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Des effets de la procédure
de surendettement sur la déchéance du terme d’un prêt

Créé le

06.12.2023

Cass. 1re civ., 12 juillet 2023, n° 22-16653, arrêt n° 554, FS-D, Gaz. Pal. 26 septembre 2023, n° 30, p. 5, note E. Mouial-Bassilana ; LEDB, octobre 2023, n° 9, p. è, note M. Mignot ; LEDC novembre 2023, n° 10, p. 5, note C.-M. Péglion-Zika ; Dalloz actualité 23 septembre 2023, note G. Payan.

En cas de défaillance d’un emprunteur résultant du non-paiement d’une ou plusieurs échéances telles que prévues au contrat de prêt, le prêteur peut, aux termes de l’article L. 312-39 du Code de la consommation, exiger le remboursement immédiat du capital restant dû ainsi que des intérêts conventionnels échus mais non payés. Pour se prévaloir de cette déchéance du terme, le prêteur doit adresser à l’emprunteur, sauf dispense expresse et non équivoque1, une mise en demeure précisant l’intention du prêteur de se prévaloir de l’exigibilité des sommes restant dues et le délai laissé à l’emprunteur pour y faire obstacle2. Mais le respect de ces conditions ne suffit pas toujours à assurer l’efficacité de la déchéance. Dans un arrêt du 12 juillet 2023, la question s’est ainsi posée de savoir dans quelle mesure le jeu d’une clause de déchéance du terme ou d’exigibilité peut être contrarié par la survenance d’une procédure de surendettement des particuliers.

En l’espèce, la société Créatis a accordé un prêt de restructuration à un couple d’emprunteurs. En raison d’échéances impayées, la banque a mis en demeure, le 12 février 2016, l’un des co-emprunteurs de régulariser la situation, avant de notifier la déchéance du terme de ce prêt, par lettres recommandées du 14 juin 2016, aux deux emprunteurs. Cependant, la Cour d’appel a considéré que si la déchéance du terme pouvait produire ses effets à l’égard de l’épouse co-emprunteuse, il n’en allait pas de même à l’égard de l’époux co-emprunteur qui, ayant été déclaré recevable, le 29 juin 2015, à l’ouverture d’une procédure de surendettement, avait bénéficié de mesures de désendettement recommandées par la commission et rendues exécutoires par une ordonnance du 12 octobre 2015. Dans son pourvoi, la banque soutient, à l’inverse, que la déchéance du terme notifiée à l’épouse co-emprunteuse ne bénéficiant pas du plan de surendettement devait nécessairement entraîner la même déchéance à l’égard de l’époux co-emprunteur solidaire, « peu important que celui-ci fut bénéficiaire d’une mesure de surendettement homologuée dont le non-respect n’était pas établi ». Fort heureusement, cet argument est balayé par la Cour de cassation qui rappelle qu’aux termes de « l’article L. 331-3-1 alinéas 2 et 3 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, repris à l’article L. 722-5 al. 1er du même code, la décision déclarant recevable la demande d’ouverture d’une procédure de surendettement emporte interdiction pour le débiteur, sauf autorisation judiciaire, de payer, en tout ou en partie, une créance autre qu’alimentaire jusqu’à l’homologation, par le juge, des mesures recommandées par la commission de surendettement ». Sur ce fondement, elle approuve la cour d’appel d’avoir considéré, par une appréciation souveraine des éléments de preuve produits, qu’il n’était pas établi que les conditions d’acquisition de la déchéance du terme, « laquelle ne pouvait résulter que d’impayés antérieurs au 29 juin 2015 », aient été réunies à l’égard du co-emprunteur bénéficiaire de la procédure de surendettement.

