiche de renseignements doit être concomitante ou au moins contemporaine de l’engagement souscrit. Dans l’arrêt du 30 août 2023, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir admis que la caution (Monsieur L) puisse librement établir que sa situation patrimoniale avait évolué entre la date d’établissement de la fiche de renseignements fixée au 1er juillet 2006 et la date du cautionnement litigieux fixée au 7 novembre 2007. Entre ces deux dates, la caution avait en effet souscrit, entre le 18 août 2016 et le 30 octobre 2007, 13 engagements de caution au profit d’autres banques, de sorte que le cautionnement souscrit postérieurement était manifestement disproportionné. Il incombe donc à la banque de veiller à réactualiser la fiche de renseignements à la veille de l’engagement de caution ou, à tout le moins, de vérifier indépendamment de la fiche trop ancienne qu’il n’y a pas d’éventuelle disproportion du cautionnement à la date à laquelle le cautionnement est consenti au regard du patrimoine de cette dernière. En tout état de cause, le créancier doit faire preuve de vigilance et aller au-delà des informations fournies en recherchant toutes informations utiles et complémentaires afin de s’assurer que la caution dispose bien d’un patrimoine suffisant pour faire face à son engagement. Comme l’a souligné la cour d’appel « à supposer même qu’une caution soit tenue d’un devoir de loyauté » qui l’obligerait à informer spontanément son créancier de l’évolution de sa situation, les solutions jurisprudentielles laissent à penser que le créancier est tenu d’une obligation de se renseigner au-delà des informations déclarées par la caution7.

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
1 C. Albiges, « À propos de la preuve d’un cautionnement proportionné »,
in Mélanges en l’honneur du professeur Pascal Ancel, Larcier, 2021, p. 679 et suivants, spéc. n°17 et suivants.

2 Récemment Com. 30 août 2023, pourvoi n° 21-20222, Juris-Data n° 2023-014714, JCP G, act.992 ; Dalloz Actualité 3 octobre 2023, obs. C. Hélaine.
3 C. Albiges, « À propos de la preuve d’un cautionnement proportionné », op. cit., n° 18 - Com. 18 janvier 2017, n° 15-12723, JCP E 2017, 1102, note D. Legeais.
4 Dans le même sens, Cass. 1re civ., 12 juill. 2023, n° 22-11357, Contrats, conc. consom. comm. 163, obs. S. Bernheim-Desvaux – Com. 11 mai 2023, n° 21-21992, Gaz. Pal. 17 oct. 2023, n° 33, p. 5, note C. Albiges.
5 Com. 14 décembre 2010, n°15-19141, Bull civ. IV, n° 198, RDBFin. 2011, n° 49, obs. A. Cerles ; JCP E 2011, 1117, note D. Legeais, cité par C. Albiges, op. cit., n°17.
6 Dans le même sens, Com. 4 mai 2017, pourvoi n° 15 AJ Contrat 2017, p. 335, note S. Bros.
7 En ce sens, Cass. 1re civ., 12 juill. 2023, précitée.
RB