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De Bâle III à la CRD 4 : ce qui pose problème dans les ratios de liquidité

Créé le

23.05.2011

-

Mis à jour le

07.07.2011

Sans remettre en cause leur raison d'être, les banques françaises, soutenues par leur régulateur, critiquent ouvertement le calcul des deux ratios du Comité de Bâle. Mais des marges de manœuvre existent, tant au niveau mondial qu'à l'échelle de l'Europe, où la CRD 4 est actuellement en préparation.

« Il ne fait pas de doute pour les banques que la liquidité doit être encadrée. Le désaccord porte sur la manière de le faire. » À l’image d’Hélène Faracci-Steffan, gestionnaire actif-passif à la Société Générale, les banquiers, notamment français, ne remettent pas en cause le fond mais la forme des deux nouveaux ratios instaurés par Bâle III. Le premier, le Liquidity Coverage Ratio (LCR), est un ratio de flux ; il vise à s’assurer que la banque a suffisamment d’actifs liquides pour faire face à ses sorties nettes de cash dans une situation de stress extrême sur une période de 30 jours. Le second, le Net Stable Funding Ratio (NSFR), est un ratio de stock ; il a pour objectif de contrôler l’activité de transformation de la banque, en faisant en sorte que les besoins de financement « stables » soient bien financés par des ressources « stables », le tout à horizon d’un an (voir Encadrés).

Entre le document ouvert à consultation de décembre 2009 – très inspiré de la ligne dure prise par les régulateurs britanniques en réponse à la crise – et le texte « officiel » de décembre 2010, le Comité de Bâle a atténué sa position. Pourtant, la levée de boucliers suscitée par la première version n’est pas retombée. Même le gouverneur de la Banque de France a émis de sérieuses réserves. « Les paramètres techniques des ratios proposés ont été décidés dans une certaine précipitation et mériteraient un examen plus approfondi », reconnaissait Christian Noyer le 19 janvier, lors des journées des professionnels de la dette et du change. Quels sont les principaux griefs ?

Des hypothèses asymétriques…

Les critiques portent tout d’abord sur les scénarios de stress pris comme hypothèses pour le calcul du ​LCR. L’institution bancaire y est simultanément touchée par un choc qui lui est spécifique (fuite des dépôts de ses clients, difficulté à se refinancer sur le marché, dégradation de 3 ​crans de sa notation) dans des conditions de marché elles-mêmes fortement dégradées (hausse de la volatilité des marchés, utilisation massive des lignes de crédit accordée par la banque, difficulté dans le fonctionnement des marchés de refinancement). Outre leur sévérité, souvent considérée comme excessive, même au regard de la crise de 2007, les banquiers déplorent l’asymétrie des hypothèses. « Une banque qui accorde une ligne de liquidité à une contrepartie devra considérer que celle-ci l’utilisera entièrement. En revanche, cette même banque ne pourra pas compter sur une ligne de liquidité qui lui aurait été accordée par un autre établissement. Une même activité lui coûte 100 dans un cas, et lui rapporte ​0 dans l’autre. C’est une façon de tuer ce marché », pointe un banquier français. Le ratio de liquidité tel qu’il est en vigueur en France, reconnaît, lui, une forme de « donnant-donnant » dans ses hypothèses.

Paradoxalement, le LCR serait pourtant plus souple que ce même ratio français sur la question du taux de fuite des dépôts : estimé à 10 % dans les deux ratios, il bénéficie d’un abaissement à 5 % dans le calcul du LCR lorsque la relation entre le client et sa banque est considérée comme « stable ». Reste encore à définir précisément cette notion. La relation serait perçue comme stable lorsque la banque fournit les services de dépositaire ou de cash management pour un client corporate. Pour le client particulier, il s’agirait d’un compte où le salaire est domicilié.

…et trop stéréotypées

Concernant le NSFR, les critiques se focalisent sur la rigidité des hypothèses de renouvellement des ressources et des emplois. Le texte bâlois liste les principaux éléments du bilan (dette souveraine supérieure à un an, or, créances sur des particuliers ou des PME… pour le volet besoins de financement par exemple) et y applique des pondérations représentant la part à refinancer (respectivement 0, 50 et 85 % dans les trois exemples précédents). « Du fait des taux de renouvellement fixés, le ratio de long terme dictera demain quelles activités couper en cas de crise. Auparavant, cette décision était du ressort de la banque, en fonction de sa connaissance de la clientèle, de ses priorités stratégiques », regrette Hélène Faracci-Steffan. Une régulation de type « One size fits all » qui en somme pourrait inciter à des comportements moutonniers de la part des banques.

