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De la qualification du moyen tiré
de la déchéance du droit aux intérêts opposé par l’emprunteur bénéficiaire d’une procédure de surendettement

Créé le

02.04.2024

Le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts, qui ne tend qu’à ce que la créance soit écartée, en tout ou en partie, pour la poursuite de la procédure, sans que le débiteur ne puisse prétendre à la restitution d’un éventuel trop-perçu, constitue une défense au fond qui peut être opposée en tout état de cause sans être soumis à la prescription.

Les règles procédurales peuvent être d’un secours non négligeable pour assurer l’effectivité des sanctions en droit de la consommation. Selon que le moyen invoquant la déchéance du droit aux intérêts est qualifié de défense au fond ou de demande reconventionnelle, le régime de la prescription n’est pas le même. Alors que la demande reconventionnelle est soumise à la prescription, la défense au fond est imprescriptible. Cette imprescriptibilité est d’autant plus opportune, lorsqu’elle permet de solder la créance de l’emprunteur, bénéficiaire d’une procédure de traitement de sa situation de surendettement. À la croisée du droit de la consommation, de la procédure civile, du droit de la prescription et du droit du surendettement, l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 23 novembre 2023 permet de revenir sur la qualification de ce moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts, tout en soulignant les spécificités de la procédure de vérification des créances en matière de surendettement.

Bénéficiaires d’une procédure de traitement de leur situation de surendettement, des emprunteurs ont contesté l’état du passif dressé par la commission de surendettement, estimant que la banque auprès de laquelle ils avaient souscrit un prêt devait être déchue de son droit aux intérêts. Saisi par la commission de surendettement aux fins de vérification de la validité du titre de créance et du montant des sommes réclamées par le prêteur, le juge des contentieux de la protection a qualifié la demande de déchéance du droit aux intérêts de défense au fond et, après avoir estimé que les conditions de cette déchéance étaient réunies, a déclaré la créance soldée pour les besoins de la procédure. Dans son pourvoi, le créancier (dénommé « la société » dans l’arrêt) conteste la qualification retenue, en soulignant, à titre principal, que les emprunteurs étaient « demandeurs à l’instance à laquelle la société avait été attraite en qualité de défendeur », de sorte que leur demande visant à prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêt consenti était soumise à la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 C. com. et, par conséquent, prescrite. À titre subsidiaire, le créancier estimait que l’emprunteur qui soulève en défense la déchéance du droit aux intérêts en sollicitant la restitution de ces intérêts forme une demande reconventionnelle soumise à prescription. La Cour de cassation rejette cette qualification, et considère, au contraire, que le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts constitue bien une défense au fond au sens de l’article 71 C. proc. civ. qui l’a définie comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire ». Au visa de ce texte combiné aux articles L. 723-3 et R. 723-7 C. consom. relatifs à la procédure de vérification des créances, la Cour de cassation estime que « constitue une défense au fond, le moyen opposé à l’occasion de la procédure de vérification de vérification et tiré de la déchéance du droit aux intérêts, qui ne peut tendre qu’à ce que la créance soit écartée, en tout ou en partie, pour la poursuite de la procédure, sans que le débiteur ne puisse prétendre à la restitution d’un éventuel trop-perçu ». De cette qualification, la Cour de cassation déduit que ce moyen de défense au fond peut être « opposé en tout état de cause sans être soumis à la prescription ».

Cette solution ne surprend pas, en ce qu’elle est conforme à l’avis de la Cour de cassation rendu le 18 janvier 2019 qui a posé en principe « qu’en ce qu’il tend à faire rejeter comme non justifiée la demande en paiement du prêteur ayant consenti un crédit à la consommation, le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par l’emprunteur, constitue une défense au fond ». Toutefois, la Cour de cassation y apportait une exception en précisant que « si l’invocation de la déchéance du droit aux intérêts tend à la restitution d’intérêts trop perçus, elle s’analyse en une demande reconventionnelle, en ce qu’elle procure à l’emprunteur un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire »1. En d’autres termes selon que l’emprunteur réclame ou non la restitution d’intérêts, il s’agit soit d’une demande reconventionnelle, soumise à la prescription, soit d’une défense au fond, imprescriptible. Dans une décision du 22 mars 2023, la Cour de cassation a ainsi estimé que si le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par le souscripteur d’un crédit à la consommation constitue, en principe, une défense au fond, l’invocation d’une telle déchéance s’analyse toutefois en une demande reconventionnelle si elle tend à la restitution d’intérêts trop perçus2. Dans l’espèce commentée, la Cour de cassation confirme donc que « les demandeurs, qui ne formaient aucune demande en restitution d’intérêts trop perçus, invoquaient un moyen de défense au fond non soumis à la prescription ».

