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Rencontre avec... Benoît Grisoni, directeur général de BoursoBank

« Il faut prendre le temps d’équiper les clients : 5 à 10 ans pour l’épargne »

Créé le

20.12.2023

-

Mis à jour le

04.01.2024

Rebaptisée BoursoBank, la banque en ligne du groupe Société Générale a démontré sa rentabilité au deuxième trimestre de 2023. Ce n’était pas la première fois. Cela devait devenir la norme en 2024. Comment ? Son directeur général, Benoît Grisoni, l’avait expliqué dans Revue Banque, en 2022. Il nous expose à présent de nouveaux objectifs « bien plus ambitieux ».

ING a décidé de se retirer du marché de la banque de détail en France. En 2022-2023, Boursorama a accueilli ses clients. Avec quel bénéfice ?

Rappelez-vous qu’il ne s’agit pas d’un rachat d’activité. Nous n’avions pas les données des clients, en vertu du règlement européen qui les protège, RGPD (règlement général sur la protection des données, ndlr). Les clients nous ont contacté sur proposition d’ING. Ils ont été 315 000 à nous faire confiance. Cette opération, inédite en France, a été menée en moins de six mois, avec un taux de transformation de 60 %, le meilleur connu par ING : dans d’autres pays, il a été de 45 % à 50 %.

Contrairement à ce qu’il se passe lors d’une fusion-acquisition, une partie du bénéfice est ainsi revenue aux clients eux-mêmes, avec un parcours d’ouverture de compte simplifié, des gestes commerciaux exclusifs et un accompagnement dédié ; une autre à ING, forcément variable. Nous espérions un taux de transformation de 50 %. Pour BoursoBank, ce sont des clients très complémentaires de ceux acquis en croissance organique : ils sont plus âgés, plutôt la cinquantaine, des CSP +, et ont plus d’encours – avec des plans d’épargne en actions, de l’assurance vie, etc. Les crédits ne faisaient pas partie de l’accord.

Au troisième trimestre 2023, Boursorama est devenue BoursoBank, et a conquis 412 000 clients, un nouveau record. Vous avez changé de nom, pas de recette. Combien de temps faut-il à BoursoBank pour rentabiliser sa clientèle nouvelle ?

Pour atteindre 5,4 millions fin septembre 2023 (+24 % sur un an) sur un marché bancaire mûr, l’investissement est important. Ce sont des coûts d’acquisition – instantanés, et qui ne sont pas amortis comptablement dans le temps. Les frais généraux progressent aussi avec le nombre de clients, mais beaucoup moins vite, grâce à l’effet de levier. Deux éléments sont importants : l’âge et la récence des clients. Nous avons recruté 1,5 million de clients en 2022, ce qui veut dire qu’à fin 2022, près d’un client sur trois n’était pas dans la banque un an plus tôt.

Par ailleurs, nos nouveaux clients ont, en moyenne, moins 35 ans. Cette jeunesse constitue un potentiel inestimable, quelque que soit le secteur d’activité : la grande distribution l’a compris. Il faut prendre le temps d’équiper les clients qui viennent d’arriver : six mois à un an pour la banque au quotidien, cinq à 10 ans pour l’épargne. Les encours (épargne et crédit) de nos clients doublent entre l’année 1 et l’année 3, et ils triplent en cinq ans. Fin T3 2023, ils s’élevaient à 70 milliards d’euros, contre 17 milliards fin 2015. Les clients d’ING sont, eux, arrivés avec leurs encours : près de 8,5 milliards d’encours, dont près de 4,5 milliards d’euros en assurance vie.

Ces clients-là avaient été attirés par le Livret Orange à taux boosté d’ING. Allez-vous intégrer cet ingrédient, maintenant que le contexte le permet de nouveau ?

Nous n’avons jamais fait de promotion sur trois mois, capées, et nous ne le faisons toujours pas. En revanche, nous disposons d’une gamme complète de produits à capital garanti avec des comptes à terme et le Livret Bourso+ à des taux très compétitifs, sans condition, ainsi que le Livret A et du LDDS, comme les autres établissements traditionnels.

Votre maison mère a procédé à la fusion de ses deux réseaux, Société Générale et Crédit du Nord, pour donner naissance à SG. À quel point le groupe a-t-il besoin de BoursoBank pour son activité de banque de détail en France ?

En septembre, notre maison mère a établi une nouvelle feuille de route, un nombre de clients et un niveau de rentabilité cibles pour BoursoBank d’ici 2026. Cette stratégie s’illustre par notre nouvelle identité, BoursoBank, avec une modernisation des éléments de marque. Ils étaient les mêmes depuis 2014. Notre logo est passé sur une ligne, un format plus adapté sur un mobile.

Cela matérialise la cohabitation de deux modèles assumés au sein du groupe, avec deux acteurs de taille critique. BoursoBank, en tant que pure player, a démontré sa capacité à créer de la valeur dans la banque de détail.

Au T1 2023, nous comptabilisions 300 000 nouveaux clients et étions à l’équilibre. Au T2 2023, nous avons piloté, « normalisé » notre acquisition, avec « seulement » 129 000 nouveaux clients. Nous avons ainsi limité les coûts d’acquisition et avons continué à bénéficier de la baisse des coûts de services, grâce à l’amélioration continue de notre efficacité opérationnelle. Nous avons aussi accru nos revenus avec des commissions, en banque, assurance vie et bourse. Ceci n’est possible qu’à condition de maintenir la satisfaction des clients avec une offre compétitive. Dans un contexte inflationniste, être la banque la moins chère depuis 16 ans a de la valeur. C’est une question de structure de coûts, plus bas que d’autres : un modèle fondé sur des process automatisés et 100 % digitaux (+45 collaborateurs en un an pour 1 million de clients supplémentaires). Aujourd’hui, 51 % de nos clients nous ont choisi comme banque principale.

Pour Revue Banque de mars 2022, vous aviez rédigé un article expliquant comment Boursorama devait devenir « très rentable en 2024 »1. Qu’en dites-vous maintenant ?

Cette publication dans Revue Banque était antérieure à la signature de l’accord avec ING (annoncée le 5 avril 2022, ndlr), à la remontée des taux et au T2 2023, Boursorama a pu démontrer sa très forte rentabilité : 47 millions d’euros de résultat et un RONE (Return On Net Equity) de 66 %. Dorénavant, nous avons de nouveaux objectifs, bien plus ambitieux : atteindre plus de 8 millions de clients, en croissance organique, et plus de 300 millions de résultat net en 2026 ! Pour réussir ces nouveaux objectifs, un investissement cumulé sur la période 2023-2025 de l’équivalent de 150 millions d’euros de résultat brut a également été annoncé.

Propos recueillis par Sylvie Guyony

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº887-888
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