Une obligation de financer la dette publique ?

Outre le dénominateur de ces ratios, le calcul du numérateur fait lui aussi grincer les dents de la communauté bancaire. Les incitations à financer la dette publique sont perçues comme extrêmes par les banquiers (lire l’interview de Jean-Bernard Caen), soutenus sur ce point également par le régulateur français. «  Il n’est pas souhaitable que la réglementation prudentielle conduise à orienter prioritairement les financements bancaires vers la couverture des besoins d’emprunt du secteur public, alors même que nous avons vu au cours de l’année 2010 que certains segments du marché de la dette souveraine pouvaient connaître de brutales crises de liquidité », assurait Christian Noyer dès janvier, lors des vœux de l’Autorité de contrôle prudentiel. Les exemples de certains pays atypiques ont été avancés en argument, comme le cas du Danemark qui n’aurait pas assez de dette souveraine pour alimenter les banques en actifs liquides et qui utilise beaucoup plus qu’ailleurs le refinancement par covered bonds.

Le Comité de Bâle a tenu compte de ces critiques entre sa première mouture de décembre 2009 et celle publiée un an plus tard. Un niveau ​2 d’actifs dits liquides a été créé, comprenant notamment les obligations sécurisées. Mais ces actifs restent aux yeux du régulateur international de moins bonne qualité, et sont donc plafonnés et soumis à une décote. Aujourd’hui, le Comité de Bâle, par la voix de son secrétaire général, Stefan Walter [1] , retourne même désormais contre eux, l’argument des banquiers : « Les réserves d’actifs liquides détenues par les banques continuent d’être dominées par les expositions aux Etats, aux banques centrales et aux institutions publiques pondérées sans risque. Ce type d’actifs représente 85 % des actifs liquides des banques, selon la plus récente étude d’impact menée par le Comité. En reconnaissant, dans une certaine limite, les obligations corporate et les covered bonds de grande qualité, le cadre réglementaire autour de la liquidité aidera à promouvoir une plus grande diversification du pool d’actifs liquides. »

Un débat de banquiers centraux

Ce retour à l’envoyeur ne fait pour autant pas taire les détracteurs de la mesure, qui continuent de défendre une vision élargie du concept d’actifs liquides. Ne sont toujours pas pris en compte les actions des grandes entreprises, considérées comme invendables à prix raisonnable en cas de stress, ni les fonds propres.

Mais c’est surtout sur le front des actifs éligibles en banques centrales que les débats se focalisent.  Ils ne sont pas acceptés dans le coussin d’actifs liquides, bien que pouvant être utilisés comme collatéral dans les opérations de refinancement des banques centrales. «  Nous assistons à un vrai débat de banquiers centraux, explique un proche du dossier. Accepter les actifs éligibles dans le coussin de liquidité revient à reconnaître à la banque centrale, un rôle de prêteur en premier ressort. Or pour certains, c’est une erreur méthodologique de laisser penser aux banques qu’elles peuvent s’adresser à elle avant d’aller trouver le marché, car cela gonfle la masse monétaire. D’autres ont une approche plus pragmatique et remarquent que les banques s’adressent prioritairement au marché, le recours à la Banque Centrale n’ayant lieu qu’en cas de crise systémique. » Comprendre dans le cas européen ​: les Britanniques sont partisans d’une ligne dure et les Français adoptent une lecture plus pragmatique. Un premier pas a été fait dans le sens d’un assouplissement puisque le Comité de Bâle a décidé de prendre en compte pour 25 % de leur valeur, des actifs non liquides (Sicav monétaires, crédits ​PME…) lorsque ceux-ci sont déjà en garantie d’un refinancement par une entité publique, banques centrales comprises. Une manière de reconnaître qu’en cas de stress, ces dernières ne couperont pas les robinets des banques déjà financées. Reste à savoir si le Comité peut aller plus loin dans ce sens.

