1. Par arrêt du 25 octobre 2023, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a eu à trancher un litige ayant pour origine le refus par le Conseil de résolution unique (CRU) de restituer à BNP Paribas Public Sector SA (la requérante) des garanties en espèces versées entre 2016 et 20212 afférentes aux parts de contributions ex ante au Fonds de Résolution unique (FRU) sous la forme d’engagements de paiement irrévocables (EPI). Cette demande de restitution des garanties en espèces par la requérante faisait suite à son retrait d’agrément par la Banque Centrale Européenne (BCE) le 24 mars 20213 en tant qu’établissement de crédit français ainsi qu’à la notification le 29 juillet 2021 de la résiliation par la requérante au CRU4 des contrats conclus avec le CRU formalisant ces EPI pour chaque période de contribution entre 2016 et 2021. Le CRU avait indiqué en effet, par lettre du 13 août 2021, que l’annulation des EPI et la restitution subséquente des garanties en espèces couvrant les EPI ne pouvaient avoir lieu qu’à la condition préalable que la requérante verse en espèces une somme équivalente au montant des EPI concernés5. Le 25 octobre 2021, la requérante a informé le CRU que, selon sa compréhension de la réglementation applicable, elle n’avait pas à lui transférer les espèces correspondant à la somme totale des montants engagés au titre des EPI 2016-2021 pour se voir restituer les garanties6. La requérante, par ailleurs soutenue par la République française et la FBF, a introduit un recours devant le TUE7 en lui demandant notamment de constater que le refus par le CRU de restitution des garanties en espèces liées aux EPI était contraire aux stipulations des contrats formalisant les EPI et d’ordonner au CRU la restitution de ces garanties. Ce recours est toutefois rejeté par le TUE, au terme d’une analyse portant, d’abord, sur la portée de l’obligation pour un établissement de verser l’intégralité de la contribution ex ante y compris la part de contribution par le biais d’EPI due au titre de la période antérieure à son retrait d’agrément, puis, sur les conditions de restitution des garanties en espèces couvrant les EPI d’un établissement sortant du système de résolution. L’examen des arguments des parties et de leur appréciation par le TUE implique un rappel du cadre juridique des contributions ex ante au CRU.
2. La présente affaire s’inscrit, de manière plus globale, dans le cadre du deuxième pilier de l’Union bancaire8 relatif au Mécanisme de résolution unique (MRU)9, mis en place par le règlement n° 806/201410 (« règlement MRU ») et adossé à un FRU11 alimenté par les contributions de l’ensemble des établissements dans le champ du MRU12. Le FRU est financé à titre principal par des contributions ex ante perçues13 annuellement auprès des établissements de crédit, disposant d’un agrément14 pour exercer leurs activités au 1er janvier de chaque année de contribution. Conformément à l’article 70 du règlement MRU, les contributions ex ante dues individuellement par les établissements sont calculées par le CRU afin de permettre au FRU, conformément à l’article 69, paragraphe 1, du règlement MRU, à l’issue d’une période initiale de huit ans, à compter du 1er janvier 2016, de disposer de moyens financiers représentant au moins 1 % du montant des dépôts couverts15 de l’ensemble des établissements de crédit agréés16 dans tous les Etats membres participants (« le niveau cible du FRU »)17. Les contributions ex ante que les établissements de crédit sont tenus de verser au FRU peuvent au choix de ces derniers, soit, être payées immédiatement en espèces, soit, donner lieu à la souscription d’EPI18. C’est le CRU qui autorise le recours aux EPI à la demande d’un établissement19, lequel recours est formalisé par des contrats annuels relatifs aux EPI conclus entre l’établissement concerné et le CRU. Toutefois, le recours aux EPI20 est encadré. L’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81 exige que le « recours aux engagements de paiement irrévocables visés à l’article 70, paragraphe 3, du règlement (UE) n° 806/2014 ne compromet en aucune manière la capacité financière ni la liquidité du Fonds. ». En outre, la part des EPI attribués ne doit pas dépasser 30 % du montant total des contributions annuelles perçues et ne peut être inférieure à 15 % du total des obligations de paiement de l’établissement concerné21. Par ailleurs, les EPI doivent être entièrement garantis par des actifs à faible risque non grevés de droits de tiers, lesquels actifs mis en garantie sont réservés à l’utilisation exclusive du CRU22. La garantie couvrant les EPI revêt en pratique la forme d’un dépôt en espèces d’un montant équivalent à celui de l’EPI23. Enfin, le règlement d’exécution 2015/81 prévoit deux cas limités de restitution des espèces placées en garantie dont sont assortis les EPI dont celui prévu au paragraphe 3 de son article 724 prévoyant que « les engagements de paiement irrévocables d’un établissement qui ne relève plus du champ d’application du règlement (UE) n° 806/2014 sont annulés et les garanties dont ils sont assortis sont restituées ».
