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Les fonds de pension américains, géants aux pieds d’argile

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

25.05.2023

Malgré des encours colossaux, les fonds de retraite
s’épuisent dans une course effrénée au rendement.

La caisse de retraite des fonctionnaires de l’État de Californie (CalPERS), à la tête de 430 milliards d’actifs en 2022, son fonds jumeau pour les enseignants (CalSTRS), la caisse de retraite pour les employés de l’État de New York (Common Retirement Fund) ou encore le State Board of Administration de Floride (SBAFla) sont parmi les plus grands et les plus connus, mais on compte aux États-Unis quelque 5 300 fonds de retraite publics de taille très variable. Avec pas moins de 5 000 milliards de dollars d’actifs, ils règnent en maître sur l’industrie financière. Selon l’OCDE, les États-Unis concentrent 67,3 % des fonds de pension, tous régimes confondus. Les actifs des régimes de retraite y ont augmenté plus rapidement que le PIB au cours des deux dernières décennies et pèsent 174 % de celui-ci en 2021, contre 116 % dix ans plus tôt.

Le système de retraite américain repose depuis 1935 sur une retraite par répartition de base fournie à chaque employé par la sécurité sociale et gérée par l’État fédéral. À cela s’ajoute un complément de retraite par capitalisation, qui est apporté soit par des fonds de pension publics, soit par des fonds de pension privés, dont le 401(k), un plan d’épargne retraite pour les salariés du privé et bénéficiant d’avantages fiscaux. Les 100 plus grands fonds de pension privés d’entreprise disposent d’environ 1 500 milliards de dollars d’actifs en janvier 2023, contre 600 milliards de dollars pour les fonds de pension privés multi-employeurs. Mais ce sont les fonds du secteur public mis en place par chaque État et par un grand nombre de collectivités locales qui dominent le marché. Ils gèrent en effet la retraite de 11,7 millions de retraités, qui reçoivent 340 millions de dollars de bénéfices chaque année, et de 15 millions de membres en activité (source : US Census Bureau).

Déficit chronique

En dépit de cette surpuissance apparente, les fonds de pension publics sont confrontés à un déficit structurel qui les fragilise. Même s’ils ne sont pas affectés directement par le vieillissement de la population et par l’augmentation du nombre de retraités, qui ont été anticipés, ils reposent historiquement sur une hypothèse très optimiste selon laquelle les retraites publiques américaines pourraient être financées par les contributions des gouvernements des États et des travailleurs du secteur public et par des rendements des investissements de 8 % par an en moyenne. Comme le souligne Anthony Randazzo, directeur exécutif de l’institut de recherche Equable, « il est vraiment impossible que tous les États et toutes les villes qui gèrent un fonds de pension aujourd’hui obtiennent un rendement moyen de 8 % sur leurs investissements. C’est pourquoi les coûts ont augmenté de manière relativement importante pour couvrir la différence. » Aujourd’hui, ce manque à gagner s’élève à 1,45 milliard de dollars. Malgré la hausse des contributions des États ou des municipalités, leur taux de capitalisation moyen reste insuffisant pour financer les retraites. Tombé de 84 % à 77,3 % entre 2021 et 2022, il devrait avoisiner les 70 %-75 % cette année, selon les estimations d’Equable. Mais avec de fortes variations selon les États et les fonds. En Californie, le fonds de retraite des enseignants est financé à moins de 70 %, tandis que celui de la police et des pompiers de Los Angeles l’est à 98 %.

Montée des risques

Cette situation a rendu les fonds de pension très dépendants des performances du marché pour financer les prestations. « Les fonds de pension publics gérés par les gouvernements des États et les collectivités locales dépendent très largement des rendements des investissements », explique Anthony Randazzo. Afin de combler leurs déficits et d’augmenter leurs rendements, ils ont ainsi eu tendance à adopter, au fil du temps, une politique d’investissement plus agressive.

