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Socialistes & Démocrates

« Une dérogation aux banques britanniques risque d’entraîner une rupture de concurrence »

Créé le

24.07.2015

-

Mis à jour le

01.09.2015

Pour la socialiste Pervenche Berès, la zone euro doit veiller à ses intérêts, face à un Royaume-Uni qui négocie très habilement dans le dossier de l’Union des marchés de capitaux. Quant à l’idée d’accorder une dérogation aux établissements britanniques dans le texte sur la structure des banques, elle déplaît fortement à la Française.

Le nouveau Parlement, où les alliances semblent plus difficiles, ne risque-t-il pas d’avoir moins de poids que le précédent, notamment sur la régulation bancaire et financière ?

Lors du précédent mandat, le Parlement a largement influencé la régulation bancaire et financière, en particulier l’Union bancaire où tout était à construire. Sur le nouveau Parlement, il est difficile de s’exprimer de manière définitive car pour l’instant, nous n’avons eu à nous prononcer que sur deux textes importants.

Le premier porte sur les fonds monétaires (Money Market Funds – MMF). Nous sommes parvenus à un accord – qui n’est d’ailleurs pas du tout satisfaisant selon moi – dans le Parlement actuel alors que nous avions échoué à nous entendre dans la précédente mandature où le rapporteur socialiste belge avait une position très offensive qui ne pouvait pas permettre de réunir une majorité. Donc, des difficultés existaient dans le précédent Parlement, même s’il a accompli un remarquable travail.

Le second texte est la réforme des structures bancaires (Banking Structure Reform – BSR) ; le Parlement a pour l’instant échoué à définir une position commune.

Mais au-delà des difficultés politiques que nous rencontrons, le processus de codécision a tout de même fait ses preuves ; c’est une bonne manière d’élaborer un intérêt général européen.

Comment s’expliquent les difficultés du Parlement à trouver une position commune sur la structure des banques ?

J’ai tendance à penser que ces difficultés sont liées au caractère spécifique de cette législation. De nombreux députés notamment ceux qui représentent les pays périphériques, souhaitent avancer de manière très significative sur ce texte car la résolution unique existe mais pas le fonds européen de garantie des dépôts qui, initialement, devait constituer le troisième pilier de l’Union bancaire (avec les piliers supervision et résolution). Dans ce contexte, ces députés remarquent que la décision de résoudre ou pas une banque n’appartient plus aux États mais que, en revanche, le coût du choc d’une résolution reposerait largement sur leurs finances publiques. Ils cherchent donc à éviter que le mécanisme commun de résolution ne soit fragilisé ou trop sollicité par le poids d’une banque systémique. Et de nombreux députés pensent – à tort à mon avis – que les petites banques qui font de la tenue de marché ne présentent pas de difficulté, sous prétexte qu’elles ne seraient pas sauvées mais fermées.

Quelle est votre position sur la structure des banques? Vous vous êtes abstenue lors du vote en ECON le 26 mai !

En effet, je pense que c’était la seule position que je pouvais prendre.

Vous ne pouviez pas vous éloigner davantage de la position de votre groupe?

Je ne vais pas aller contre la stratégie de mon groupe !

Que pensez-vous de l’idée, présente dans le texte de l’Ecofin du 19 juin, d’accorder une  dérogation aux banques britanniques ?

La dérogation aux banques britanniques  risque d’entraîner une rupture de concurrence. Une dérogation à un règlement, c’est tout de même une entorse incroyable ! Quand, dans mon groupe, je fais valoir cet argument, ils l’entendent, mais certains disent que c’est le prix à payer pour obtenir une législation sur la structure des banques. Je trouve ce raisonnement inacceptable.

D’autres aspects de cet accord du 19 juin vous choquent-ils ?

Je suis favorable à la séparation bancaire, et à la maitrise des risques que présente la tenue de marché. Or, si le texte proposé par l’Ecofin entrait dans les faits, la tenue de marché ne serait surveillée de façon certaine que dans les banques systémiques européennes, ce qui n'est pas assez . Il faut que le seuil au-delà duquel une banque est concernée par la législation soit suffisamment bas pour englober les banques moins grandes. Dans l’accord du 19 juin, les banques allemandes échappent au viseur de la législation qui, au bout du compte, se résume au traitement de trois banques françaises.

Préférez-vous qu’il n’y ait pas de loi sur la structure des banques plutôt qu’une régulation insatisfaisante ?

