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Le mandat d’arbitrage et son régime

Créé le

06.12.2023

L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, art. 35, I., 6° - JO 24 oct. 2023

1. Avec le développement des assurances vie en unités de compte, le mandat d’arbitrage s’est rapidement imposé comme instrument de gestion patrimoniale. En vertu de celui-ci, le souscripteur confie à son assureur ou à un tiers le soin de procéder pour son compte à la répartition de son épargne entre les différents supports d’unités de compte (UC).

D’emblée, il convient de distinguer le mandat d’arbitrage du service de gestion de portefeuille pour compte de tiers.

Selon l’article D. 321-1 (4°) du Code monétaire et financier, « constitue le service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers le fait de gérer, de façon discrétionnaire et individualisée, des portefeuilles incluant un ou plusieurs instruments financiers ou une ou plusieurs unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement dans le cadre d’un mandat donné par un tiers ». Plus spécifiquement, la gestion individuelle de portefeuille consiste, pour le prestataire qui s’y livre, à administrer et à disposer pour le compte de l’investisseur des titres qui composent un portefeuille, avec toute latitude, mais dans le respect de l’objectif assigné à la gestion. Dans le cadre de ce mandat, le prestataire agit pour le compte de son client qui demeure propriétaire des actifs sous gestion. En effet, le portefeuille de titres financiers figure sur un compte ouvert au nom du mandant auprès d’un intermédiaire habilité, ce compte étant spécialement affecté à la gestion du portefeuille. Les actifs demeurent ainsi à tout moment la propriété du titulaire de ce compte et ont vocation à lui être restitués lors de sa clôture.

Dans un contrat d’assurance vie libellé en unités de compte, les primes versées par le souscripteur sont converties en valeurs de référence composées de supports financiers offrant « une protection suffisante de l’épargne investie »1. Au terme convenu, ou antérieurement en cas de rachat, l’assureur verse la contrevaleur de ces supports ou se libère exceptionnellement par la remise de titres2. Or, si le risque de fluctuation des actifs sous-jacents pèse ainsi sur le preneur ou le bénéficiaire du contrat, la propriété de ces actifs échoit, en revanche, à l’assureur. En effet, l’engagement contractuel que prend ce dernier s’exprime à son actif par l’acquisition des titres financiers en fonction desquels la somme assurée est déterminée et provisionnée au passif. C’est dire que ces titres « sont effectivement et à tout moment la propriété de l’assureur » qui les gère pour son propre compte et non pour le compte d’autrui3.

Le souscripteur, quant à lui, n’est jamais propriétaire des supports d’unités de compte, mais uniquement créancier de leur contre-valeur, en conséquence de quoi il ne peut ni en assumer, ni en déléguer la gestion4. Du reste, il importe qu’il ne se conduise pas comme s’il était propriétaire des supports d’UC en s’immisçant dans leur gestion. C’est d’ailleurs par crainte d’un tel comportement, qui dévoierait la nature de l’assurance, que l’autorité de contrôle comme l’administration fiscale envisagent avec méfiance les contrats à fonds dédiés, pour lesquels les assureurs eux-mêmes ont pris des engagements spécifiques5. Au-delà de ces contrats, France Assureurs a pris pour l’ensemble des assurances vie en UC des engagements parmi lesquels : « Toute participation directe ou indirecte du souscripteur du contrat à la gestion des actifs par l’entreprise d’assurance est à écarter. » Toutefois, elle ajoute immédiatement : « Ceci n’interdit évidemment pas la possibilité pour le souscripteur de choisir, lorsque le contrat le prévoit, les unités de compte à la souscription ou en cours de contrat. »

En effet, compte tenu de ses droits sur la provision mathématique du contrat d’assurance, le souscripteur peut réaliser des arbitrages lui permettant de modifier la répartition de son capital entre ces supports. Cette faculté n’étant pas, à la différence du droit de rachat, une prérogative personnelle, il peut choisir de l’exercer lui-même ou mandater un tiers à cet effet. Ce tiers peut être l’assureur, un intermédiaire d’assurance, un conseiller en investissement financier, un prestataire de services d’investissement, voire un non-professionnel.

2. Eu égard à leur différence de nature, le mandat d’arbitrage et la gestion sous mandat obéissent théoriquement à un régime distinct. Pourtant, dans sa Position-Recommandation n° 2012-19, l’AMF invite les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) qui pratiquent accessoirement l’arbitrage, à prendre l’engagement d’appliquer à cette activité « des règles d’organisation et de bonne conduite identiques à celles applicables au service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers »6.

Préconisation contestable, dans la mesure où le législateur lie ces règles statutaires à la fourniture du service d’investissement considéré7. D’ailleurs, l’AMF ne cache pas son embarras lorsqu’au sein de la même recommandation elle ajoute que, « dans l’attente d’une clarification au niveau des textes législatifs et réglementaires », elle tolère les SGP qui n’appliqueraient pas à leur activité d’arbitrage trois règles issues de la Directive MIF 2 : l’interdiction de conserver les rétrocessions de commissions, l’affichage ex ante et ex post des coûts et frais liés, et le devoir d’alerte au client en cas de baisse de valeur du portefeuille de 10 %.

Au vrai, l’activité d’arbitrage pour compte de tiers ne relève pas de la gestion individuelle de portefeuille, ni d’aucun autre service d’investissement, mais de l’intermédiation d’assurances. En ce sens, la Cour de justice de l’Union européenne a pu décider que le conseil précontractuel sur le choix des UC ne rassortissait pas au conseil en investissement, mais aux « travaux préparatoires » qui forment une variété d’actes de distribution d’assurances8. De fait, le conseil en investissement vise des transactions sur les titres financiers dont le souscripteur pourrait acquérir ou céder la propriété9. Or, lorsqu’il porte sur les supports d’un contrat d’assurance, le conseil a pour objet divers actifs sous-jacents qui demeurent la propriété de l’assureur (cf. supra).

En somme, qu’il s’agisse d’actes de conseil, de gestion ou d’arbitrage sur les UC, le professionnel qui s’y livre à la demande de l’assuré pratique une activité de distribution soumise au livre V du Code des assurances.

3. C’est toutefois dans le livre premier du même code, dans sa partie relative au contrat d’assurance vie, que le législateur a résolu d’introduire une nouvelle section consacrée au mandat d’arbitrage.

Ce dispositif, qui entrera en vigueur le 23 octobre 2024 et sera complété par un décret, commence par définir l’arbitrage comme « l’opération consistant à modifier la répartition des droits exprimés en euros, des droits exprimés en unités de compte et des droits exprimés en parts de provision de diversification, au cours de la durée d’un contrat ou d’une adhésion, à la demande du souscripteur ou de l’adhérent, dès lors que cette faculté est prévue par ce contrat »10.

En tant que tel, l’arbitrage est un droit du souscripteur sur son contrat, et seul son exercice par un mandataire constitue une activité de distribution d’assurances.

Il est toutefois surprenant de subordonner l’existence de ce droit à une clause du contrat d’assurance vie : ne devrait-il pas être érigé en faculté inhérente à ce type de contrat, pour peu qu’il soit stipulé en unités de compte ou multisupports ?

Le nouveau dispositif définit ensuite le mandat d’arbitrage, dont le contenu sera précisé par décret11, comme « la convention par laquelle le souscripteur ou l’adhérent à un contrat d’assurance sur la vie ou de capitalisation, agissant en qualité de mandant, confie à une personne physique ou morale, agissant dans le cadre de ses activités commerciales ou professionnelles et en qualité de mandataire, la faculté de décider des arbitrages »12.

Le régime nouvellement institué s’applique donc aux seuls mandats exercés par des professionnels dans le cadre de leur activité. Lorsque ces professionnels ne sont pas des entreprises d’assurance, ils sont alors tenus de s’immatriculer à l’ORIAS en qualité d’intermédiaire d’assurance13. En effet, dès lors qu’il exerce contre rémunération une activité de distribution d’assurances, le mandataire aux arbitrages ne peut échapper à cette qualification14. Il y échappe en revanche, ainsi qu’au nouveau dispositif, si son mandat est accompli à titre gratuit.

Est également exemptée d’inscription à l’ORIAS, la SGP à qui le mandataire délèguerait sa tâche. Expressément visée par la loi, une telle délégation n’est toutefois possible qu’à la condition d’être prévue dans le mandat au contenu duquel la société déléguée devra se conformer sous la responsabilité du mandataire15. En d’autres termes, la SGP devra permettre au délégant de se conformer aux obligations qui lui incombe en qualité de distributeur d’assurances.

Bien entendu, si elle est enregistrée en qualité d’intermédiaire d’assurance, une SGP peut être directement mandaté pour réaliser les arbitrages.

4. Avant de conclure le mandat d’arbitrage, l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance qui le propose est tenu de conseiller une orientation de gestion ou, le cas échéant, un profil d’allocation qui soit cohérent avec les exigences et les besoins du mandant, et de préciser par écrit les raisons qui motivent ce conseil16. Au fond, cette obligation n’est que l’adaptation au mandat d’arbitrage du conseil légalement imposé en prélude de toute conclusion d’un contrat d’assurance vie17.

Plus original, le distributeur une fois mandaté devra s’assurer, selon une périodicité qu’un arrêté précisera, que l’orientation de gestion ou le profil d’allocation reste cohérent avec les exigences et les besoins du mandant. Au vrai, l’originalité de ce conseil renouvelé en cours de mandat doit être nuancée puisque la loi commentée l’impose également après la souscription du contrat d’assurance vie18.

Outre son obligation de conseil, le mandataire est débiteur de diverses informations. Tout d’abord, lorsqu’il agit en qualité d’intermédiaire d’assurance, il est tenu de communiquer à l’assureur le mandat d’arbitrage, au plus tard à sa date de prise d’effet19. Par suite, il devra l’informer de la résiliation éventuelle de ce mandat.

