Le blanchiment d’argent est classiquement défini comme le processus ayant pour but de faire disparaître l’origine frauduleuse de fonds provenant d’un crime ou d’un délit en les réinjectant dans l’économique légale. Plus juridiquement, l’article 324‐1 du Code pénal prévoit, à son alinéa 1er que : « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ». L’alinéa 2 déclare, quant à lui, que : « Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». Cette seconde hypothèse se retrouvait dans l’arrêt sélectionné.
Des enquêtes ordonnées à la suite de signalements de TRACFIN avaient établi que M. M. démarchait des particuliers, notamment des personnes âgées, pour leur vendre des tapis ou leur proposer, en collaboration avec son fils M. Z., d’effectuer des travaux d’entretien. Évoquant des difficultés financières, des problèmes familiaux, des tapis bloqués par les services des douanes, ou d’autres prétextes, M. M. sollicitait de ces personnes des prêts, qui n’étaient ensuite jamais ou très partiellement remboursés. Les investigations avaient encore permis de constater le versement sur les comptes bancaires de M. M. et de membres de sa famille d’importantes sommes d’argent.
La Cour d’appel de Rennes avait finalement, par une décision en date du 29 septembre 2021, condamné M.M. pour escroqueries et tentatives, abus de faiblesse, travail dissimulé et blanchiment, à dix-huit mois d’emprisonnement, M. Z., pour travail dissimulé et blanchiment, à douze mois d’emprisonnement avec sursis, et enfin M. U., pour travail dissimulé et blanchiment, à douze mois d’emprisonnement dont huit mois avec sursis, et une confiscation. Les trois protagonistes avaient alors formé un pourvoi en cassation. La décision de la Cour de cassation est riche en rappels utiles pour les délits de blanchiment, d’abus de faiblesse et d’escroquerie.
En premier lieu, concernant l’infraction de blanchiment, la Haute juridiction observe que pour déclarer M. M. coupable de cette infraction, l’arrêt attaqué avait considéré que les investigations démontraient que ce dernier s’était fait remettre des sommes, en espèces ou par chèques sans ordre, provenant de la vente de tapis ou de travaux de rénovation de biens, pour un montant total estimé à 735 521 euros. Les juges du fond avaient ajouté que ces sommes, produits d’escroqueries ou de travaux non déclarés, avaient été dissimulées par le prévenu, qui les déposait pour l’essentiel sur les comptes bancaires de ses enfants ou des concubins de ceux-ci, l’enquête ayant montré qu’il avait l’entière maîtrise du fonctionnement de certains des comptes bancaires concernés. Il était encore noté M. M. avait admis avoir procédé de la sorte pour dissimuler les revenus tirés de ses activités de vente de tapis et de travaux d’entretien des maisons.
La Cour de cassation considère alors qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’avait pas méconnu le texte régissant le délit de blanchiment. En effet, d’une part, l’article 324-1 du Code pénal est applicable à l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il a lui-même commise. D’autre part, le versement de fonds sur des comptes de tiers, qui avaient reconnu qu’ils retiraient ensuite des sommes en espèces pour les rendre au prévenu, est de nature à justifier d’une origine en apparence licite des fonds.
Ces deux affirmations échappent à toute critique. D’abord, la chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de dire, à de multiples reprises, que l’article 324-1, alinéa 2 du Code pénal est applicable à l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il a lui-même commise1. Cette solution n’est d’ailleurs pas à l’abri de la discussion. En effet, l’expression utilisée par cet article 324-1, alinéa 2, « apporter un concours à une opération » de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d’une infraction laisse vraiment penser que l’auteur du blanchiment accompagne quelqu’un d’autre : on apporte son concours à autrui2... La Haute juridiction a donc une autre lecture de ce passage de l’article3.
Par ailleurs, à plusieurs reprises, la jurisprudence a pu considérer que le versement de fonds sur un compte bancaire est constitutif d’un placement au sens de l’article 324-1 du Code monétaire et financier, c’est-à-dire l’une des manifestations de l’élément matériel du délit de blanchiment4.
En second lieu, la décision rappelle une solution importante à propos du délit d’abus de faiblesse.
Pour mémoire, il résulte de l’article 223-15-2, alinéa 1er, du Code pénal : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. »
En l’occurrence, pour requalifier en délit d’abus de faiblesse les faits reprochés à M. M. concernant Mme P., et déclarer celui-ci coupable de ce délit, l’arrêt attaqué avait énoncé que le prévenu, par l’exercice de sollicitations, mensonges et pressions répétés dans un huis clos qu’il souhaitait préserver, noyant ses demandes d’argent au milieu d’une feinte sollicitude, avait abusé frauduleusement de l’état de faiblesse de sa victime, fragilisée par le décès de son époux quelques semaines seulement auparavant. Les juges d’appel avaient ajouté que cet état de vulnérabilité était également caractérisé par l’altération de ses capacités intellectuelles et des difficultés mnésiques, attestées par les tiers et confirmées par les investigations médicales, ainsi que sa confusion entre francs et euros.
Cependant, pour la Cour de cassation, en se déterminant ainsi, sans autrement caractériser la connaissance qu’avait le prévenu de l’état de vulnérabilité de la victime, la cour d’appel n’avait pas justifié sa décision.
Cette solution ne surprendra pas le lecteur. L’article 223-15-2 du code vise une « particulière vulnérabilité » qui est « apparente ou connue de son auteur ». La jurisprudence, pour sa part, exige que l’état de la victime soit connu de l’auteur des faits, par déduction des apparences ou des éléments en sa possession5.
En dernier lieu, la décision étudiée s’intéressait au délit d’escroquerie prévu par l’article 313-1 du Code pénal. Elle a alors l’occasion de se montrer hostile à la caractérisation de cette infraction au motif, notamment, que les juges du fond « n’ont pas caractérisé l’antériorité des manœuvres frauduleuses par rapport à l’ensemble des remises de fonds retenues [...] ».
Ici encore, la solution est difficilement contestable. Elle est conforme au droit applicable. Le délit d’escroquerie implique de démontrer que les remises effectuées découlent directement des manœuvres frauduleuses commises6. Dit autrement, les agissements du prévenu doivent avoir déterminé la remise pour pouvoir être réprimés sur le fondement de l’infraction précitée. n