3. C’est, dans ce cadre, que le TUE a eu, en l’espèce, à se prononcer sur un double enjeu : une première question était de savoir si l’annulation des contrats EPI et la restitution des garanties en espèces assortissant les EPI à un établissement, qui ne relève plus du champ d’application du règlement MRU25, est subordonnée à la condition préalable imposée par le CRU de verser une somme d’un montant égal à celui de la contribution ex ante pour laquelle des EPI ont été utilisés. Ensuite, l’autre question indissociable de la première, était de savoir si l’obligation de verser de l’intégralité de la contribution ex ante due au titre de chaque année déclenchée par la sortie du champ d’application du règlement MRU, suite au retrait d’agrément, intègre la part de contribution ex ante sous la forme d’un EPI pour lequel un contrat a été conclu avec le CRU. C’est autour de ce double enjeu que le TUE a eu à préciser le sens et la portée du cadre réglementaire applicable.
4. En l’espèce, la requérante a demandé au TUE26, sur le fondement des articles 27227 et 340, premier alinéa28 du TFUE d’ordonner au CRU la restitution des sommes correspondant aux garanties en espèces afférentes aux EPI qu’il avait conservées en violation de ses obligations contractuelles au titre de la clause 12.5 des contrats régissant les EPI et souscrits pour les années 2016 à 2021 incluse (« les EPI 2016-2021 »). La clause 12.5 des EPI 2016-2021 stipulait que « [l]e présent accord est sans préjudice de l’application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 ». Or, ce renvoi par la clause 12.5 de ces contrats à l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 signifiait que ces contrats ne pouvaient en aucun cas contrevenir à cet article qui prévoit purement et simplement que « les engagements de paiement irrévocables d’un établissement qui ne relève plus du champ d’application du règlement (UE) n° 806/2014 sont annulés et les garanties dont ils sont assortis sont restituées ».
5. L’examen des arguments présentés respectivement par la requérante et le CRU met en évidence une divergence d’interprétation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81. Dès lors que la requérante est sortie du champ d’application du règlement MRU, à la suite de son retrait d’agrément, cette dernière soutient que les contrats d’EPI sont annulés purement et simplement et que l’obligation s’impose au CRU de restituer inconditionnellement les garanties en espèces afférentes à des EPI, conformément à la clause 12.5 des EPI 2016-2021 qui renvoie à l’application de l’article 7, paragraphe 3, dont les termes mêmes n’assortissent la restitution des garanties d’aucune condition. Le CRU estime, à l’inverse, que l’annulation des contrats d’EPI et la restitution subséquente des garanties en espèces afférentes à ces EPI ne peuvent avoir lieu qu’à la condition du versement préalable d’une somme équivalente au montant de la contribution pour laquelle ces EPI ont été utilisés.
6. L’un des deux textes mis en regard par le CRU de son interprétation de l’article 7, paragraphe 3 du règlement d’exécution 2015/8129 concerne l’article 70, paragraphe 4, du règlement MRU selon lequel « les contributions dûment reçues de chacune des entités (...) ne leur sont pas remboursées », La requérante faisait valoir que le CRU avait interprété de manière erronée l’article 70, paragraphe 4, du règlement MRU en l’invoquant pour justifier le versement préalable d’une somme d’un montant égal à celui de la contribution ex ante pour laquelle ces EPI ont été fournis alors que la requérante demandait, non pas le remboursement des contributions en espèces déjà payées30, mais seulement la restitution des sommes qu’elle aurait versées chaque année au titre des garanties en espèces couvrant les EPI qu’elle avait souscrits. La requérante soutenait, à ce titre, que le CRU avait fait une confusion31 entre le régime des contributions ex ante versées immédiatement en espèces seules soumises à l’article 70, paragraphe 4, et les garanties en espèces couvrant les parts de contributions par le biais des EPI qui n’étaient pas concernées par cet article. Cette argumentation de la requérante soulève précisément la question sous-jacente de savoir quel est le statut des contributions ex ante par le biais d’EPI et si elles se différencient ou non des contributions ex ante versées immédiatement en espèces avant d’examiner la question principale des conditions de restitution des garanties en espèces couvrant les EPI au titre de la période 2021-2016 de la requérante qui ne relevait plus du champ d’application du règlement MRU.
