Un des enjeux majeurs du SSM (Single Supervisory Mechanism) est d’assurer au sein de la zone euro, une cohérence de la supervision prudentielle. Disposant d’un corpus unique de règles édicté par le Parlement européen et le Conseil (package dit CRR/CRD 4) et renforcé par les standards techniques de l’EBA (Single Rule Book), la Banque Centrale Européenne (BCE) est investie de la mission de rendre homogènes les pratiques de sa surveillance. Y parvenir passe naturellement par l’harmonisation des exigences en fonds propres et donc des calculs des ratios de solvabilité.
La supervision BCE porte sur les 19 pays de la zone euro, certes soumis à des principes prudentiels en théorie identiques, mais avec historiquement des pratiques assez différentes, les textes réglementaires autorisant une certaine liberté d’interprétation, y compris par les autorités nationales compétentes. Cette latitude est d’autant plus grande lorsqu’il s’agit de modèles internes qui par essence diffèrent d’un établissement à un autre, contrairement aux méthodes standards dont la caractéristique est de fixer un mode de calcul et un paramétrage unique au détriment de la réactivité des indicateurs face aux risques et aux évolutions de l’environnement économique.
Il en a résulté une hétérogénéité importante des calculs de risques pondérés (RWA). Dès 2013, que cela soit pour les risques de marché ou les risques de crédit, des études réalisées par le Comité de Bâle ou par l’EBA, ont confirmé et quantifié la variabilité des RWA (voir Encadré), ainsi d’ailleurs que des écarts de valorisation des produits bancaires. Cette variabilité, attendue s’il s’agit de risques de nature de différente, a aussi renvoyé à des modélisations différentes à expositions identiques.
La crise financière de 2007-2009 avait déjà contribué à remettre en cause la bonne adéquation des ratios de solvabilité aux niveaux de risques pris et notamment jeté le doute sur la pertinence des modèles internes. Le régulateur a donc modifié et complété le cadre de mesure des risques avec le dispositif Bâle III et notamment la prise en compte du risque de liquidité (autrefois ignoré), l’introduction de nouveaux ratios comme le
Contrairement au Comité de Bâle qui a été tenté, dans la première version de « Bâle IV » relative au traitement du risque
La BCE s’est inscrite dans la même logique d’harmonisation que l’EBA. Après s’être assurée dans un premier temps par le biais de l’exercice d’Asset Quality Review (AQR) conduit en 2014 que les bilans des banques étaient suffisamment solides pour rétablir la confiance sur la fiabilité des indicateurs. Cette revue détaillée des actifs avait porté essentiellement sur leur valorisation et les RWA n’avaient pas été soumis à un même niveau d’inspection. La BCE a entrepris désormais de mesurer l’impact des choix effectués par les banques dans leurs modèles.
Les objectifs de la revue des modèles sont multiples
Le programme conduit par la BCE communément appelé TRIM (Targeted Review of Internal Models) s’inscrit dans la continuité de l’AQR mais porte spécifiquement sur les modèles internes de risques de marché, de crédit et de contrepartie. Ce programme répond aux objectifs suivants :
- évaluer et confirmer l’adéquation et la pertinence des modèles internes déjà validés ;
- s’assurer que les règles prudentielles européennes et les standards techniques et orientations données par l’EBA sont correctement appliqués ;
- confirmer le niveau suffisamment conservateur des RWA calculés par les banques ;
- établir un inventaire des pratiques des établissements de crédit et identifier les meilleures pratiques de marché en particulier dans les domaines non détaillés par la réglementation ;
- élaborer des plans de remédiation au niveau de l’industrie ou au niveau de la banque afin de respecter la réglementation et d’harmoniser les modèles internes.
- une phase de conception et de préparation ;
- une phase d’exécution des missions.
Les questionnaires comportaient des éléments qualitatifs mais aussi quantitatifs. Ils ont permis d’identifier des points d’attention de la BCE pour la suite du programme et d’anticiper des actions correctrices pour les banques. Au regard de la quantité d’informations demandées par le superviseur, remplir les questionnaires a demandé généralement aux banques des efforts conséquents, en particulier pour le risque de crédit.
La phase préparatoire comprend également la définition de critères de sélection des modèles et établissements qui seront revus lors de la seconde phase. Comme ce fut le cas lors de l’AQR, des méthodologies de revue des modèles lors des inspections ont été élaborées ainsi que des approches de comparaison (benchmarks) des modèles entre eux. Ces comparaisons permettront de mieux cerner les sources de variabilité des RWA provenant de modélisations différentes.
