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Précisions sur la circonstance aggravante fondée sur l’habitude

Créé le

02.04.2024

Le prévenu avait réalisé de multiples opérations de conversion et de dissimulation du produit du trafic d’influence commis par lui, ce qui suffisait à caractériser la circonstance aggravante d’habitude liée à la commission du blanchiment, peu important que les fonds blanchis provenaient d’un unique délit.

Voici une décision qui attirera nécessairement l’attention de tous les « amateurs » de droit pénal des affaires. Elle vient, en effet, dégager une importante solution en matière d’abus de confiance1.

Sous l’ancien Code pénal cette infraction ne pouvait concerner que des détournements concernant des « effets, deniers, marchandises, billets, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge » En conséquence, la Cour de cassation en déduisait qu’étaient exclus de la qualification d’abus de confiance les immeubles.

Toutefois, depuis la réforme du Code pénal de 1992, l’article 314-1 de ce dernier vise « des valeurs ou un bien quelconque ». Or, malgré cette évolution terminologique, la Haute juridiction n’avait pas remis en cause l’exclusion des immeubles du champ d’application de l’infraction2. Cette solution était cependant de moins en moins « tenable » alors que l’article vise ainsi « un bien quelconque ». Le juge n’a normalement pas à distinguer là où la loi ne distingue pas. Il en allait d’autant plus ainsi que la Cour de cassation avait récemment admis qu’un immeuble pouvait être l’objet d’une escroquerie au sens de l’article 313-1 du Code pénal3.

On observera alors que l’arrêt sélectionné vient opérer un revirement en la matière : après avoir notamment noté qu’« il ressort des travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption du nouveau Code pénal que la notion de bien quelconque, participant à la définition de l’objet de la remise, condition préalable à la commission du délit d’abus de confiance, au sens du texte précité, doit s’entendre de tout bien, meuble ou immeuble », la Cour de cassation conclut qu’« il convient désormais de juger que l’abus de confiance peut porter sur un bien quelconque en ce compris un immeuble ».

Mais ce n’est pas cette solution qui retiendra ici notre attention. L’arrêt étudié nous donne aussi des renseignements utiles à l’égard du délit de blanchiment de capitaux.

Pour mémoire, constitue un blanchiment, d’après l’article 324-1 du Code pénal, « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect », mais aussi « le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».

En l’occurrence, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait, par un arrêt du 30 mars 2022, reconnu M. IF coupable d’abus de confiance, de trafic d’influence passif, de blanchiment aggravé, de recel, de complicité de favoritisme, et d’abus de biens sociaux. Il avait été condamné à six ans d’emprisonnement, cinq ans d’interdiction de gérer et cinq ans de privation des droits civiques et civils. Il contestait alors, par son pourvoi en cassation, la présence de ces différentes infractions.

Ainsi, concernant le blanchiment, nous étions en présence de l’une des circonstances aggravantes prévues par l’article 324-2 du Code pénal : le blanchiment commis de façon habituelle4.

Or, cette notion d’habitude, que l’on retrouve pour d’autres infractions, n’est pas très simple à définir. La loi étant muette sur ce point, le juge pénal avait eu l’occasion de dire, il y a bien longtemps, que cette notion devait débuter à partir du second acte, c’est-à-dire lors de la réitération des faits reprochés5. Cette solution a cependant été affinée selon les incriminations concernées. Par exemple, concernant le délit d’exercice illégal de la profession de banquier6, il ressort de plusieurs arrêts que le seul fait de consentir plusieurs prêts successifs à une même personne ne permet pas de retenir le caractère habituel de cet acte7. Deux bénéficiaires différents sont, au minimum, nécessaires.

Dans l’affaire qui nous occupe, le prévenu critiquait l’arrêt attaqué d’avoir retenu la circonstance aggravante d’habitude en matière de blanchiment alors que celle-ci suppose l’existence de plusieurs clients et de plusieurs opérations distinctes, et qu’« il n’y a pas habitude en présence d’une infraction d’origine unique ».

La Cour de cassation ne lui donne cependant pas raison. Elle reprend les différents constats des juges du fond.

D’abord, ceux-ci avaient déduit le caractère habituel du blanchiment de la pluralité d’opérations de conversion des fonds qui étaient le produit direct du délit de trafic d’influence et du délit de blanchiment.

Ils avaient ensuite souligné que le fait que le délit d’origine était unique ne faisait pas obstacle au caractère habituel du blanchiment, qu’il ressortait de l’information judiciaire que, sur la période du 10 décembre 2002 à courant 2006, le prévenu avait eu recours à dix comptes bancaires ouverts auprès de banques différentes, faisant intervenir huit sociétés écrans, et utilisé des comptes ouverts aux noms de tiers pour effectuer des transferts de fonds.

Ils avaient ajouté que le schéma ainsi mis en place de comptes bancaires ouverts à son nom ou au nom de sociétés offshore situées à Panama ou aux îles Vierges Britanniques, dont les titulaires ou bénéficiaires économiques étaient lui-même ou des prête-noms, lui garantissait, par son opacité, l’anonymat et la dissimulation de l’origine frauduleuse des fonds.