7. En ce qui concerne, en premier lieu, la question du statut des contributions ex ante par le biais d’EPI, que le juge de l’Union a eu à trancher, a permis de mettre au jour une divergence d’interprétation entre la requérante et le CRU. L’exigence par le CRU, suite à la sortie d’un établissement du champ d’application du règlement MRU, du versement en espèces d’une somme équivalente au montant de la contribution pour laquelle ces EPI ont été souscrits au titre de chaque cycle de contribution entre 2016 et 2021, préalablement à l’annulation des contrats EPI et à la restitution des garanties en espèces couvrant les EPI laisse entendre que la souscription par un établissement de parts de contributions par le biais des EPI au titre de chaque année n’affranchit pas cet établissement de son obligation de payer les contributions en espèces dues au titre des cycles de contributions concernés antérieurement à sa sortie du champ d’application du règlement MRU. Pour autant, la référence par le CRU à l’article 70, paragraphe 4, du règlement MRU, qui prévoit que les contributions dûment reçues des établissements ne leur sont pas remboursées, ne semble pas appropriée précisément dans le cas de parts de contributions ex ante par le bais d’EPI qui n’ont, par définition, pas encore été dûment reçues par le FRU32. L’article 70, paragraphe 4, est-il valable uniquement pour les contributions ex ante versées immédiatement en espèces à l’exclusion les parts de contributions ex ante par le biais des EPI (thèse de la requérante) ? La question d’une éventuelle différence de statut entre les contributions ex ante au FRU sous forme d’engagements contractuels irrévocables de paiement et les contributions ex ante en espèces est d’autant plus légitime que le législateur européen a bien laissé un choix aux établissements de crédit entre ces deux formes de contributions ex ante. Les termes de l’article 70, paragraphe 3, du règlement MRU33 et de l’article 8, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/8134 sont particulièrement nets à cet égard de sorte que le TUE ne pouvait que reconnaître cette possibilité de choix offerte par la réglementation35. Cependant, le TUE n’a pas induit, de ce choix entre ces deux formes de contributions ex ante, une différence de nature mais uniquement une différence dans les modalités d’exécution d’une seule et même obligation de contribution au FRU au terme d’une analyse à la fois téléologique et contextuelle qui ne pouvait pas résulter de la lettre même des dispositions de l’article 70, paragraphe 4. D’ailleurs, le juge de l’UE, en retenant cette interprétation, a sorti le CRU d’une impasse en considérant que le CRU n’a fait que mentionner cet article dans sa lettre de refus sans pour autant se fonder sur cet article36.