Cette solution a été rendue, dans le cadre d’une procédure de traitement du surendettement, à l’occasion d’une procédure de vérification des créances, dont la Cour de cassation souligne les spécificités. Afin de traiter de la situation de surendettement du débiteur, la commission doit dresser l’état du passif du débiteur (article L. 723-1 C. consom.) au vu des éléments qu’il a déclarés et des ceux renseignés par les créanciers qui, informés par la commission du passif déclaré par le débiteur, disposent d’un délai de 30 jours pour fournir, en cas de désaccord, les justifications de leurs créances (article R. 723-1 C. consom.). Investie d’une simple mission de recueil d’information, la commission dresse l’état du passif du débiteur sans pouvoir apprécier la validité ou la régularité des créances qui relève de l’office du juge des contentieux de la protection (article R. 723-7 C. consom.). Si le débiteur entend contester l’état du passif dressé par la commission, il lui appartient de demander à la commission de saisir le juge des contentieux de la protection aux fins de vérification de la validité des créances, des titres qui les constatent et du montant des sommes réclamées (article L. 723-3 C. consom.). Dénuée de tout pouvoir juridictionnel, la commission ne peut, en effet, décider du sort des créances litigieuses. Pour vaincre les difficultés et en l’absence de contestation du débiteur, la commission n’a d’autres choix que saisir le juge aux fins de vérification des créances litigieuses (article L. 723-4 C. consom.). En tout état de cause, la saisine du juge aux fins de vérification relève du pouvoir exclusif de la commission, même si cette dernière est tenue de le faire si le débiteur le lui demande. Il en résulte, en l’espèce que, contrairement à ce que prétendait le prêteur, les emprunteurs – même s’ils étaient à l’origine de la saisine par la commission de surendettement du juge – n’occupaient pas, dans la procédure de vérification des créances, une place de « demandeurs » ayant « formé une demande en déchéance du droit aux intérêts déclarée recevable », mais de défendeurs. Certes, le fait d’avoir une position de défendeur n’implique pas que tous les moyens invoqués puissent être pour autant qualifiés de défenses au fond. Mais tel est le cas, pour la Cour de cassation, du « moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé à l’occasion de la procédure de vérification des créances, qui ne peut tendre qu’à ce que la créance soit écartée, en tout ou en partie, pour la poursuite de la procédure, sans que le débiteur puisse prétendre à la restitution d’un éventuel trop-perçu ». En effet, opérée pour les besoins de la procédure et afin de permettre à la commission de poursuivre sa mission, la vérification porte sur le caractère certain et liquide des créances, ainsi que sur le montant des sommes réclamées en principal, intérêts et accessoires. L’objectif de cette vérification est d’écarter de la procédure les créances, dont la validité ou celle des titres qui les constatent n’est pas reconnue (article R. 723-7 C. consom.). Autrement dit, le juge n’a pas d’autre alternative que d’écarter ou non une créance litigieuse, sans pouvoir ordonner la restitution d’un éventuel trop perçu.

Pour en terminer, il reste à clarifier l’office du juge, auquel l’auteur du pourvoi reprochait, dans un second moyen, d’avoir violé les articles 4 et 5 C. proc. civ. en jugeant que l’intégralité de la créance litigieuse était soldée, alors même que les emprunteurs demandaient uniquement à voir prononcer « la déchéance du droit aux intérêts, que le montant des intérêts trop perçus soit déduit du montant restant dû, et que le trop-perçu de prime d’assurance soit lui-même réaffecté au remboursement du capital ». Conformément aux articles L. 723-3 et R. 723-7 C. consom., le juge a l’obligation de fixer le montant de la créance litigieuse. Dès lors que le juge pouvait retenir que la déchéance du droit aux intérêts était encourue, il pouvait, au vu des éléments de preuve produits qui relèvent de son pouvoir souverain d’appréciation, considérer que la créance litigieuse était soldée.

Bien que rendue dans le cadre d’une procédure de surendettement, la décision de la Cour de cassation n’en a pas moins une portée générale. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº214
Notes :
1 Cass. 1re civ., avis, 18 septembre 2019, n° 19-70.013, D. 2019, 1830, D. 2019, p. 2282, note G. Poisonnier ; Contrats, conc., consom. 2019, com. 188, note S. Bernheim-Desvaux ; RDBFin. 2019, com. 26, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal. 25 février 2020, n° 8, p. 55, note A. Gouëzel.
2 Cass. 1re civ., 22 mars 2023 n° 21-14.666, RDBFin. 2023, com. 123, obs. N. Mathey.
RB