Solvabilité II : vers un monde plus sûr ?

La crise actuelle a soulign&eacute;, pour certaines activit&eacute;s financi&egrave;res la n&eacute;cessit&eacute; &agrave; la fois de r&eacute;guler les activit&eacute;s &agrave; fort effet de levier, et les effets pervers d&rsquo;int&eacute;ressements appuy&eacute;s sur des indicateurs comptables ou boursiers externalisant des profits potentiels sans prendre en compte de mani&egrave;re appropri&eacute;e le risque. La r&eacute;forme Solvabilit&eacute; 2 a pour objectif de mettre le risque et son pilotage au cœur de la gestion des soci&eacute;t&eacute;s et groupe d&rsquo;assurance europ&eacute;ens. Elle a &eacute;t&eacute; amorc&eacute;e il y a plus de 10 ans et arrive dans une phase cruciale de son implantation (les 5 es &eacute;tudes quantitatives d&rsquo;impact) en plein cœur de ces d&eacute;bats. Une r&eacute;forme &agrave; la confluence de trois courants Le march&eacute; europ&eacute;en . Le premier courant, &eacute;l&eacute;ment moteur de la r&eacute;forme, est l&rsquo;int&eacute;gration europ&eacute;enne. Le projet Solvabilit&eacute; 2 doit substituer &agrave; des r&eacute;gulations nationales, fond&eacute;es sur de multiples interdits administratifs, un syst&egrave;me europ&eacute;en commun adapt&eacute; &agrave; un march&eacute; ouvert. Son objectif est d&rsquo;offrir aux soci&eacute;t&eacute;s un champ d&rsquo;action plus large par la suppression des obstacles aux prestations transfrontali&egrave;res de services financiers, tout en prot&eacute;geant les consommateurs. Cette ambition est forte&thinsp;: l&rsquo;Europe des 27 constituerait le 1 er march&eacute; assurantiel mondial, bien avant les &Eacute;tats-Unis, qui reste un march&eacute; linguistiquement unifi&eacute; mais r&eacute;glementairement cloisonn&eacute; (voir Table 1 et Graphique 1). Adapter un r&eacute;f&eacute;rentiel r&eacute;glementaire trop ancien . Le deuxi&egrave;me courant est la r&eacute;flexion de la profession sur la n&eacute;cessaire adaptation d&rsquo;un r&eacute;f&eacute;rentiel ancien &agrave; l&rsquo;&eacute;volution du secteur et des risques. Le rapport M&uuml;ller [1] en avril 1997 puis le rapport Sharma [2] en d&eacute;cembre 2002, s&rsquo;appuyant sur l&rsquo;analyse des causes de d&eacute;faillances d&rsquo;entreprises d&rsquo;assurance, constituent des &eacute;tapes importantes d&rsquo;une r&eacute;flexion qui a nourri nombre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments qualitatifs figurant dans le texte de la directive. Le sujet de l&rsquo;adaptation du cadre r&eacute;glementaire et de la gouvernance est rendu n&eacute;cessaire tant par l&rsquo;augmentation des risques financiers et techniques que la n&eacute;cessit&eacute; de contr&ocirc;ler des groupes diversifi&eacute;s sectoriellement et g&eacute;ographiquement. L&rsquo;expansion des grands groupes europ&eacute;ens a &eacute;t&eacute; motiv&eacute;e par la recherche de relais de croissance par rapport &agrave; des march&eacute;s nationaux satur&eacute;s, d&rsquo;opportunit&eacute;s de valoriser leurs savoirs et de mutualiser les charges &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle r&eacute;gionale ou mondiale (voir Graphique 2). Adopter les meilleures pratiques . Enfin, le troisi&egrave;me courant concerne les paradigmes dominants au cours des 20 derni&egrave;res ann&eacute;es sur ce que doivent &ecirc;tre les meilleures pratiques de valorisation (normes IFRS et juste valeur), de mesures de risque et de r&eacute;gulation. En mai 2002, KPMG remet &agrave; la Commission europ&eacute;enne un rapport recommandant une organisation en trois piliers de la r&eacute;forme calqu&eacute;e sur B&acirc;le II [3] . De nombreux traits, tant qualitatifs que quantitatifs, de la r&eacute;forme (position centrale de la valeur en risque, r&ocirc;le des mod&egrave;les internes, r&eacute;glementation fond&eacute;e sur des principes et non des r&egrave;gles) sont inspir&eacute;s de la pratique bancaire, tant parce que le r&eacute;gulateur souhaitait &eacute;viter les arbitrages sectoriels entre les deux secteurs fortement imbriqu&eacute;s dans le contexte des groupes europ&eacute;ens, que parce que cette pratique apparaissait la meilleure avant la crise de juin 