Cette solution se justifie à plus d’un titre. Depuis la loi du 1er juillet 2010, l’article L.722-2 du Code de la consommation dispose que la décision de recevabilité de la demande d’ouverture d’une procédure de surendettement emporte de plein droit suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur. Pour assurer l’effectivité de cette mesure, l’ancien article L. 331-3-1 alinéas 2 et 3, repris à l’article L. 722-5 du code de la consommation, interdit au débiteur de payer, en tout ou partie, les créances autres qu’alimentaires nées antérieurement à la décision de recevabilité de sa demande de surendettement, sauf à ce que le juge de la protection, sur saisine du débiteur, l’autorise à accomplir un paiement. Sans pouvoir excéder deux ans, cette suspension et interdiction perdurent jusqu’à l’homologation par le juge des mesures recommandées par la commission. Quant aux recommandations rendues exécutoires par le juge, elles sont opposables aux créanciers connus qui ne peuvent exercer de procédures d’exécution à l’encontre des biens du débiteur pendant la durée de leur exécution aussi longtemps qu’elles sont respectées par le débiteur3. Contrairement à ce que prétendait la banque, le fait que le co-emprunteur fut « bénéficiaire de mesures de surendettement homologuées dont le non-respect n’était pas établi » constituait bien un obstacle au jeu de la clause de déchéance du terme, dont les conditions d’acquisition n’étaient pas réunies avant la décision déclarant le débiteur recevable à la procédure de surendettement et ne pouvaient produire aucun effet durant l’exécution des mesures homologuées. En l’espèce, la dette du débiteur avait fait l’objet d’un rééchelonnement précédé d’un moratoire de 14 mois. Or, conformément à l’article L. 733-1 du code de la consommation, le moratoire suspend l’exigibilité des dettes du débiteur pour une durée qui ne peut excéder deux ans4. La mise en demeure du co-emprunteur in bonis de régulariser la situation en date du 12 février 2016 et les notifications par lettres recommandées du 14 juin 2016 de la déchéance du terme du prêt aux co-emprunteurs, ne pouvaient produire aucun effet sur le co-emprunteur surendetté qui ne pouvait être considéré comme défaillant durant cette période.

Destiné à protéger le débiteur, le droit du surendettement fait efficacement obstacle au jeu de la clause de déchéance du terme si ses conditions d’acquisition ne sont pas réunies avant la décision de recevabilité de la demande du débiteur et aussi longtemps que ce dernier respecte les mesures de désendettement dont il bénéficie, qu’elles résultent, comme aujourd’hui, d’un plan conventionnel de redressement ou de mesures imposées par la commission, l’homologation des mesures recommandées par la commission de surendettement ayant été supprimée par la loi du 18 novembre 20165. n

1 Cass. 1re civ., 11 janvier 2023, arrêt n° 16, pourvoi n° 21-21.590, FS-B ; Dalloz Actualité 17 janvier 2023, obs. Cédric Hélaine ; Contrats, conc., consom. 2023, comm. 55, note S. Bernheim-Desvaux ; Banque et droit n° 209, Mai-Juin 2023, p. 18, obs. S. Gjidara-Decaix.

2 : ; AJDI 2023, p. 353 ; Revue de Droit bancaire et financier n° 4, juillet-août 2023, comm. 119, obs. N. Mathey.

3 V. Martineau-Bourgninaud, Procédures de surendettement des particuliers et rétablissement personnel, LGDJ Lextenso, 2018, n°705 et suivants.

4 S. Gjidara-Decaix S., « Justice du XXIe siècle : quels changements pour le droit du surendettement ? », AJFamille, 2016, 590 ; Piedelièvre S., « Le droit du surendettement dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », JCP 2016, n°1329 ; Raschel L., « Justice du XXIe siècle : présentation des dispositions relatives au surendettement », Procédures 2017, étude 6.

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
 Cass. 1re civ., 11 janvier 2023, arrêt n° 16, pourvoi n° 21-21.590, FS-B ; Dalloz Actualité 17 janvier 2023, obs. Cédric Hélaine ; Contrats, conc., consom. 2023, comm. 55, note S. Bernheim-Desvaux ; Banque et Droit n° 209, mai-juin 2023, p. 18, obs. S. Gjidara-Decaix.
Cass. 1re civ., 22 mars 2023, n° 21-13.038 : Juris-Data n° 2023-004288 ; AJDI 2023, p. 353 ; Revue de Droit bancaire et financier n° 4, juillet-août 2023, comm. 119, obs. N. Mathey.
S. Gjidara-Decaix S., Fasc. 1712, Juris-Classeur Procédures collectives, 2018, n° 19 et suivants.
V. Martineau-Bourgninaud, Procédures de surendettement des particuliers et rétablissement personnel, LGDJ Lextenso, 2018, n°705 et suivants.
S. Gjidara-Decaix S., « Justice du XXIe siècle : quels changements pour le droit du surendettement ? », AJFamille, 2016, 590 ; Piedelièvre S., « Le droit du surendettement dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », JCP 2016, n°1329 ; Raschel L., « Justice du XXIe siècle : présentation des dispositions relatives au surendettement », Procédures 2017, étude 6.
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