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Précisions sur l’excuse de bonne foi

Créé le

06.12.2023

Cass. crim. 17 octobre 2023, n° 22-87.544.

Selon l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ». La suite de l’article précise que « la publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ». Nous le voyons, les termes employés ici sont très larges et peuvent inclure des hypothèses variées, et notamment des messages laissés sur des sites Internet ou des réseaux sociaux.

D’un point de vue matériel, la caractérisation du délit de diffamation implique la réunion de quatre circonstances : une allégation ou une imputation1 ; un fait déterminé ; une atteinte à l’honneur ou à la considération2 ; une personne ou un corps identifié ou identifiable. L’élément moral, également requis, prendra la forme de la conscience et la volonté de commettre l’élément matériel. Il sera généralement présumé à la vue de l’élément matériel3.

Mais la condamnation pour diffamation publique est-elle sans limite ? Absolument pas. La jurisprudence a notamment créé une « excuse » permettant au prévenu d’y échapper : la bonne foi de celui qui est poursuivi pour diffamation. Il est ainsi acquis, de longue date, que la bonne foi en question implique la réunion de quatre éléments pour produire un effet exonératoire : la légitimité du but poursuivi ; l’absence d’animosité personnelle ; la prudence et la mesure dans l’expression ; ainsi que l’existence d’une enquête sérieuse, ou au moins une base factuelle suffisante lorsque l’auteur des propos est un particulier et non un journaliste, professionnel de l’information.

Ces quatre éléments connaissent en outre, aujourd’hui, une évolution remarquée, en raison du droit européen. Ce dernier est en effet plus favorable au principe de proportionnalité de nature à impacter le champ d’application de la liberté d’expression4. Le juge français tend alors, ces dernières années, à faire prévaloir les critères liés au but légitime de la poursuite et à l’existence d’une base factuelle suffisante sur les deux autres critères5. L’arrêt sélectionné témoigne de cette solution.

Le 9 décembre 2020, la société X. et son directeur général délégué adjoint, M. J., avaient porté plainte et s’étaient constitués partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, à raison de deux articles publiés, les 19 et 30 septembre 2020, sur le site internet AlgeriePartPlus.com. Le premier, notamment, était intitulé : « Exclusif. Le patron de la plus importante banque algérienne à l’étranger auditionné pendant plus de 17 heures par la police française ». Les deux articles contenaient alors les propos suivants : « En France, cette discrète banque algéro-lybienne est au cœur d’un scandale de détournement de fonds sur lequel enquête très discrètement la police française », propos visant, selon les parties civiles, la société X., prise en la personne de son directeur général délégué adjoint, M. J.

Mis en examen et renvoyé de ce chef devant le tribunal correctionnel, le journaliste (M. B.) avait été relaxé, par jugement du 27 janvier 2022, le tribunal rejetant également les demandes des parties civiles. La Cour d’appel de Paris avait, par la suite, confirmé ces solutions. M. J. et la société X. avaient alors formé un pourvoi en cassation. La décision de la Cour de cassation, qui rejette ce pourvoi, attire l’attention.

Elle commence par observer que pour retenir l’excuse de bonne foi, dire que M. B. n’avait pas commis de faute civile et rejeter les demandes des parties civiles, l’arrêt attaqué avait considéré que les propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général, celui du fonctionnement et de l’usage des fonds détenus par une banque dont le capital était détenu par deux banques d’État et qui assurait pour le compte des grandes entreprises de ces pays les relations financières avec la zone de l’Organisation de coopération et de développement économique. Les juges du fond avaient ajouté qu’aucune animosité personnelle n’animait le prévenu, journaliste engagé, qui avait été emprisonné en Algérie pour de précédents articles critiques et qui bénéficiait aujourd’hui de la qualité de réfugié politique en France. Ils en avaient déduit que celui-ci devait bénéficier d’une protection accrue de sa liberté d’expression, de sorte qu’une plus grande liberté de ton devait lui être reconnue, dès lors qu’il était en mesure de justifier d’un minimum de base factuelle.

Or, pour la Cour de cassation, la cour d’appel avait justifié sa décision. Trois précisions notables sont alors données. En premier lieu, les propos poursuivis s’inscrivaient bien dans un débat d’intérêt général, à savoir celui du fonctionnement et de l’usage des fonds détenus par une banque dont le capital était détenu par deux banques d’État alors que certaines infractions pénales avaient pu être imputées à ses dirigeants. En deuxième lieu, l’existence d’une base factuelle suffisante ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits. En dernier lieu, il est noté que les propos reposaient sur une base factuelle suffisante résultant de plusieurs procédures pénales, dont une plainte pour abus de biens sociaux, que le prévenu, journaliste, avait légitimement pu ne pas produire, afin de protéger l’identité de sa source, ainsi que de témoignages d’anciens salariés de la banque dénonçant les importantes dépenses engagées par M. J., directeur général délégué adjoint, alors que la banque était déficitaire, éléments corroborés par des documents financiers. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
1 L’allégation consiste à reprendre, répéter ou reproduire des propos ou des écrits diffamatoires attribués à un tiers, tandis que l’imputation s’entend de l’affirmation personnelle d’un fait dont on endosse la responsabilité.
2 Entraîner une atteinte à l’honneur veut dire toucher à l’intimité d’une personne. L’atteinte à la considération consiste, pour sa part, à troubler sa position sociale ou professionnelle.
3 La diffamation publique envers les particuliers est assortie d’une peine d’amende de 12 000 euros – Loi 29 juill. 1881, art. 32, al. 1.
4 V. not., CEDH 7 sept. 2017, n° 41519/12, Lacroix c/ France : AJCT 2018, p. 42,
obs. Y. Mayaud ; Dalloz actualité, 14 sept. 2017, obs. E. Autier ; Grale 2018, p. 503, obs. J. Lasserre Capdeville ;

5 P. Wachsmann, « Les éléments constitutifs de la bonne foi en matière de diffamation et les exigences européennes », D. 2021, p. 1727. – Pour une illustration récente, Cass. civ. 1re, 11 mai 2022, n° 21-16.156 et 21-16.497 : D. 2022, p. 1071, note C. Bigot ; D. 2023, p. 137, obs. E. Dreyer. – Cass. crim. 21 févr. 2023, n° 22-81.747 : AJCT 2023, p. 372, obs. S. Lavric.
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