2007. Repr&eacute;senter le risque par le capital Par son ambition, le projet Solvabilit&eacute; 2 doit substituer &agrave; des r&eacute;gulations nationales un syst&egrave;me europ&eacute;en commun, fond&eacute; sur la juste repr&eacute;sentation des risques pris par le capital immobilis&eacute;. Il s&rsquo;inscrit &agrave; la fois contre des environnements r&eacute;glementaires morcel&eacute;s et contre un syst&egrave;me d&eacute;r&eacute;gul&eacute; sans contraintes appr&eacute;ciant mal la r&eacute;alit&eacute; des risques et pouvant menacer la stabilit&eacute; du march&eacute; et la protection des assur&eacute;s. Solvabilit&eacute; 2 a pour objectif d&rsquo;appuyer les m&eacute;canismes obligatoires de recapitalisation, non pas sur des agr&eacute;gats forfaitaires simples en non-vie (pourcentage des primes ou de la charge de sinistre en un pourcentage des provisions comme dans Solvabilit&eacute; I) mais sur la base d&rsquo;approches diff&eacute;renci&eacute;es reposant sur des calculs de Valeur en risque &agrave; un an (VaR) calcul&eacute;e au travers d&rsquo;une formule standard (article 101 de la directive 2009/138/CE du Parlement europ&eacute;en et du Conseil du 25 novembre 2009) ou d&rsquo;un mod&egrave;le interne valid&eacute; par le r&eacute;gulateur (article 122). Parall&egrave;lement &agrave; la mise en place de ce cadre de contr&ocirc;le, la directive pr&eacute;conise le d&eacute;mant&egrave;lement des contraintes quantitatives pesant sur les valeurs de placements d&eacute;sormais r&eacute;gis par le principe de la &laquo; personne prudente &raquo; (article 132). Solvabilit&eacute; 2 se distingue donc de Solvabilit&eacute; I qui n&rsquo;&eacute;tait pas un syst&egrave;me de gestion par le capital dans la mesure o&ugrave; les marges de s&eacute;curit&eacute; &eacute;taient localis&eacute;es dans les normes d&rsquo;&eacute;valuation des actifs et passifs, plus ou moins conservatrices selon les pays. La r&eacute;forme va donc r&eacute;int&eacute;grer les marges de manœuvre implicites &agrave; un actif net &eacute;valu&eacute; de mani&egrave;re identique &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle europ&eacute;enne &agrave; partir d&rsquo;actifs et de passifs r&eacute;&eacute;valu&eacute;s &agrave; leur &laquo; valeur &eacute;conomique &raquo; qui seront &laquo; choqu&eacute;s &raquo; pour &eacute;valuer le capital de solvabilit&eacute; requis en sus des actifs d&eacute;j&agrave; existants face aux engagements techniques. En contrepartie de la prise en valeur &eacute;conomique du bilan, il y aura &eacute;l&eacute;vation du niveau de capital n&eacute;cessaire, longtemps jug&eacute; trop bas pour inciter les entreprises &agrave; piloter leurs risques, et une diff&eacute;renciation du calcul sur la base des risques accept&eacute;s, pour que ce pilotage ait un sens &eacute;conomique. Solvabilit&eacute; 2 se distingue &eacute;galement du syst&egrave;me de r&eacute;gulation &laquo; risk based &raquo; am&eacute;ricain (mis en place en 1994 apr&egrave;s la crise des junk bonds des ann&eacute;es 1990) qui s&rsquo;appuie sur une formule standard simplifi&eacute;e avec des ratios de repr&eacute;sentation diff&eacute;renci&eacute;s par risques s&rsquo;appliquant aux donn&eacute;es d&rsquo;un bilan prudentiel, un recours aux mod&egrave;les internes par exception (sur certaines branches vie et pour aboutir &agrave; un chargement par rapport &agrave; la formule standard) et des restrictions sur les investissements. Solvabilit&eacute; 2&thinsp;: une r&eacute;forme rattrap&eacute;e par la crise Le rapport Turner, du nom du responsable de la tutelle britannique de la banque et de l&rsquo;assurance, publi&eacute; le 18 mars 2009 fait un bilan sans concession de cette p&eacute;riode qui a impr&eacute;gn&eacute; le texte de la directive assurance. La philosophie du contr&ocirc;le d&rsquo;avant-crise reposait notamment sur la croyance dans les m&eacute;canismes autocorrecteurs du march&eacute; et la confiance faite aux entreprises elles-m&ecirc;mes pour comprendre, analyser, piloter leurs risques sur la base de mod&egrave;les math&eacute;matiques sophistiqu&eacute;s. Le r&eacute;gulateur britannique [4] annonce ainsi un changement radical de doctrine