Je suis favorable à la séparation bancaire mais je ne veux pas d’une régulation qui non seulement ne règle pas le problème du risque, mais est également injuste.

Quand le projet d’Union des marchés de capitaux en était à ses tout débuts, vous craigniez, qu’il ne soit utilisé pour défaire certaines régulations créées lors de la précédente mandature ou pour favoriser la titrisation…

Je suis toujours du même avis. Le Parlement n’a pas eu le temps de faire un rapport d’initiative mais il a adopté, en Econ le 6 juillet, une résolution d’orientation avant que la Commission ne publie ses propositions. L’un de mes amendements est passé. Il a pour objectif de faire valoir les intérêts de la zone euro et de proposer la montée en puissance des outils de supervision et de régulation tels que l’ESMA. En revanche, mon amendement sur le carry trade a été rejeté. Tout comme celui qui incitait l’orientation des stratégies d’investissements définie dans le cadre de l’Union des marchés de capitaux à se conformer à la stratégie 2020 ou à la transition écologique. Je me suis pour cela inspirée des travaux que mène l’économiste Michel Aglietta sur la question de la pondération des investissements de long terme, le but étant de rendre ces investissements conformes aux objectifs de la COP 21.

La menace de Brexit a-t-elle un impact sur la négociation de l’UMC ?

L’influence qu’a l’éventualité d’un Brexit sur les régulations en préparation me préoccupe. Les Britanniques jouent beaucoup sur le fait qu’ils demandent en ce moment une renégociation de leur appartenance à l’Union européenne ou un rapatriement de compétences. Jean-Claude Junker souhaitant à juste titre garder à bord le Royaume-Uni, est tenté, dans ses propositions législatives, d’aller vers une version intéressant les Britanniques. C’est notamment le cas pour l’UMC.

Ainsi, dans l’hypothèse où les Britanniques restent dans l’Union, ils disposeront d’un important avantage compétitif. Et s'ils sortent, ils auront largement influencé, avant leur départ, l’Union des marchés de capitaux avec laquelle ils continueront de travailler et qui constitue pour eux, un maillon essentiel.

Je ne vois pas d’inconvénient à une négociation de l’Union des marchés de capitaux où chacun fait prévaloir son propre intérêt, mais la zone euro ne doit pas oublier les siens.

Comment les députés se forment-ils aux questions financières? Ne sont-ils pas inévitablement influencés par les lobbys financiers?

C’est une question démocratique essentielle. Parfois les députés sont meilleurs que les ministres. Sur l’Union bancaire par exemple, les textes sont bons, grâce à la détermination dont a fait preuve l’équipe de négociation du Parlement, notamment sur le Single Resolution Mechanism. Les parlementaires se forment en se frottant aux dossiers.

Tous les députés voient bien les textes sur lesquels les lobbies sont actifs et les « agents de liaison » sont facilement identifiables. Les lobbies choisissent leurs cibles. Par exemple, depuis que j’ai dit qu’il ne fallait pas écouter Goldman Sachs, cette banque ne me sollicite guère. Toutefois, certains députés sont plus perméables que moi au discours des lobbies. Mais sont-ils plus influençables que les gouvernements ? Je ne le sais pas.

Les parlementaires subissent aussi les pressions de leur État d’origine, de leur parti au niveau national, de leur parti au Parlement et les discours ne sont pas toujours les mêmes ; comment faites-vous ?

Nous regardons tous les avis puis vient le moment où il faut arbitrer. Bien sûr, certains se contentent d’écouter un seul son de cloche.

Quand j’ai été rapporteur sur PRIPS [1] , dans la dernière mandature, j’ai beaucoup travaillé avec Finance Watch, organisation dont j’ai contribué à la création.

L’association Finance Watch parvient-elle à faire contrepoids face aux lobbies de l’industrie financière?

Sur PRIPS, l’équipe de Finance Watch a vraiment été à mes côtés, ils répondaient très rapidement à mes questions. C’est un dossier qu’ils avaient choisi de privilégier. Ils étaient donc très armés pour le suivre, ils m’ont bien aidée et je revendique le fait d’avoir travaillé avec eux.

Les eurosceptiques brouillent-ils le fonctionnement du Parlement ?

Leur forte présence oblige les deux grands groupes (PPE et S&D) à travailler encore plus étroitement ensemble ; mais comme nous n’avons pas défini au début du mandat les sujets sur lesquels nous devons le faire, une certaine frustration est palpable et les tensions sont fortes.

