La Lumière du chaos est votre quatrième livre consacré aux méfaits du capitalisme libéral. Qu’apporte-t-il ?
Chacun de mes livres est né d’un événement particulier. Le Monde d’après est lié à la crise des subprimes, Révolutions à la crise grecque, Éloge de l’anormalité à l’apathie générale et à ma déception face aux politiques. Mon nouvel ouvrage est lié à ma conviction que notre système a atteint ses limites. Les inégalités ont explosé à un niveau insupportable, le contrat social est rompu, l’extrême droite triomphe un peu partout dans le monde, comme récemment en Argentine et aux Pays-Bas. Fruit de mes réflexions et de mes expériences, ce livre a vocation à susciter le débat et à réveiller les consciences. Au-delà du constat, je présente des solutions, dont certaines sont radicales. De mes quatre livres, c’est aussi le plus personnel. Il est nourri de mes références littéraires et musicales punk, car l’art et la culture sont des instruments de combat.
Vous écrivez que les États peuvent « créer de la monnaie quasiment sans contrainte et l’utiliser pour financer, d’une part, des dépenses d’intérêt général et, d’autre part, l’instauration d’un revenu universel ». Est-ce vraiment envisageable aujourd’hui ?
Cette approche choque et suscite l’incrédulité car nous vivons avec l’idée que la création monétaire est nécessairement limitée. Nous avons même interdit le financement monétaire des déficits publics. Lorsque je travaillais au ministère des Finances, j’ai moi-même été prisonnier de cette règle. Mais il faut sortir des dogmes. La politique du « quoi qu’il en coûte », financé par la création monétaire et mise en place en France lors de la crise du Covid, a ouvert une brèche. Sous certaines conditions, il est bel et bien possible de créer de la monnaie sans impact sur l’inflation. Il faut libérer cette marge de manœuvre pour œuvrer à une société plus juste. Pour cela, les banques centrales, aujourd’hui indépendantes, doivent se mettre au service de l’État.
À votre échelle, en tant que financier, quelle pierre apportez-vous à l’édifice ?
Je fais en sorte de m’engager dans des actions qui ont du sens. Ainsi, mon activité de conseil aux gouvernements étrangers en crise a pour but de les aider dans la gestion de leur dette. J’ai par exemple conseillé l’Argentine en 2001, la Grèce en 2009 et l’Ukraine en 2014. Mon objectif est d’alléger autant que possible le poids des dettes publiques sur les populations.
Vous venez d’une famille très liée aux médias et vous-même êtes patron de presse. Quel regard portez-vous sur ce secteur ?
Les médias sont un instrument essentiel à la démocratie et au décryptage objectif du monde dans lequel nous vivons. Il est capital de maintenir leur pluralisme et leur indépendance, mais comme ils perdent de l’argent, il faut pour cela d’importants moyens financiers. Or les banques refusent leur financement, tant pour des raisons économiques que pour des raisons de neutralité politique. Résultat, seuls des milliardaires peuvent les soutenir aujourd’hui !
Qu’attendez-vous, en tant que lecteur, d’un magazine professionnel tel que Revue Banque ?
Au-delà du décryptage de l’actualité (nouveaux instruments, nouvelles régulations...), une telle presse doit aider à réfléchir sur la façon dont le système financier peut contribuer au renforcement de la cohésion sociale et à la construction d’une société du possible.
Propos recueillis par Clarisse Normand