La deuxième phase, à strictement parler la revue elle-même, qui devrait débuter entre février et avril 2017, est constituée d’une part d’analyses « horizontales » et d’autre part d’inspections détaillées sur place, soit individuelles, c’est-à-dire sur un modèle particulier donné, soit « ciblées » à savoir sur une thématique ou un ensemble de modèles dont les périmètres auront été définis lors de la phase préparatoire. Les revues « horizontales » consistent à comparer les différentes pratiques des banques et modèles par sujet identifié comme étant source de variabilité des risques pondérés. Les inspections détaillées et ciblées se dérouleront selon un planning pluriannuel à partir de 2017 et donneront lieu potentiellement à des correctifs de RWA. Pour remplir leur mission, elles s’appuieront sur les textes réglementaires fondamentaux déjà en vigueur (CRR) mais également, selon les dernières publications de la BCE et des échanges avec l’industrie bancaire, sur des drafts de RTS de l’EBA récemment édités, voire sur des éléments issus de FRTB.
Focus sur les modèles internes de risques de marché
Dans la suite de cet article, afin d’illustrer l’exercice TRIM, nous nous focaliserons sur les seuls modèles internes de risques de marché.
Bien avant la réglementation future du risque de marché (dite
Nul doute que ces deux documents constitueront le support fondamental de TRIM lors des missions sur place.
Quels sujets d’attention de la part de la BCE ?
En dépit de la taille conséquente du programme TRIM et du renforcement des équipes de supervision par des cabinets de consultants, le périmètre potentiel de la BCE sur les modèles internes est si étendu qu’une approche sélective est nécessaire d’où le terme « targeted ». Dans un modèle interne de marché, de nombreux éléments peuvent être source de variation des exigences en fonds propres. Aussi, la phase préparatoire contribue-t-elle à sélectionner les sujets sur lesquels le superviseur effectuera ses investigations.
Sur la base de son document d’octobre, du questionnaire sur les risques de marché de la phase préparatoire ou de nos échanges avec les établissements en Europe, il apparaît que les thèmes suivants font l’objet d’une attention particulière de la part de la BCE :
- le périmètre d’application du modèle interne et la consolidation des risques et positions ;
- la gestion du risque de modèle et sa gouvernance ;
- le choix des facteurs de risque et les risques non pris en compte dans le modèle (RNIM) ;
- le back-testing ;
- le risque supplémentaire de défaut et de migration (IRC), inhérent aux positions du portefeuille de négociation.
Quels challenges pour les établissements de crédit ?
Pour chacun de ces points d’attention, les banques vont être confrontées à d’importantes demandes de la part de la BCE concernant :
- les documentations, analyses et justifications. Il est clair que les policies sur les modèles internes seront sujettes à un examen minutieux et que la BCE attend d’ores et déjà des documents détaillés décrivant les règles mais aussi les justifiant. Parmi les sujets soumis à formalisation, on peut citer par exemple la frontière portefeuille de négociation/portefeuille bancaire et le lien avec les classifications comptables. De même, le traitement des couvertures internes, des positions de change du portefeuille bancaire,
des CIU , la gestion des RNIM, les règles de calcul du[6] P&L réel et du P&L hypothétique pour le back-testing, les méthodes de calcul de VaR, l’IRC, etc. font partie des documents probablement inspectés ;[7] - les inventaires. Qu’il s’agisse d’inventaires de facteurs de risques au sein des paramètres de marché, d’expositions en défaut, de positions ou composantes du P&L exclues du back-testing, d’écarts de modèles ou d’approximations, un ensemble d’inventaires avec les traitements associés sont nécessaires à l’évaluation des modèles de risques de marché ;
- les tests d’impact et potentiellement de changement de paramétrage des modèles. Afin de mesurer les impacts des choix de modélisation et des approximations ou bien la robustesse des modèles, des simulations de P&L doivent être effectuées. De plus, des niveaux minimaux de paramètres sont requis par exemple dans l’IRC ;
- les indicateurs de risques complémentaires. Toujours dans le cadre de l’IRC, de nombreuses analyses de risques correspondant à des jeux de paramètres différents sur les corrélations notamment sont demandées.
Pourquoi une revue des modèles sur la base de textes remplacés par FRTB à l’avenir ?
Deux éléments de réponse peuvent être apportés à cette question :
- la mise en œuvre de FRTB est prévue dans le texte de Bâle pour le 1er janvier 2019, mais compte tenu des délais de discussions des textes européens au Parlement, Conseil et Commission, il est probable qu’elle soit repoussée en Europe d’au moins 2 ans, ce qui justifie d’effectuer une harmonisation des modèles actuels pendant la période transitoire ;
- consciente des évolutions majeures à venir, la BCE semble orienter ses demandes en ayant à l’esprit le texte de FRTB, par exemple en renforçant la granularité et en augmentant les tests du back-testing (percentile 97.5, 3 ans d’historique, niveau desk de trading, etc.).