Contre les « unintended consequences »

Techniquement, la marge de manœuvre existe. Le Comité de Bâle a en effet prévu une période d’observation pour palier les conséquences non souhaitées qui pourraient découler de la mise en place de ces nouveaux ratios. Ils ne seront publiés, banque par banque, qu’au 1er janvier 2015 pour le LCR et au 1er janvier 2018 pour le NSFR, des modifications étant possibles jusqu’à respectivement mi-2013 et mi-2016. Un délai essentiel selon les banques qui estiment que l’étude d’impact parue en décembre ​2010 sur la base des chiffres de 2009 est insuffisante pour mesurer l’impact réel de ces ratios. « Les émissions bénéficiant de la garantie de l’Etat, émises dès fin 2008 pour compenser la fermeture du marché obligataire bancaire, représentent dans le monde un stock de près de 700 milliards d’euros, dont 450 pour les banques européennes. Les études d’impact du Comité de Bâle ne tiennent pas compte des remboursements qui interviendront d’ici fin 2015, et qui augmenteront d’autant les besoins de financement », met en garde Hélène Faracci-Steffan. Les régulateurs bâlois n’ont pour autant pas l’intention de céder facilement aux revendications des banquiers. « Il n’est pas suffisant [pour ajuster les textes] de ne s’en référer qu’à l’expérience des banques pendant la crise, car elle est indissociable de l’important soutien qu’elles ont reçu des gouvernements. C’est pourquoi l’analyse devra comprendre une dimension quantitative donnée par l’expérience des banques, mais aussi une évaluation qualitative », assure Stefan Walter [2] .

Une pluie d’amendements attendue pour la CRD 4

L’autre levier pour les banques européennes est le texte de la CRD 4, qui doit traduire Bâle III en droit européen. Le texte de base doit être fourni pendant l’été 2011 par la Commission européenne, puis discuté et voté par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Contrairement aux précédentes CRD qui étaient des directives à part entière, celle-ci sera en partie rédigée sous forme de règlement, donc applicable directement aux États, sans transposition. C’est l’Autorité bancaire européenne (EBA) qui se chargera ensuite de la traduction technique des décisions (lire l’interview d’Andrea Enria, p. xx). Il est probable que l’enjeu et la perspective de ne pas pouvoir adoucir les textes en droit national génèrent un nombre conséquent d’amendements. Difficile donc, à ce stade, de savoir à quoi ressemblera le texte européen de Bâle III. L’Union devra notamment trancher sur le partage de la supervision de la liquidité des groupes transfrontières entre pays d’origine et pays d’accueil. Actuellement, ces derniers veulent garder la main sur la liquidité des filiales locales et défendent le calcul des ratios sur base sociale. Cela multiplie les cadres réglementaires qui s’imposent aux banques européennes. De son côté, le comité de Bâle soutient plutôt une approche consolidée, plus proche de la pratique des banques elles-mêmes.

Enfin et surtout, les débats porteront sur le niveau de détail donné par la CRD 4 pour calculer les ratios. « Sur le NSFR, il est assez vraisemblable que les quotités ne seront pas figées. Les banques auront uniquement l’obligation de déclarer une liste de données afin que les régulateurs puissent ajuster leur calibrage du ratio. Pour le LCR, cette solution est évoquée mais les débats y sont plus aigus. Le texte final dessinera certainement quelque chose qui s’apparente vraiment à un ratio », explique un observateur du dossier.

Tout en prévenant que retirer le sujet de la liquidité de la CRD 4 n’est pas une option, la Commission assure vouloir préserver la période d’observation, en ne fixant pas de calibrage précis. La nouvelle est plutôt bonne pour les banques, à deux conditions toutefois. « Si le texte donne des pistes de calibrage, il devra être accompagné d’une communication explicative claire, à destination des analystes, afin que le marché n’anticipe pas des exigences qui sont susceptibles de changer », nuance un banquier français. Surtout, les députés et les États membres peuvent remettre en cause les orientations prises par la Commission. Ils devraient donner leur dernier mot pour l’automne 2012.

1 Allocution du 6 avril 2011, au Financial Stability Institute. 2 Voir note 1.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº737
Notes :
1 Allocution du 6 avril 2011, au Financial Stability Institute.
2 Voir note 1.