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Rappels sur les conditions
de la complicité punissable

Créé le

06.12.2023

La complicité d’escroquerie commise au préjudice d’une banque ne peut être retenue par les juges s’ils ne caractérisent pas de la part du prévenu, un notaire, la commission
d’un acte positif de complicité antérieur aux faits de l’auteur de l’infraction principale ou résultant d’un accord antérieur. De surcroît, en l’occurrence, les agissements reprochés
au prévenu n’étaient pas de nature à avoir aidé les auteurs
de l’escroquerie.

En vertu de l’article 121-7, alinéa 1er, du Code pénal : « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation »1. Or, pour la jurisprudence, cette complicité ne pourra être caractérisée que si certaines circonstances sont réunies. L’arrêt sélectionné nous le rappelle.

En l’espèce, le 30 décembre 2016, une offre de prêt immobilier d’un montant de 800 000 euros avait été émise par la banque X., afin de financer l’acquisition par la société N., représentée par son gérant M. C., d’un immeuble au prix total de 1 150 000 euros. Or, l’immeuble en question avait fait l’objet, le 31 janvier 2017, d’une saisie pénale immobilière ordonnée par un juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Lille, au cours d’une information judiciaire dans laquelle M. V. avait été mis en examen le 27 avril 2017. Pourtant, malgré cette saisie pénale, un acte authentique de vente de l’immeuble avait été signé le 10 août 2017 en l’étude de Me P., notaire.

Par la suite, les investigations menées avaient établi que la banque X. s’était fait remettre, en vue de l’obtention du prêt de 800 000 euros, des documents falsifiés afin de justifier un apport personnel de l’acheteur à hauteur de 441 922 euros. Il était également apparu que le notaire était en possession de deux états hypothécaires : l’un, falsifié, délivré le 27 juillet 2017 par le service de la publicité foncière et ne mentionnant qu’une inscription d’hypothèque au profit du trésor public ; l’autre, demandé par le notaire lui-même et délivré le 3 août 2017, faisant mention de la saisie pénale immobilière.

M. C., le gérant de la société N., et Me P., le notaire, avaient alors été poursuivis. La Cour d’appel de Rouen avait, par un arrêt du 21 février 2022, reconnu le premier coupable d’escroquerie, et le second de complicité d’escroquerie aggravée. Les intéressés avaient formé un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction reprend alors les différents constats opérés par la cour d’appel. Il est plus particulièrement observé que pour déclarer Me. P. coupable de complicité du délit d’escroquerie commis au préjudice de la banque X., les juges du fond avaient considéré qu’en procédant à l’authentification de l’acte de vente de l’immeuble, ce notaire avait apporté son concours à l’escroquerie commise par MM. C. et V. Plus précisément la régularisation de cette vente, en autorisant le déblocage des fonds afférents au prêt bancaire de 800 000 euros frauduleusement obtenu, avait permis de finaliser l’escroquerie, dont la vente du bien immobilier était l’aboutissement. De même, les magistrats avaient estimé que le contexte dans lequel s’était nouée cette relation contractuelle et les conditions de la réalisation de l’opération auraient dû faire naître chez ce notaire de nombreuses suspicions sur la licéité de la vente, et qu’au-delà de ces nombreux signaux d’alerte, l’analyse des pièces du dossier avait mis en évidence que de multiples anomalies affectaient tant les documents relatifs à la vente de l’immeuble que l’acte notarié lui-même. Enfin, les juges avaient considéré que l’intéressé s’était délibérément abstenu de procéder aux vérifications d’usage et au contrôle des pièces qui lui étaient soumises alors qu’il appartient à un notaire de s’enquérir auprès des parties des informations nécessaires à la sécurisation de la transaction.

Toutefois, pour la Cour de cassation, la cour d’appel n’avait pas justifié sa décision. En effet, d’une part, elle n’avait pas caractérisé, à l’égard de ce notaire, la commission d’un acte positif de complicité antérieur aux faits d’escroquerie ou résultant d’un accord antérieur, dès lors que l’offre de prêt engageant la banque avait été émise avant que le notaire ne soit chargé de régulariser la vente. D’autre part, les agissements reprochés au prévenu n’étaient pas de nature à avoir aidé les auteurs de l’escroquerie à tromper la banque pour l’amener à consentir le prêt et à remettre les fonds. La cassation est alors prononcée, mais elle est limitée aux dispositions de l’arrêt de la cour d’appel relatives à Me. P. Les autres dispositions sont maintenues.