Les juges avaient enfin considéré que le mode opératoire pérenne, organisé avec le concours de banquiers, permettait à son auteur de faire circuler les fonds à travers de multiples transferts, d’opérations diverses, sous la forme de retraits en espèces, de transactions, de prise de participation, d’achats de titres et de chevaux de course, de règlement de commissions officieuses, comme de financer son train de vie et celui de sa famille, soit autant d’opérations de placement, de conversion et de dissimulation qui, par leur caractère répété et régulier dans le temps, pendant quatre années, caractérisaient un comportement délictueux habituel, au sens de l’article 324-2 du Code pénal.

Dès lors, pour la Haute juridiction, en l’état de ces énonciations, dont il résultait que le prévenu avait réalisé de multiples opérations de conversion et de dissimulation du produit du trafic d’influence commis par lui8, ce qui suffisait à caractériser la circonstance aggravante d’habitude liée à la commission du blanchiment, peu important que les fonds blanchis provenaient d’un unique délit, la cour d’appel n’avait pas méconnu les textes visés par le moyen, c’est-à-dire les articles 324-1 et 324-2 du Code pénal et 591 et 593 du Code de procédure pénale. Le moyen est alors écarté.

Cette solution est, à notre sens, convaincante. L’habitude attendue concerne simplement les éléments matériels du blanchiment et non l’infraction d’origine. La jurisprudence qui a retenu cette habitude jusqu’ici, l’a toujours fait dans de telles circonstances9. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº214
Notes :
1 C. pén., art. 314-1. Aux termes de ce dernier, « l’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
2 Il a ainsi été jugé que le fait de se maintenir, pendant plus d’un an, dans un local prêté pour seulement quelques jours, ne pouvait constituer un abus de confiance et que les juges du fond ne pouvaient pas espérer justifier une condamnation en réprimant « l’utilisation abusive d’un bien immobilier sous couvert de la non-restitution des clefs permettant d’y accéder », Cass. crim. 10 oct. 2001, n° 00-87.605 : Bull. crim. 2001, n° 205 ; Dr. pénal 2002, comm. 1, obs. M. Véron. – Cette exclusion a ensuite été réaffirmée par la Haute Juridiction à propos de l’utilisation abusive de droits réels immobiliers, Cass. crim. 14 janv. 2009, n° 08-83.707 : JCP G 2009, 166, note G. Beaussonie.
3 Cass. crim. 28 sept. 2016, n° 15-84.485 : Bull. crim. 2016, n° 254 ; JCP G 2016, 1389, note V. Malabat ; Dr. pénal 2016, comm. 168, obs. Ph. Conte, Rev. pénit. 2016, p. 929, obs. O. Décima.
4 M. Daury-Fauveau, « Infraction général de blanchiment. Conditions et constitution », JurisClasseur Pénal Code, art. 324-1 à 324-9, fasc. 20, 2020, n° 79.
5 Cass. crim. 27 févr. 1864 : Bull. crim. 1864, n° 52 ; S. 1864, 1, p. 341. – Cass. crim. 3 juill. 1896 : Bull. crim. 1896, n° 218. – Cass. crim. 4 avr. 1919 : Bull. crim. 1919, n° 87. - Cass. crim. 24 mars 1944: D. 1944, p. 75. – Cass. crim. 14 déc. 1987 : Bull. crim. 1987, n° 456. - Cass. crim. 5 févr. 2003, n° 01-87.052.
6 J. Lasserre Capdeville, « Banque », Rép. Pénal Dalloz, 2018, n° 53 et s.
7 Cass. crim. 2 mai 1994, n° 93-83.512 : Bull. crim. 1994, n° 158 ; JCP E 1995, I, p. 463, n° 5, obs. Ch. Gavalda et J. Stoufflet. – Cass. com. 3 déc. 2002, n° 00-16.957 : Bull. civ. 2002, IV, n° 182; D. 2003, p. 202, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2003, p. 344, obs. D. Legeais; JCP E 2003, p. 953, note B. Dondéro; RD banc. fin. 2003, comm. 58, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Banque et Droit n° 89, mai-juin 2003, p. 55, obs. Th. Bonneau. – Cass. crim. 17 oct. 2007, n° 07-81.038 – CA Montpellier 20 mai 2010, n° 09/01741. – Cass. com. 31 mai 2011, n° 10-17.213 - CA Versailles 15 sept. 2011, n° 10/08029 : LEDB, févr. 2012, p. 2, obs. J. Lasserre Capdeville. – Cass. com. 30 juin 2015, n° 14-14.443. – CA Agen 14 déc. 2020, n° 18/01044 : Banque et Droit n° 196, mars-avr. 2021, p. 70, obs. J. Lasserre Capdeville.
8 Il est acquis de longue date que l’auteur de l’infraction d’origine peut également se voir reprocher des faits de blanchiment sur le produit tiré de cette première infraction, J. Lasserre Capdeville, « Brèves remarques sur l’auto-blanchiment vingt ans après » in Mélanges en l’honneur du professeur Philippe Conte : éd. LexisNexis, 2023, p. 499.
9 V. par ex., Cass. crim. 2 déc. 2009, n° 09-81.088. – Cass. crim. 7 sept. 2011,
n° 10-88.151. – Cass. crim. 17 mars 2015, n° 14-80.805 : Gaz. Pal. 19 mai 2015,
n° 139, p. 46, obs. E. Dreyer. – Cass. crim. 24 oct. 2018, n° 17-82.367.
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