pour s&rsquo;orienter vers un contr&ocirc;le des compagnies plus intense et intrusif [5] . De son c&ocirc;t&eacute;, le superviseur f&eacute;d&eacute;ral am&eacute;ricain a tir&eacute; &eacute;galement un certain nombre d&rsquo; enseignements de la crise [6] : tout d&rsquo;abord, la discipline de march&eacute; ne peut se substituer &agrave; la r&eacute;gulation et la supervision. Ensuite, la r&eacute;gulation par le capital est un des outils importants du superviseur mais pas l&rsquo;outil unique (inspections sur place, contacts, analyses financi&egrave;res [7] ). Enfin, les mod&egrave;les internes sont importants mais leur usage doit &ecirc;tre appropri&eacute; en reconnaissant leurs limites. Le r&eacute;gulateur am&eacute;ricain comme le superviseur europ&eacute;en souligne &eacute;galement la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;introduire un r&eacute;el contr&ocirc;le de groupes en particulier des filiales et activit&eacute;s dans la mouvance du monde bancaire (contrats d&rsquo;assurance CDS, assureurs hypoth&eacute;caires, rehausseurs de cr&eacute;dit). Les superviseurs europ&eacute;ens r&eacute;unis au sein du CEIOPS initi&egrave;rent &eacute;galement une r&eacute;flexion sur les le&ccedil;ons &agrave; tirer de la crise dont le rapport [8] fut publi&eacute; en mars 2009. La directive avait &eacute;t&eacute; vot&eacute;e sur la base de chiffrages d&rsquo;impacts (QIS4) &eacute;labor&eacute;s sur des bilans (31 d&eacute;c. 2007) et des param&eacute;trages d&rsquo;avant-crise. Le rapport juge la structure globale de la r&eacute;forme saine et souligne la n&eacute;cessit&eacute; de l&rsquo;adopter dans un contexte de crise o&ugrave; plus que jamais une information harmonis&eacute;e sur le risque est n&eacute;cessaire. Le principe de la personne prudente sur les investissements est confirm&eacute;&thinsp;: &laquo; La perception est que si des limites quantitatives devaient &ecirc;tre maintenues ce serait non incitatif pour certains assureurs &agrave; une &eacute;valuation appropri&eacute;e de leurs risques et &agrave; la mise en place d&rsquo;une politique compl&egrave;te d&rsquo;investissement &raquo;. Il confirme &eacute;galement l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des mod&egrave;les internes mais avec des contraintes de validation renforc&eacute;es (qualit&eacute; des donn&eacute;es, gouvernance, int&eacute;gration op&eacute;rationnelle). La r&eacute;sultante de cette r&eacute;flexion fut &eacute;galement un alourdissement syst&eacute;matique des param&egrave;tres de la formule standard (chocs et coefficient de corr&eacute;lation augment&eacute;s) et des contraintes accrues sur la qualit&eacute; des &eacute;l&eacute;ments admissibles, qui entra&icirc;n&egrave;rent une protestation unanime de la profession. Le CRO Forum [9] a &eacute;valu&eacute; ainsi sur la base des pr&eacute;sp&eacute;cifications du calibrage QIS5 propos&eacute;es par le CEIOPS que la marge de solvabilit&eacute; du secteur (210 % avec le QIS4 au 31 d&eacute;c. 2007) serait ainsi pass&eacute;e &agrave; 75 % au 31 d&eacute;c. 2009 (pour un estim&eacute; QIS4 sur base bilan 31 d&eacute;c. 2008 de 160 %) cr&eacute;ant un choc r&eacute;glementaire brutal sur la profession, dont le CEIOPS lui-m&ecirc;me ( stress tests europ&eacute;ens publi&eacute;s le 16 mars 2010) soulignait la forte r&eacute;silience pendant la crise financi&egrave;re et le recours tr&egrave;s limit&eacute; aux capitaux publics... La Commission europ&eacute;enne adopta une approche interm&eacute;diaire pour le QIS5 entre la calibration du QIS4 et la proposition des superviseurs dont les impacts viennent d&rsquo;&ecirc;tre rendus publics courant mars. Solvabilit&eacute; 2 : les points d&rsquo;interrogation Ind&eacute;pendamment de l&rsquo;impact des discussions en cours sur le param&eacute;trage de la formule standard et la d&eacute;finition des &eacute;l&eacute;ments &eacute;ligibles, 4 aspects majeurs nous semblent devoir &ecirc;tre relev&eacute;s dans le cadre propos&eacute; par la directive&thinsp;: La VaR est un outil de contr&ocirc;le imparfait, car pouvant &ecirc;tre ais&eacute;ment contourn&eacute;, et adapt&eacute; pour les actifs aux placements financiers de court terme. Les