Cette décision échappe, selon nous, à la critique. Elle reprend trois solutions importantes pour le droit applicable à la complicité.

En premier lieu, l’aide ou l’assistance implique un acte positif. En effet, et même si elle peut être blâmable, l’abstention n’est pas, en principe, punissable sous la qualification de complicité2. Cette solution est justifiée par la circonstance que la complicité suppose une participation par l’un des faits prévus par la loi et qu’on ne saurait leur assimiler l’inaction de celui qui, volontairement, ne s’oppose pas à la perpétration d’une infraction. Ce principe connaît cependant quelques exceptions3.

En deuxième lieu, l’aide ou l’assistance doit concerner la préparation ou la consommation de l’infraction. En revanche, après cette même consommation, les concours apportés aux malfaiteurs ne sont pas punissables au titre de la complicité4. Une hypothèse particulière est, cependant, admise. Les tribunaux considèrent que la collaboration postérieure à l’action entre encore dans le champ de l’article 121-7, si elle résulte d’un accord préalable5. La décision étudiée rappelle d’ailleurs cette dernière solution.

En dernier lieu, l’aide ou l’assistance doit avoir été utile aux auteurs de l’infraction. La complicité ne sera ainsi pas retenue lorsque le moyen fourni n’a constitué en aucune manière un encouragement à la commission de l’infraction et où, de surcroît, il n’a absolument pas été utilisé, l’infraction ayant été réalisée avec d’autres moyens6. Or, dans notre cas, il apparaissait que l’intervention du notaire n’avait en aucun cas aidé les auteurs de l’escroquerie à tromper la banque pour l’amener à consentir le prêt et, partant, à leur remettre les fonds. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
1 Pour une présentation générale, J.-H. Robert, Complicité : JurisClasseur Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, fasc. 20, 2022. – S. Fournier, Complicité : Rép. Pénal Dalloz, sept. 2019.
2 Cass. crim. 21 oct. 1948 : Bull. crim. 1948, n° 242. – Cass. crim. 27 déc. 1960 : Bull. crim. 1960, n° 624. – Cass. crim. 14 avr. 2021, n° 20-83.021.
3 Pour certaines décisions, en effet, la personne dont c’est précisément la fonction que d’empêcher certains délits, et qui néglige ce devoir, peut être condamnée comme complice du fait que son abstention a permis, Cass. crim. 30 juin 1999, n° 97-85.764: Bull. crim. 1999, n° 175 ; RSC 1999, p. 832, obs. J.-F. Renucci. – Cass. crim. 25 févr. 2004, n° 03-81.173 : Bull. crim. 2004, n° 53. – Cass. crim. 22 sept. 2010, n° 09-87.363 : Dr. pén. 2010, comm. 139, obs. J.-H. Robert.
4 V. par ex., Cass. crim. 23 juill. 1927 : S. 1929, 1, p. 73, note J.-A. Roux. – Cass. crim. 6 août 1945 : D. 1946, somm. p. 3. – Cass. crim. 4 mai 2000, n° 99-86.563 : Bull crim. 2000 n° 178 ; Dr. pén. 2000, comm. 112, obs. M. Véron. – Cass. crim. 31 mars 2016, n° 15-82.417 : Dr. pén. 2016, comm. 90, obs. Ph. Conte.
5 Cass. crim. 30 avr. 1963, n° 62-93.637 : Bull. crim. 1963, n° 157 ; RSC 1964, p. 134, obs. A. Légal. – Cass. crim. 8 nov. 1972, n° 72-91.755 : Bull. crim. 1972, n° 329 ; RSC 1973, p. 80, obs. J. Larguier. – Cass. crim., 11 juill. 1994, n° 94-82.188 : Bull. crim. 1994, n° 274 ; RSC 1995, p. 343, obs. B. Bouloc.
6 Cass. crim. 13 janv. 1954 : D. 1954, p. 128 ; RSC 1954, p. 372.
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