8. L’interprétation du juge de l’Union en faveur d’une absence de différence de statut entre les contributions ex ante versées immédiatement et les parts de contributions ex ante par le biais des EPI résulte d’une analyse menée en trois temps. Premièrement, le juge a analysé le statut des parts de contributions ex ante par le biais d’EPI dans le cadre plus global du fonctionnement du mécanisme de perception annuelle des contributions ex ante au FRU auprès des établissements relevant du champ d’application du règlement MRU. Le juge de l’UE, en considère, d’abord, à la lecture combinée des articles 70, paragraphe 1, et 69, paragraphe 1, du règlement MRU37, que l’objectif assigné par le législateur au mécanisme de perception annuelle des contributions ex ante auprès des établissements de crédit vise à permettre aux moyens financiers disponibles du FRU d’atteindre le niveau cible au terme de la période initiale38. Puis, le TUE indique que c’est, compte tenu de cet objectif assigné à la perception annuelle de contributions ex ante au FRU auprès de chaque établissement39, que le législateur a prévu à l’article 70, paragraphe 4, du règlement MRU que les contributions ex ante « dûment reçues » n’étaient pas remboursées. Il ajoute que, « par cette formulation, le législateur de l’Union a énoncé une règle dépourvue d’exception. C’est pourquoi aucune mention n’y est faite d’une possibilité d’ajuster a posteriori les contributions ex ante. Il en découle qu’un changement de statut d’un établissement, au cours de la période de contribution, n’a pas d’effet sur le montant de la contribution due pour l’année en question40. » (soulignements ajoutés). En retenant cette interprétation, le juge extrapole, à partir de la règle d’interdiction de remboursement des contributions dûment reçues qui découlerait de la volonté du législateur d’énoncer une règle dépourvue d’exception, un principe général d’impossibilité d’ajustement a posteriori des montants de contributions ex ante dues. Ce faisant, le juge opère un glissement sémantique (de des mots « contributions dûment reçues » au sens de l’article 70, paragraphe 4, vers les mots « contributions dues ») probablement pour sortir le CRU de l’impasse comme indiqué au paragraphe 7 de ce commentaire.
9. Deuxièmement, et toujours dans le but de clarifier le statut des contributions ex ante par le biais des EPI, le juge de l’Union aborde plus précisément la notion d’obligation de verser l’intégralité de la contribution ex ante due qui pèse sur chaque établissement au titre de la période de contribution pour examiner sa portée quant aux deux formes de contributions ex ante. Si le juge reconnaît que s’« il est vrai que, comme le souligne la requérante, l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 ne précise pas explicitement que les établissements doivent d’abord verser leur contribution pour que leur garantie leur soit ensuite restituée »41, il ajoute que « toutefois, (...), les établissements établis dans un État membre participant sont tenus de verser, durant la période initiale, une contribution annuelle au FRU afin que ce dernier atteigne le niveau cible à la fin de ladite période.42 » (soulignement ajouté). C’est, à nouveau, à l’aune de l’objectif l’atteinte par le FRU de son niveau cible sur lequel se base le calcul annuel de la contribution ex ante au FRU, pendant la période de huit années à compter du 1er janvier 2016, que le juge de l’UE raisonne, d’abord, par l’absurde en indiquant que « si la garantie couvrant un engagement de paiement irrévocable était restituée sans réception préalable de la contribution pour laquelle cet engagement a été conclu, non seulement l’établissement ne satisferait pas à son obligation de verser l’intégralité de la contribution due au titre de la période où il relevait du champ d’application du règlement n° 806/2014, mais la contribution ex ante sous la forme d’un engagement de paiement irrévocable n’atteindrait pas l’objectif de doter le FRU de moyens financiers correspondant au niveau prévu par le législateur de l’Union. »43 (soulignements ajoutés). Ce faisant, le juge de l’Union donne une première interprétation téléologique de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81. À ce stade, le TUE estime d’ores et déjà que la réception par le CRU de la contribution pour laquelle l’EPI a été conclu, est nécessairement préalable à la restitution des garanties en espèces couvrant les parts de contributions par le biais des EPI lorsqu’un établissement sort du champ d’application du règlement MRU. Puis, le TUE en vient à expliciter, dans ce cadre, la portée de l’obligation de verser l’intégralité de la contribution ex ante pour un établissement redevable dès lors qu’il se trouve dans le champ d’application de ce règlement. Il considère que, lorsqu’un établissement est redevable de la contribution ex ante au FRU, comme c’était le cas pour la requérante au titre des années 2016 à 2021, « pour apprécier la portée l’obligation de verser l’intégralité de cette contribution, il n’y a pas lieu de se limiter, comme le soutient la requérante, à la seule partie du versement immédiatement effectué, sans tenir compte de l’autre partie fournie par le biais d’un engagement de paiement irrévocable. »44 (soulignement ajouté). En statuant ainsi de manière inédite et surprenante, le TUE considère que l’obligation de verser/de payer45 l’intégralité de la contribution ex ante au FRU au titre des années dont la requérante était redevable, ne se limite pas à la seule partie de la contribution versée immédiatement en espèces mais tient également compte de la part de contribution ex ante par le biais d’EPI qui doit nécessairement être appelée en paiement par le CRU en dehors de tout cas de résolution46. En fin de compte, dès lors qu’elles font partie des moyens financiers disponibles du FRU dont dispose le CRU pour atteindre le niveau cible du FRU47, les parts de contributions ex ante par le biais des EPI ne se différencient pas, au vu de cette finalité et aux bornes de l’obligation de verser l’intégralité de la contribution ex ante due au FRU, des contributions ex ante versées immédiatement en espèces.