Du reste, en cas de résiliation ainsi qu’au moins une fois par an, le mandataire doit informer son mandant des arbitrages effectués, en lui transmettant des informations qui seront listées dans le futur décret d’application20.

Il est précisé que ces différentes obligations ne s’appliquent pas aux activités d’arbitrage confiées dans le cadre d’un PER assurance dont les versements sont affectés selon une allocation de l’épargne permettant de réduire progressivement les risques financiers pour le titulaire21. En effet, pour ce type de plan, le législateur a prévu, sauf décision contraire du titulaire, une gestion pilotée par horizon qui se décline en trois profils : prudent, équilibré et dynamique. Il en est de même des nouveaux plans d’épargne avenir climat qu’introduit la loi commentée, à condition que les versements tendent eux aussi à une désensibilisation progressive du risque financier à l’horizon défini par le souscripteur22. Enfin, sont également exemptés les contrats souscrits dans le cadre d’un régime de retraite supplémentaire mentionné au 2° de l’article 83 du Code général des impôts.

En revanche, quel que soit le contrat d’assurance, le mandataire est assujetti, lorsqu’il est distributeur d’assurances, aux diverses obligations édictées par le livre V du Code des assurances en matière de conflits d’intérêts23. Ces obligations sont en outre renforcées par l’interdiction qui lui est faite de percevoir une rémunération à l’occasion d’opérations d’investissement ou de désinvestissement entre les supports proposés. À cet égard, est donc jugée insuffisante la transparence imposée par l’article L. 522-5 du Code des assurances, selon lequel le distributeur d’assurances doit informer précontractuellement le souscripteur des « éventuelles rétrocessions de commission perçues au titre de la gestion financière des actifs représentatifs des engagements exprimés en unités de compte par l’entreprise d’assurance, par ses gestionnaires délégués, y compris sous la forme d’un organisme de placement collectif, ou par le dépositaire des actifs du contrat dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de l’économie. » n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
1 C. Ass., art. R. 131-1.
2 C. Ass., art. L. 131-1.
3 France Assureurs, Recueil des engagements à caractère déontologique des entreprises d’assurance membres de la Fédération, janvier 2023, p. 47.
4 En ce sens : Cass. com. 14 décembre 2010, n° 10-10207 : BJB mars 2011, n° JBB-2011-0088, p. 201, note P.-G. Marly.
5 France Assureurs, Recueil préc., spéc. Engagement n°12 (2.1 et s.).
6 AMF, Position-Recommandation n° 2012-19, 18 déc. 2012, modif. janv. 2019.
7 C’est ainsi que selon l’article L. 533-13 I. du Code monétaire et financier, le recueil des éléments de connaissance du client (KYC) en vue de réaliser le test d’adéquation (suitability test) est prescrit « en vue de fournir le service de conseil en investissement ou celui de gestion de portefeuille pour le compte de tiers ». D’ailleurs, l’AMF ne dit pas autre chose dans sa Position n° 2013-02, qui concerne précisément ce recueil des éléments de connaissance du client, et dont elle réserve l’application aux prestataires de services d’investissement « lorsqu’ils fournissent des services de conseil en investissement, de gestion de portefeuille, de réception transmission d’ordres (...) ». En d’autres termes, ces préconisations concernent les professionnels visés pour l’exercice de leur activité réglementée, ne devraient donc pas s’appliquer aux SGP pour l’exécution d’un mandat d’arbitrage.
8 CJUE, 4e ch., 31 mai 2018, aff. C-542/16 : Banque et Droit, n° 181, sept.-oct. 2018, p. 39, note P.-G. Marly. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé que le placement d’un capital dans les supports d’unités de compte « constitue une partie intégrante du contrat d’assurance et que, par conséquent, les conseils relatifs à ce même placement relèvent des travaux préparatoires à la conclusion dudit contrat d’assurance ». Elle précise toutefois que lesdits conseils pourraient également relever du service de conseil en investissements financiers, mais que la directive MIF serait inapplicable puisqu’elle exclut de son domaine les personnes qui pratique ce service à titre accessoire (Dir. 2004/39/UE, art. 2, § 1, point c. Comp. Rég. délégué (UE) 2017/565, art. 4).
9 C. monét. fin., art. D. 321-1, 5°.
10 C. ass., art. L. 132-27-3, I.
11 C. ass., art. L. 132-27-4, I.
12 C. ass., art. L. 132-27-3, II.
13 C. ass., art. L. 132-27-3, III.
14 C. ass., art. L. 511-1, III., al. 2.
15 C. ass., art. L. 132-27-3, IV.
16 C. ass., art. L. 132-27-4, I., al. 2.
17 C. ass., art. L. 522-5, I.
18 C. ass., art. L. 522-5, III (nouv.).
19 C. ass., art. L. 132-27-4, II.
20 C. ass., art. L. 132-27-4, III.
21 C. mon. fin., art. L. 224-3, al. 3 et 4.
22 C. mon. fin., art. L. 221-34-3, II.
23 C. ass., art. L. 132-27-3, III.
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