m&eacute;triques priv&eacute;es de type mod&egrave;le interne, n&eacute;cessitant des investissements co&ucirc;teux pour une issue (validation par le superviseur) al&eacute;atoire, et rendent le travail de supervision complexe et potentiellement h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle europ&eacute;enne. Les interdits et contraintes quantitatives apparaissent comme un outil n&eacute;cessaire et compl&eacute;mentaire de supervision. La g&eacute;n&eacute;ralisation d&rsquo;une valorisation du bilan sur la base des &eacute;valuations de march&eacute; (base du calcul du capital n&eacute;cessaire) est source de volatilit&eacute; sans fondement &eacute;conomique et de complexit&eacute;, s&rsquo;attirant la d&eacute;fiance d&rsquo;un march&eacute; qu&rsquo;elle &eacute;tait cens&eacute;e satisfaire et rassurer. Un acte politique majeur Ces points et leurs cons&eacute;quences sur l&rsquo;activit&eacute; des assureurs doivent &ecirc;tre mieux cern&eacute;s. Ce sera l&rsquo;objectif de la deuxi&egrave;me partie de cette analyse, &agrave; para&icirc;tre dans le prochain num&eacute;ro de Revue Banque (mai 2011). Une r&eacute;gulation de ce type, parce qu&rsquo;elle influe directement sur le comportement des acteurs, reste un acte politique majeur. Un mauvais param&eacute;trage d&rsquo;entr&eacute;e ou un mauvais encadrement de ses conditions d&rsquo;utilisation pourraient se r&eacute;v&eacute;ler particuli&egrave;rement dommageables &agrave; la profession. 1 M&uuml;ller Report 1997 &laquo; Solvency of Insurance Undertakings &raquo;: http://www.ceiops.eu/media/files/publications/reports/report_dt_9704.pdf 2 Sharma report 2002 &laquo; Prudential supervision of insurance undertakings &raquo;: http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/docs/solvency/solvency2-conference-report_en.pdf 3 Etude KPMG &ldquo;The overall financial position of an insurance undertaking from the perspective of prudential supervision&rdquo; May 2002: http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/docs/solvency/solvency2-study-kpmg_en.pdf Sur le theme voir &eacute;galement &ldquo;The solvency II process : overview and critical analysis&rdquo; de M Eling, H Schmeiser J Schmit: http://www.alexandria.unisg.ch/Publications/21140/L-it 4 &ldquo;But the FSA&rsquo;s regulatory and supervisory approach, before the current crisis, was based on a (..) philosophy which believed that : markets are in general self correcting (&hellip;) senior management and boards (&hellip;) are better placed to assess business model risk than bank regulators.&rdquo; (Turner Review &ndash; Turner Review 2009 &ldquo;The Turner Review - A regulatory response to the global banking crisis&rdquo; Le rapport &eacute;voque &eacute;galement la &ldquo;misplaced reliance o : sophisticated maths&rdquo; et les d&eacute;faillances du &ldquo;passeport europ&eacute;en (Lehman, Landsbanki) http://www.fsa.gov.uk/pubs/other/turner_review.pdf page 87) 5 Our Approach to Insurance Supervision Speech by Jon Pain 18 March 2010 &laquo; As a consequence, the FSA has evolved and has introduced a radical new approach : intensive &amp;amp; intrusive supervision.&rdquo; http://www.fsa.gov.uk/pages/Library/Communication/Speeches/2010/0318_jp.shtml 6 The Implications of Solvency II for U.S. Insurance Regulation Therese Vaughan February 2009 http://www.naic.org/Releases/2009_docs/090305_vaughan_presentation.pdf 7 (8) Ce constat rejoint un article r&eacute;cent de Jacques de Larosi&egrave;re : &laquo; sans une surveillance comp&eacute;tente et efficace sur le terrain la r&eacute;gulation est condamn&eacute;e &agrave; &ecirc;tre faible ou contourn&eacute;e &raquo; Le Figaro 14/10/2010 les contre effets de la r&eacute;gulation bancaire. 8 (9) CEIOPS &laquo; Lessons learned from the crisis : solvency 2 and beyond &raquo; 19 mars 2010 https://www.ceiops.eu/fileadmin/tx_dam/files/publications/reports/CEIOPS-SEC-107-08-Lessons-learned-from-the-crisis-SII-and-beyond.pdf 9 (10) Ratios tir&eacute;s de l&rsquo;&eacute;tude SIGMA n&deg; 3/2010 les questions r&eacute;glementaires dans l&rsquo;assurance (graphique 6) http://media.swissre.com/documents/sigma3_2010_fr2.pdf

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