10. Troisièmement, le TUE relève que les EPI « présentent la particularité d’être des contrats conclus pour une durée indéterminée permettant aux établissements de différer le paiement de leur contribution. Cette particularité a conduit le législateur de l’Union à instituer un régime spécifique propre à ces engagements »48. Au premier abord, cette phrase peut sembler contradictoire avec l’affirmation précédente par le TUE selon laquelle l’obligation de verser l’intégralité de la contribution ex ante ne se limite pas à la seule partie de la contribution versée immédiatement en espèces mais tient également compte de la part de contribution ex ante par le biais des EPI49. Mais une analyse approfondie de cette assertion conduit à penser que le juge de l’Union, après avoir rappelé les termes des paragraphes 1 à 3 de l’article 7 du règlement d’exécution 2015/8150, décèle, non pas une différence de nature intrinsèque entre la contribution versée immédiatement en espèces et la part de contribution par le biais d’EPI mais uniquement une différence dans les modalités d’exécution de l’obligation de paiement des contributions ex ante et, par suite uniquement une différence de régime. Tout d’abord, une lecture attentive des termes utilisés dans les phrases du point 33 de l’arrêt montre que le particularisme est attaché seulement aux EPI qui ont la nature de contrats à durée indéterminée et non pas aux parts de contributions en représentation desquelles les EPI ont été souscrits. Ensuite, ce particularisme des EPI souscrits par voie de contrat, tient à la possibilité de différer le paiement des contributions et nécessite ainsi la mise en place d’un régime spécifique tel que prévu par l’article 7 du règlement d’exécution 2015/81 énonçant certaines règles propres aux EPI. Néanmoins, le TUE conclut au point 55 de son arrêt qu’ « il y a lieu de préciser que le fait que le Tribunal ait relevé dans l’arrêt du 20 janvier 2021, ABLV Bank/CRU (T-758/18, EU : T : 2021:28, point 111), que le législateur de l’Union avait estimé nécessaire de soumettre les engagements de paiement irrévocables à un «régime spécifique» ne permet pas, à lui seul, de différencier les établissements qui ont choisi de verser immédiatement leurs contributions de ceux qui ont conclu des engagements de paiement irrévocables. En l’espèce, la requérante relevait, chaque 1er janvier des années 2016 à 2021, du champ d’application du règlement n° 806/2014 et tombait sous le coup de l’obligation de contribuer au FRU. La circonstance selon laquelle la requérante n’a pas versé immédiatement l’intégralité de sa contribution pour les années en question n’a modifié en rien sa situation au regard de ses obligations de paiement découlant du règlement [MRU] »51. Cela dit, il convient de relever un point d’achoppement dans le raisonnement du juge de l’UE. En effet, parmi les règles prévues au titre du régime spécifique des EPI, l’article 7, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2015/8152 n’envisage l’appel par le CRU des EPI et donc la demande de paiement des contributions liées aux EPI qu’en cas de mesure de résolution faisant intervenir le FRU. Or, en l’espèce, en dépit du fait que la requérante ne faisait, en aucune façon, l’objet d’une mesure de résolution, le juge estime néanmoins que la requérante doit, à la demande du CRU, verser l’intégralité des contributions ex ante afférentes aux EPI. C’est sans doute en prenant conscience de cette aporie, que le juge n’a pas trouvé d’autre moyen que de la résoudre en affirmant au point 54 de l’arrêt que « s’agissant des arguments relatifs à la non-applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2015/81 à la situation de la requérante, il suffit de constater, compte tenu de la lettre du 13 août 2021, que le CRU n’a pas appliqué cette disposition. Dès lors, lesdits arguments sont inopérants. ». En raisonnant ainsi, le juge de l’UE met à mal l’effet utile attaché aux parts de contributions ex ante fournies sous la forme d’EPI.
11. Cependant, la question reste entière de savoir, en l’espèce, pourquoi le fait pour l’établissement contributeur, de sortir précisément du champ d’application du règlement MRU en raison de son retrait d’agrément, ne le délie pas rétrospectivement de son obligation de payer les parts de contributions ex ante par le biais d’EPI au titre de la période de contribution 2016-2021 et ne le fonde à demander, par voie de conséquence, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81, la restitution inconditionnelle des garanties en espèces couvrant les EPI qu’il a souscrits au titre de cette période de contribution. Le TUE procède à un raisonnement en quatre étapes en liant de manière indissociable, l’obligation annuelle de verser l’intégralité de la contribution ex ante au FRU, y compris la part de contribution ex ante par le biais d’EPI, dont les établissements agréés sont redevables lorsqu’ils relèvent du MRU, à la fois à l’objectif général assigné à la perception annuelle des contributions ex ante au FRU d’atteinte du niveau cible par le FRU et à l’objectif particulier assigné au recours aux EPI qui ne doit en aucune manière compromettre la capacité financière ni la liquidité du FRU conformément l’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/8153. Il convient de rappeler que c’est également sur cet article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/8154 que le CRU s’est fondé pour exprimer sa position.
12. En premier lieu, le juge précise que le retrait d’agrément de l’établissement de crédit au cours de la période de contribution n’a aucune incidence sur son obligation de verser l’intégralité de la contribution ex ante due au titre de ladite période de contribution55. Par ailleurs, cette assertion revient à considérer que les contributions ex ante, y compris par les parts de contributions par le biais d’EPI, sont dues par les établissements redevables au titre de chaque année, de manière définitive sans restitution possible quand bien même l’établissement de crédit antérieurement contributeur sort du champ d’application du MRU. Si cette précision rappelle un trait de définition de l’impôt en droit français qui est perçu à titre définitif56, il n’en demeure pas moins que cet aspect se rattache davantage à la nature spécifique des contributions ex ante au FRU consistant à garantir, dans une logique d’ordre assurantiel, que le secteur financier procure des ressources suffisantes au MRU pour qu’il puisse remplir ses fonctions57. Le juge de l’Union va même plus loin en indiquant que le versement des contributions ex ante au FRU n’ouvre aucun droit à bénéficier automatiquement du FRU et que l’argument, selon lequel la sortie d’un établissement du MRU ne peut plus lui faire bénéficier du FRU et doit donc le libérer de son obligation de verser les contributions dues antérieurement à sa sortie, doit être écarté58.
13. En deuxième lieu, le TUE retient une deuxième interprétation téléologique de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/8159 en ré-explicitant à nouveau la portée de cette obligation mais sous un autre prisme qui est celui de la préservation de la capacité financière et de la liquidité du FRU en cas de recours aux EPI au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81 que le CRU avait mentionné pour exprimer sa position. En effet, le TUE, après avoir rappelé les termes de l’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81 affirme que « l’annulation d’un engagement de paiement irrévocable, causée par la sortie de l’établissement du champ d’application du règlement n° 806/2014, et la restitution de la garantie correspondante, prévues à l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81, ne peuvent donc pas se faire au détriment du FRU (...). Si tel n’était pas le cas, l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 méconnaîtrait l’objectif poursuivi par la perception annuelle des contributions ex ante tel qu’il découle des articles 69 et 70 du règlement [MRU]60. » Le TUE conclut en indiquant que, d’une part, « (...), l’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81 s’applique au traitement des engagements de paiement irrévocables d’un établissement qui sort du champ d’application du règlement [MRU] et, partant, l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 doit être interprété à la lumière de cette disposition. »61 (soulignement ajouté) et que, d’autre part, « l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 n’a donc pas pour but de permettre aux établissements qui sortent du champ d’application de ce règlement de se soustraire à leur obligation de payer l’intégralité de la contribution due comme l’allèguent la requérante et les intervenantes, (...) »62 (soulignement ajouté). Cette interprétation de l’article 7 paragraphe 3 du règlement d’exécution 2015/81, à la lumière de l’article 7 paragraphe 1 de ce même règlement, vient à rebours de l’interprétation littérale de ce même article retenue de manière conforme par la requérante visant à obtenir la restitution inconditionnelle des garanties en espèces couvrant les EPI pour la période de contribution 2016-2021 dès lors qu’elle était sortie du champ du règlement MRU. En définitive, le TUE retient clairement une interprétation téléologique de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution à l’aune du double prisme d’une part, de l’objectif d’atteinte du niveau cible par le FRU et d’autre part, de la préservation de sa capacité financière et sa liquidité en cas de recours aux EPI au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81. Cette interprétation du TUE conduit à considérer d’une part, que la sortie du MRU d’un établissement qui a contribué au FRU déclenche l’obligation de paiement des parts de contributions ex ante par le biais d’EPI dont la souscription n’avait eu que pour effet de différer le paiement de ces parts de contributions et d’autre part, que l’annulation des EPI ne peut qu’être postérieure au paiement des parts de contributions ex ante par le biais d’EPI (à défaut, cette annulation se ferait au détriment de la capacité financière et de la liquidité du FRU). Ce faisant, le TUE créé manifestement, de manière prétorienne, un deuxième cas d’appel par le CRU impliquant l’exécution immédiate des EPI et donc le paiement d’une somme équivalente à leur montant en cas de sortie du champ d’application du règlement MRU d’un établissement de crédit venant s’ajouter au cas de mesure de résolution déclenchant également l’appel du CRU au paiement de tout ou partie des EPI63, ce dernier étant à la différence explicitement prévu par l’article 7, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2015/81.
14. En troisième lieu, le juge de l’UE se place, plus précisément, sur le terrain de l’occurrence de l’obligation de paiement effectif en espèces des contributions ex ante au titre des montants engagés via les EPI, à laquelle un établissement demeure tenu quand bien même ce dernier ne relève plus du MRU. Le TUE commence, par faire une précision sémantique au point 36 de son arrêt, en indiquant que « selon le sens commun, «irrévocable» se dit de choses qui ne peuvent être remises en cause. Un engagement de paiement irrévocable implique donc une obligation, qui ne peut être remise en cause, de payer la somme pour laquelle cet engagement est conclu. » Ensuite, le TUE clarifie, de manière extrapolée, la notion d’annulation des EPI telle qu’elle est mentionnée par l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/8164. En effet, une lecture littérale du texte conduit à considérer que l’annulation des EPI est une conséquence automatique de la sortie d’un établissement du champ d’application du règlement MRU et aurait pour effet de libérer cet établissement de l’exécution de son obligation de contribution en espèces au titre de montants d’EPI engagés mais jamais versés. Cependant, le TUE l’interprète autrement en indiquant que l’annulation de l’EPI permet uniquement de mettre fin à des contrats d’EPI à durée indéterminée après la sortie de l’établissement du champ d’application du règlement MRU afin que ces derniers ne perdurent pas après la sortie de l’établissement contributeur du champ d’application du règlement MRU65. Cette interprétation du juge donne un éclairage inattendu de la notion de régime spécifique propre aux EPI et permet à ce dernier de réitérer, à nouveau, le sens restrictif lié uniquement à la particularité attachée aux EPI en tant que contrats conclus pour une durée indéterminée66. Partant, le TUE en conclut que « en l’espèce, la requérante relevait, chaque 1er janvier des années 2016 à 2021, du champ d’application du règlement [MRU] et tombait sous le coup de l’obligation de contribuer au FRU. La circonstance selon laquelle la requérante n’a pas versé immédiatement l’intégralité de sa contribution pour les années en question n’a modifié en rien sa situation au regard de ses obligations de paiement découlant du règlement [MRU]. Ainsi, contrairement à ce qu’elle fait valoir, la requérante se trouvait dans une situation comparable à celle de tous les établissements de crédit qui relevaient, le 1er janvier de chacune de ces années, du champ d’application du règlement [MRU]. (...). Dès lors, tout comme ces établissements de crédit, elle est tenue de verser l’intégralité des contributions individuelles dues au titre de la période de contribution 2016-2021 »67 (soulignements ajoutés).
15. En quatrième lieu, le juge de l’Union examine les incidences d’une sortie d’un établissement du champ d’application du règlement MRU, sur l’ensemble des paramètres du système de perception annuelle des contributions ex ante pour en déduire l’absence de conséquences sur le montant initial de la contribution due par l’établissement redevable antérieurement à sa sortie du MRU. Il indique, d’abord, que l’incidence de la sortie d’un établissement du système de résolution sur la diminution éventuelle des dépôts couverts et donc du niveau cible ne peut pas affecter rétroactivement le montant des contributions dues au titre de la période passée lorsqu’il en était redevable68. Ce faisant, le juge de l’Union met en évidence le caractère figé et définitif du calcul des contributions ex ante individuelles, ce qui contraste avec le caractère censé être dynamique du niveau cible du FRU69. Le TUE précise, ensuite, que la sortie d’un établissement du MRU ne lui ouvrait pas de droit à un nouveau calcul de la contribution ex ante dans la mesure où, si le CRU devait tenir compte de l’évolution de la situation juridique et financière des établissements de crédit au cours de la période de contribution concernée, il pourrait difficilement calculer de manière fiable et stable les contributions dues par chacun d’eux et poursuivre l’objectif consistant à atteindre le niveau cible du FRU70. Pour les mêmes raisons de fiabilité et de stabilité du calcul des contributions individuelles, le TUE considère, enfin, au point 49 de son arrêt, qu’il ne peut pas être soutenu une restitution par le CRU des garanties en espèces couvrant les EPI entre 2016 et 2021 sans la réception préalable des contributions pour lesquelles ces engagements ont été conclus en lui demandant d’« ajuster les contributions individuelles à venir des autres établissements pour s’assurer que le niveau cible soit atteint ». Cette dernière précision met en évidence le caractère complexe du calcul des contributions ex ante lié non seulement à l’interdépendance du calcul des contributions individuelles par rapport aux contributions individuelles dues par les autres établissements71 redevables mais également aux limites de cette interdépendance puisque cette dernière semble limitée dans le temps au titre de chaque période annuelle de contribution et ne peut donner lieu à compensation.
16. En conclusion, aux termes d’un raisonnement itératif, le TUE retient une interprétation défavorable à la requérante des dispositions de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 puisqu’il conclut au point 50 de l’arrêt que « l’annulation de l’engagement de paiement irrévocable et la restitution de la garantie prévues par l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 ne sauraient impliquer que la part de contribution ex ante pour laquelle un engagement de paiement irrévocable a été conclu n’a pas à être fournie lorsque l’établissement contributeur sort du champ d’application du règlement [MRU] (...). Cet établissement reste tenu de payer l’intégralité de la contribution individuelle régulièrement calculée par le CRU pour la période en question et n’est pas autorisé à n’en payer qu’une fraction. » (soulignement ajouté). Il en tire la conséquence au point 51 en estimant que « la position exprimée par le CRU, dans la lettre du 13 août 2021, selon laquelle il ne peut restituer les garanties en espèces couvrant les EPI 2016-2021 qu’après le versement d’une somme d’un montant correspondant à celui de la contribution pour laquelle ces instruments ont été utilisés, n’est contraire ni à l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/81 ni à la clause 12.5 des EPI 2016-2021 qui renvoie à cette disposition. » (soulignement ajouté). Le TUE considère, enfin, que la décision du CRU de conserver les sommes correspondant aux garanties en espèces liées aux EPI 2016-20121 jusqu’au versement des contributions pour lesquelles ces instruments ont été utilisés est fondée sur une base légale valable et ne saurait constituer un enrichissement sans cause72.
17. Au-delà de ce litige, l’interprétation retenue par le TUE de l’article 7, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/8 peut significativement avoir une incidence négative sur le sort des contributions ex ante par le biais des EPI des autres établissements agréés susceptibles de sortir du champ du MRU et, partant, remet en cause l’effet utile attaché à la forme des contributions ex ante par le biais des EPI. Rendue à la suite d’un contentieux abondant rendu en matière de mode de calcul des contributions ex ante critiqué pour son opacité, cette décision met, à nouveau, en évidence d’une part, la complexité du fonctionnement du système de perception annuelle des contributions ex ante au FRU dues par les établissements de crédit et d’autre part, la tension permanente entre le caractère individuel des contributions ex ante mises à la charge de chaque établissement redevable et l’objectif poursuivi par le règlement MRU d’atteinte d’un niveau cible du FRU reposant sur une mutualisation des moyens financiers du FRU et impliquant une obligation contributive au FRU de chaque établissement prédéterminée. n