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Éditorial

Faut-il canaliser un certain activisme de certains fonds ?

Créé le

12.12.2019

De grands émetteurs français, soumis à l’intrusion et aux exigences de fonds dits activistes, s’en inquiètent pour eux-mêmes et pour la Place de Paris. Il est vrai que les revendications et les méthodes de ces fonds particuliers, souvent d’origine nord-américaine, bousculent le monde des grandes entreprises cotées en exigeant très vite et bruyamment, alors qu’ils ne représentent que quelques pourcents, des places au conseil d’administration, des changements gouvernance, une réorientation de la politique d’investissement et de distribution, voire des restructurations, en souhaitant en général une rentabilité rapide dans une vision que l’on dit « court-termiste ». En résulte parfois une déstabilisation de l’émetteur, voire une perturbation du marché. Certains fonds s’y adonnent à la suite d’une entrée feutrée au capital de la cible (« longs »), d’autres, se plaçant à la baisse (« courts »), en se portant vendeurs à terme de titres qu’ils n’ont pas et qu’ils sont donc tenus d’emprunter. Dans ce dernier cas, outre les inconvénients déjà évoqués, le risque est alors celui d’une manipulation de cours. Mais rien n’étant blanc ou noir, le rôle de ces fonds peut être utile pour le dynamisme des entreprises qu’ils aiguillonnent, pour le marché financier qu’ils animent, également pour le marché du prêt-emprunt de titres qu’ils stimulent. Dès lors, l’encadrement des fonds activistes – ou plutôt d’un certain activisme de certains fonds – est compliqué, car toute réglementation risque d’avoir des effets pervers.

Ce sont ces préoccupations et ces écueils qu’a pris en compte la « Mission d’information sur l’activisme actionnarial » créée au sein de la Commission des finances de l’Assemblée nationale par Éric Woerth et Benjamin Dix. Les rapporteurs jugent l’activisme comme participant au fonctionnement normal des marchés, mais s’inquiètent de ses formes excessives, qui peuvent déstabiliser la direction d’une société ou aggraver ses difficultés, notamment par des campagnes publiques agressives. Tout en reconnaissant qu’il existe déjà des règles permettant de les encadrer (abus de marché, ventes à découvert, transparence, droits des actionnaires), ils essaient de définir les mauvaises pratiques, d’esquisser des orientations de réglementation et formulent treize propositions.

Le rapport propose d’abord de renforcer la transparence du marché, en particulier en abaissant de 5 % à 3 % le niveau de déclaration des franchissements de seuil ; il ajoute qu’il faudrait que les obligations de déclaration de franchissement de seuil de toute nature s’imposent à la hausse comme à la baisse (ce qui est curieux, car il s’agit déjà de la règle actuelle). Il suggère que la sanction de non-déclaration soit renforcée, qu’il s’agisse des seuils légaux ou des seuils statutaires. Il conseille également de faciliter l’identification des actionnaires, en libéralisant le régime du titre au porteur identifiable. Il voudrait réduire l’asymétrie d’information entre l’activiste et l’émetteur en obligeant le fonds à entrer en communication avec la société avant ou au plus tard au moment où il lance une campagne publique et permettant à celle-ci d’y répondre même lors des périodes d’abstention qui précèdent la publication des résultats. Il souhaite que soit rédigé un guide du dialogue actionnarial, organisant un échange contradictoire équilibré entre les fonds et les émetteurs. Il aimerait encadrer avec prudence les ventes à découvert, c’est-à-dire le marché du prêt-emprunt de titres, en encourageant les places financières à développer elles-mêmes des outils de transparence ; il envisage de priver les emprunteurs du droit de vote dans certaines opérations. Enfin, il propose de « rapprocher le temps de la régulation du temps du marché », en créant une procédure de référé devant l’AMF permettant aux émetteurs de saisir cette autorité d’une situation urgente et à celle-ci de prendre des mesures conservatoires.

Autant dire que ces propositions vont susciter un large débat, d’autant que d’autres institutions s’intéressent au sujet (Club des juristes, Institut Sapiens, Paris Europlace).

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À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº188
RB