Historiquement, les fonds de pension avaient essentiellement un portefeuille classique d’actions et d’obligations. Jusqu’en 1967, par exemple, tous les fonds de CalPERS étaient investis en obligations. Or, selon une analyse du Boston College Center for Retirement Research, la part des obligations et des liquidités détenues par les principaux fonds de pension publics n’est plus que de 23 % en 2022, contre 33 % dix ans plus tôt. Dans le même temps, la gestion alternative (capital-investissement, hedge funds et immobilier) a doublé, pour atteindre plus de 40 % de leurs portefeuilles. « Cette forte croissance rien que dans le capital-investissement signifie que les fonds de pension prennent beaucoup plus de risques qu’ils ne le faisaient lorsqu’ils ont été créés, souligne Anthony Randazzo. De ce fait, leur niveau de capitalisation fluctue lui aussi davantage, et de manière plus volatile. »

Certains fonds ont ainsi recours à l’effet de levier de leur dette. C’est le cas du Teacher Retirement System of Texas, le cinquième plus grand fonds de pension public du pays, qui l’utilise depuis 2019 pour investir dans des actifs censés être plus performants, et de CalPERS, qui lui a emboîté le pas en 2021. « Nous avons besoin de toutes les flèches de notre carquois et la dette privée est l’une des plus importantes », avait alors déclaré Dan Bienvenue, directeur adjoint des investissements de CalPERS, pour qui « il n’y a pas de choix sans risque ». « Le capital investissement est la catégorie d’actifs la plus performante du portefeuille de CalPERS et son allocation a été augmentée de 8 % à 13 % à partir de l’exercice 2022-2023 », a encore déclaré CalPERS dans un communiqué en janvier. Le fonds californien a 46,73 milliards de dollars investis en capital-investissement, juste devant CalSTRS (46,26 Mds).

Avec la baisse des rendements du private equity (-6,1 % en 2022), le pari pourrait coûter cher aux grands fonds de retraite. « Lorsque la plupart des caisses de retraite clôtureront leur exercice le 30 juin 2023, elles prendront alors en compte les pertes de leurs investissements sur les marchés privés qui se sont réellement produites en 2022 », prévient Anthony Randazzo.

Allocation d’actifs des fonds de pension publics en 2022

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À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
3 Questions à... Jean-Pierre Aubry, directeur associé du Centre de recherche sur la retraite du Boston College
« L’ESG n’est pas efficace pour atteindre les objectifs des fonds de retraite »
- Que représente l’ESG (Environnemental, social et de gouvernance) dans les fonds de pension US ?
Les régimes de retraite publics se sont engagés dans l’investissement social depuis les années 1970 lorsque plusieurs États ont exclu les actions liées au tabac, à l’alcool et aux jeux d’argent. Plus récemment, les régimes eux-mêmes ont adopté une « nouvelle » forme d’investissement intégrant des facteurs ESG. Les fonds de pension publics représentent une part substantielle des actifs institutionnels auxquels sont appliqués des critères ESG. Ils les ont appliqués à au moins 3 000 milliards de dollars d’actifs, soit plus de la moitié des actifs des fonds de pension publics.
- L’investissement ESG affecte-t-il les rendements ?
Absolument. Notre étude montre que ces fonds ont sous-performé par rapport aux autres classes d’actifs. Ceci semble contredire l’affirmation selon laquelle le fait de se concentrer sur les facteurs socialement responsables produit des rendements plus élevés.
- Avant le véto du président Biden, le Sénat américain a bloqué une loi permettant aux gestionnaires des fonds de pension d’inclure l’ESG dans leur stratégie ; plusieurs États leur ont aussi interdit de le faire. Ces critères ont-ils leur place dans les fonds de retraite ?
Non. Les données disponibles suggèrent que l’investissement social produit des rendements plus faibles et qu’il n’est pas efficace pour atteindre les objectifs sociaux poursuivis. La ville de New York vient d’annoncer qu’elle n’investira plus les fonds de pension de ses employés dans les combustibles fossiles... mais désinvestir des produits pétroliers ne produit pas de rendement.
RB