Il existe toutefois des sujets sur lesquels il est possible de réunir une majorité sans passer par l’alliance PPE-S&D, mais pour être certain d’aboutir autour d’une législation, il vaut mieux s’assurer du classique accord PPE-S&D. Sur MMF, c’est ainsi que le texte est passé. Et sur BSR, il n’y a pas jusqu’ici d’accord au Parlement européen parce qu’il n’y pas d’ accord entre les groupes PPE et S&D.

Sur la Grèce, regrettez-vous que le Parlement n’ait pas joué un rôle important dans les négociations?

Je pense même qu’il s’agit d’une faute. Oui, le Parlement aurait dû être plus impliqué. Dans la précédente mandature, même si cela était insuffisant, nous avions rédigé le rapport sur la Troïka. Finalement, il y a eu un huis-clos de la Commision économique et monétaire avec Vladis Dombrovskis [2] et Pierre Moscovici le 17 juin et l’échange avec Alexis Tsipras en plénière au Parlement le 8 juillet. Il est venu, renforcé par sa double légitimité (son élection et le référendum), alors qu’il était en pleine négociation. Il n’avait pas forcément envie de prendre ce risque-là avant. Pourtant, il aurait été préférable de l’inviter plus tôt.

Depuis le mois de janvier 2015, j’essaye de trouver des formats pour avoir les échanges nécessaires avec les acteurs de la négociation, mais cela s’est avéré difficile en raison de la logique avec laquelle la négociation s’est engagée, suivant en priorité celle des créanciers.

La négociation telle qu’elle a eu lieu est très critiquable car elle s’est déroulée en dehors de tout cadre démocratique. Le memorendum [3] n’a pas été délibéré selon la méthode communautaire et la Troïka n’existe pas dans la méthode communautaire. On est complètement hors cadre légal alors que l’on prétend imposer le respect de règles!

Seriez-vous favorable à la création d’un Parlement de la zone euro pour voter les textes qui ne concernent que la zone euro ?

La création d’un Parlement de la zone euro est une question récurrente. Trois évolutions militent en sa faveur.

  • D’abord, de nombreuses règles du Pacte de stabilité ne s’appliquent qu’aux États membres de la zone. Au-delà de leur rédaction, la question du contrôle parlementaire européen et national de leur mise en œuvre est posée.
  • En parallèle, l’idée qu’il faut plus que des règles pour piloter les économies unies par l’euro et un vrai débat de politique économique, progresse. Il doit permettre d’identifier la position budgétaire agrégée souhaitable, comme je le propose dans mon rapport que le Parlement européen vient d’ adopter [4] .
  • La troisième raison qui fait avancer ce débat est la plus forte. Elle est directement liée à l’actualité et aux conditions d’exercice de la solidarité entre les membres de la zone. « L’affaire grecque » a pâti de l’inefficacité des recettes appliquées jusqu’ici et du caractère d’abord intergouvernemental de la négociation.
Ces trois raisons plaident pour un budget de la zone euro avec trois fonctions : le soutien à la réforme structurelle, le maintien du bon niveau d’investissement et l’amortissement des chocs asymétriques. Cette perspective fait franchir au débat sur un Parlement de la zone euro une étape significative. Il peut difficilement reposer sur la mobilisation des parlements nationaux. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui, faute d’avoir été appuyé sur le budget de l’Union, repose sur une approche intergouvernementale légitimant le droit de regard de parlements nationaux, doit être modifié. Il doit, comme le demande depuis toujours le Parlement européen, être intégré dans le droit communautaire.

 

1 Produits d'investissement de détail packagés. 2 Vice-président de la Commission européenne. 3 Texte dans lequel figurent les réformes que la Grèce dont mettre en œuvre. 4 Résolution du Parlement européen du 24 juin 2015 sur l'examen du cadre de gouvernance économique : bilan et enjeux (2014/2145(INI)) : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0238+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº787
Notes :
1 Produits d'investissement de détail packagés.
2 Vice-président de la Commission européenne.
3 Texte dans lequel figurent les réformes que la Grèce dont mettre en œuvre.
4 Résolution du Parlement européen du 24 juin 2015 sur l'examen du cadre de gouvernance économique : bilan et enjeux (2014/2145(INI)) : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0238+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR