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Stratégie

Pourquoi les banques de détail innovent-elles ?

Créé le

18.06.2013

-

Mis à jour le

26.06.2013

Les banques de détail les plus innovantes dans le monde explorent actuellement quatre nouveaux territoires : l’exploitation des données, la ludification, les communautés en ligne et la cocréation. Elles font de l’innovation l’une de leurs priorités stratégiques, s’organisent en conséquence et consentent les budgets adéquats. Une course indispensable pour se maintenir dans le peloton de tête.

Pour la cinquième année consécutive, l’Efma publiera en septembre prochain son rapport annuel sur l’innovation dans les services financiers, auquel prennent part plusieurs centaines d’établissements dans le monde. L’impression est celle d’une grande effervescence, même si les situations sont très contrastées d’un pays à l’autre, avec des marchés matures européens à la pointe dans de rares domaines… et à la traîne dans beaucoup d’autres.

La tendance universelle à la digitalisation des interactions entre les clients et leur banque a pour effet l’explosion de la quantité de données disponibles, sur leurs transactions comme sur leur comportement. L’exploitation de ces données en temps réel, par exemple pour les intégrer à des applications utilisant la géolocalisation [1] , permet de concevoir des offres extrêmement innovantes. Pour ce qui est de la ludification [2] , les banques turques ou espagnoles sont les pionnières et certaines peuvent déjà se targuer d’avoir amélioré le recrutement et augmenté leurs ventes (voir Encadré 1). En matière de social media, les banques ont non seulement compris tout l’intérêt à écouter les internautes et à répondre en temps réel à leurs récriminations, au vu et au su de tous, mais certaines ont même utilisé des communautés en ligne pour offrir des crédits [3] ou Facebook attirer de nouveaux clients [4] . Mais le véritable changement, c’est la façon dont les banques abordent désormais l’innovation, en acceptant que celle-ci doit être le fruit d’une cocréation avec d’autres industries et d’autres professions, voire même avec les clients !

Certes, encore peu nombreux sont les établissements à s’aventurer dans ces territoires nouveaux, mais l’innovation est cependant pour la plupart une priorité importante. Les deux tiers des banques de détail interrogées dans le monde pour le rapport de l'Efma se considèrent comme « plus innovantes » que l’année dernière et près de 70 % ont un budget en augmentation dans ce domaine. Mieux, alors qu’un tiers d’entre elles avaient formalisé une stratégie d’innovation en 2009, elles sont 60 % aujourd’hui. L’innovation est donc bien désormais à l’ordre du jour des comités de direction et la fonction de « directeur de l’innovation » n’est plus rare dans les organigrammes.

Pourquoi cette course à l’innovation ?

Résister aux nouveaux entrants

Il serait tentant de penser qu’il ne s’agit le plus souvent que de marketing et de communication dans une course éperdue à la différenciation ; ou, pire encore, qu’il s’agit surtout de résister aux nouveaux entrants, si habiles à capitaliser sur leur marque ou à maîtriser la vente en ligne. Que faire en effet contre un Amazon lançant sa propre monnaie, un Sony lançant sa  banque ou un Apple qui finira bien par faire du paiement mobile pour tous ? Sans parler d’ailleurs des établissements bancaires de l’ère digitale, comme Knab aux Pays-Bas, Alior en Pologne ou Jibun au Japon.

Une question d’image…

Il s’agit avant tout d’une question d’image. Que l’innovation soit devenue une priorité stratégique et que les budgets soient en augmentation, c’est plutôt une bonne nouvelle pour les banques trop souvent perçues comme traditionnelles. Mais ne s’agit-il pas trop souvent de coups marketing ou de paris sur l’avenir ? C’est ce que pourrait laisser supposer ce chiffre inquiétant : moins de la moitié des établissements bancaires mesurent l’impact et la performance de leurs innovations et seuls 41 % d'entre eux ont une batterie d’indicateurs en place (mesure des revenus ou de la satisfaction le plus souvent).

Encore faut-il s’entendre sur ce qui peut être considéré comme réellement innovant ou au contraire simple amélioration, voire pur lifting. Quelques centaines de banques participent chaque année à un concours mondial de l’ innovation [5] et il est amusant de voir les candidatures de ces petites banques américaines fières de leur application de scannage de chèque ou ces banques de pays émergents affichant leur système de rationalisation de files d’attente ! Sans parler de cette banque asiatique qui adapte un lecteur de carte à bande magnétique sur un téléphone portable. Chacun se croit prophète dans son pays et les responsables de la communication sont appelés à la rescousse pour vanter les plus petits mérites du moindre changement. Certaines banques n’hésitent même pas à faire appel à leurs fournisseurs de service pour écrire à leur place les communiqués de presse vantant l’innovation… de produits standards.

…et de canal de distribution…

C’est dans le domaine des canaux de distribution que les banques pensent avoir été les plus innovantes dans les dernières années. Cette remarque vaut pour les canaux physiques : on ne compte plus les agences du futur et autres points de vente dans les galeries marchandes. La palme de l’originalité revient très certainement à cette banque italienne et à ses agences… gonflables. Les agences de cette grande banque allemande dans lesquelles le client pouvait acheter des produits cosmétiques ou se restaurer sont détrônées ! Dans les pays émergents, la priorité réside surtout dans les applications mobiles, y compris pour le paiement, ainsi que dans l’équipement de forces de vente itinérantes équipées avec des tablettes pour visiter les clients dans les zones rurales. Mais la remarque vaut aussi et surtout bien sûr pour les services mobiles, qui représentent l’essentiel des innovations les plus pertinentes, voire même le lieu privilégié de véritables ruptures. Le mobile n’est d’ailleurs pas un autre canal, c’est le lieu d’une autre conception des relations bancaires. L’éclosion des applications de gestion de finances personnelles l’illustre parfaitement [6] .

…mais pas seulement

Parallèlement à cette effervescence dans le domaine de la distribution, portée par le foisonnement technologique, les produits et services innovants font piètre figure, même s’ils restent le pain quotidien de services marketing encore relativement traditionnels. Quant à l’innovation dans les processus, beaucoup plus difficile à valoriser auprès du client, elle demeure un domaine complexe où beaucoup reste à faire. Il faudra encore longtemps avant que les banques offrent la souscription totalement en ligne de prêts immobiliers. Plus que les barrières techniques ou réglementaires (voir Encadré 1), il faudra rompre les habitudes.

Un apport à la société

Enfin, il reste un domaine où l’innovation joue un rôle de plus en plus important, c’est celui de l’innovation sociétale, qu’il s’agisse de la bancarisation dans les pays émergents [7] ou, pour ce qui est des pays matures, de l’accompagnement de clientèles fragilisées [8] , ou conscientes des enjeux locaux ou environnementaux.

Un must : s’inspirer des autres pays

Dans quels pays les banques de détail sont-elles les plus innovantes ? La palme revient sans conteste à la Turquie, reconnue internationalement comme le pays le plus en pointe, aussi bien en matière de technologie que de marketing. pour les pays émergents. L’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil sont souvent cités, tout comme Singapour ou la Corée. On peut trouver également d’intéressantes innovations, en Espagne et en Australie, dans les quatre domaines cités en introduction. Et en Europe de l’ouest, ce sont les Pays-Bas qui ont détrôné les pays nordiques et tiennent la corde dans la course vers l’ère du tout-électronique.

Se fixer comme objectif d’observer les innovations dans le monde nécessite cependant de ne négliger aucun acteur ni pays. De cette banque indienne sur Facebook [9] au Sultanat d’Oman qui a annoncé sa politique d’éradication du cash [10] , en passant par l’Afghanistan qui règle la solde de ses soldats par transfert sur mobile ou le métro coréen dont les murs interactifs permettent de faire ses courses en flashant les QR codes, les exemples exotiques et décoiffants sont nombreux.

Exemples trop étrangers, éloignés des supposées attentes de nos clients français ? C’est ce que semblent penser certains, qui continuent de facturer l’accès aux comptes en ligne, comme à la bonne époque du minitel. Comparés à leurs voisins européens, les clients français en ligne ou sur mobile sont les plus insatisfaits et ceux qui achètent le moins de produits financiers [11] . Il va falloir redoubler d’innovation pour inverser la tendance !



1 La localisation du consommateur autorise d’innombrables offres comme le montre par exemple le site bespokeoffers.com et il est étrange que les services financiers en soient absents. 2 Du terme anglais « Gamification », qui désigné l’utilisation des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier les sites en ligne, afin de les rendre plus amusants et plus ‘engageants’. 3 Nouvelle banque « Coinc » lancée par Bankinter en Espagne. 4 DBS à Singapour pour la clientèle haut de gamme ou ICICI en Inde pour attirer la clientèle des jeunes urbains. 5 BAI Global Banking Innovation Awards (www.bai.org/globalinnovations). 6 Rabobank ou ABN Amro par exemple aux Pays Bas, mais aussi Bankin’ en France. 7 RCBC en Indonésie est un excellent exemple. 8 Poste Italiane pour ne citer qu’un exemple. 9 ICICI Bank. 10 Parmi les pays qui ont fait cette annonce à ce jour, le Sultanat d’Oman, le Nigeria et bien sûr la Turquie. 11 Étude « Digital Banking » de l’Efma et d’Exton, juin 2013.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº762
Notes :
11 Étude « Digital Banking » de l’Efma et d’Exton, juin 2013.
1 La localisation du consommateur autorise d’innombrables offres comme le montre par exemple le site bespokeoffers.com et il est étrange que les services financiers en soient absents.
2 Du terme anglais « Gamification », qui désigné l’utilisation des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier les sites en ligne, afin de les rendre plus amusants et plus ‘engageants’.
3 Nouvelle banque « Coinc » lancée par Bankinter en Espagne.
4 DBS à Singapour pour la clientèle haut de gamme ou ICICI en Inde pour attirer la clientèle des jeunes urbains.
5 BAI Global Banking Innovation Awards (www.bai.org/globalinnovations).
6 Rabobank ou ABN Amro par exemple aux Pays Bas, mais aussi Bankin’ en France.
7 RCBC en Indonésie est un excellent exemple.
8 Poste Italiane pour ne citer qu’un exemple.
9 ICICI Bank.
10 Parmi les pays qui ont fait cette annonce à ce jour, le Sultanat d’Oman, le Nigeria et bien sûr la Turquie.
RB