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Résolution de Banco Popular : refus d’indemnisation des actionnaires
et créanciers par le Fonds
de résolution unique

Créé le

31.01.2024

Le tribunal rejette l’ensemble des recours en annulation engagés à l’encontre de la décision du Conseil de résolution unique ayant refusé d’accorder un dédommagement
aux actionnaires et créanciers affectés par le dispositif
de résolution adopté à l’égard de la banque espagnole
Banco Popular.

1. La mise en œuvre de la résolution constitue une source de contestation importante. Cela n’a rien de surprenant en soi : l’ampleur des réformes engagées depuis 2014, l’importance des pouvoirs accordés aux autorités européennes, la profusion des textes adoptés, la complexité des mécanismes mis en place mais aussi une certaine réticence des autorités à répondre aux demandes d’explication des établissements visés par ces décisions sont autant de facteurs qui favorisent l’essor du contentieux. Les très nombreux recours intentés à l’encontre du dispositif de résolution de Banco Popular Espanol l’illustrent. En juin 2017, le Conseil de résolution a adopté un dispositif de résolution de l’établissement, en exécution duquel les actions ont été rachetées au prix d’un euro par la banque espagnole Banco Santander. Les personnes physiques ou morales actionnaires de l’établissement ayant perdu leur investissement à la suite de ce rachat ont contesté le dispositif de résolution et les conséquences qu’il a entraîné devant les juridictions européennes. Après avoir rejeté les recours en annulation intentés à l’égard du dispositif de résolution1, le Tribunal de l’Union européenne, par six arrêts rendus le 22 novembre 2023, rejette également les recours en annulation visant la décision du 17 mars 2020 du Conseil de Résolution Unique (CRU) qui a refusé d’accorder un dédommagement aux actionnaires et créanciers par le Fonds de résolution unique (FRU) en application de l’article 76 § 1e) du Règlement n° 806/20142. Ce texte permet au CRU de recourir au FRU pour dédommager les créanciers et actionnaires d’un établissement s’il est établi que la mesure de résolution leur a fait subir des pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies en cas de liquidation de l’établissement selon une procédure normale d’insolvabilité. Comment le CRU a-t-il conclu que les créanciers et actionnaires ne pouvaient en l’espèce pas prétendre à indemnisation ? Il s’appuyait sur la mission confiée à un évaluateur indépendant chargé de procéder à la valorisation de l’établissement qui a estimé, à partir de différents scénarios, que les créanciers et actionnaires n’auraient pu espérer aucun recouvrement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité. Après consultation des actionnaires et créanciers, invités à soumettre leurs commentaires, le CRU avait définitivement adopté la décision attaquée.

2. Comme dans ses décisions antérieures, le Tribunal, par des observations préliminaires, précise, que s’agissant de se prononcer sur une situation dans laquelle les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment en raison de la prise en compte d’éléments économiques et techniques hautement complexes, le contrôle des juges de l’Union est restreint. Le Tribunal se contente ainsi de vérifier le respect des règles de procédure et de motivation, l’exactitude matérielle des faits ainsi que l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. Les juges de l’Union européenne doivent néanmoins vérifier la fiabilité et la cohérence des éléments de preuve et contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes nécessaires à l’appréciation de la situation. Les requérants se fondaient sur deux séries d’arguments pour contester la décision du CRU. Les trois premiers moyens visaient en effet à contester l’indépendance et le rôle joué par l’évaluateur dans la décision adoptée par le CRU et invoquaient à ce titre la violation de plusieurs dispositions du Règlement n° 806/2014. Les deux derniers moyens invoquaient la violation du droit à un recours effectif et du droit de propriété garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

3. Les requérants reprochaient au CRU des erreurs manifestes d’appréciation concernant l’évaluation de Banco Popular qui auraient conduit à une sous-évaluation des recouvrements des requérantes dans le cadre d’une hypothétique procédure d’insolvabilité. Mais sur ce point, le Tribunal considère qu’il ne saurait substituer sa propre appréciation à celle de l’évaluateur. Les créanciers et actionnaires estimaient encore que le CRU avait commis une erreur manifeste d’appréciation dans la désignation de l’évaluateur qui n’offrait pas suffisamment de garanties en termes d’indépendance pour deux raisons distinctes. En premier lieu, celui-ci avait effectué des missions pour le compte de Banco Popular et de Banco Santander pendant plusieurs années avant sa nomination en qualité d’évaluateur. Pour les requérants, les simples déclarations d’absence de conflits d’intérêts produites par l’évaluateur ne suffisaient pas à garantir son indépendance. En second lieu, les requérants reprochaient à l’évaluateur d’avoir participé au processus de résolution en amont de la valorisation destinée à déterminer si les actionnaires et créanciers pouvaient prétendre à indemnisation. Ils avançaient que, pour préserver l’indépendance des analyses, le CRU aurait dû avoir recours à un autre évaluateur. Tous ces arguments, visant à remettre en cause l’indépendance de l’évaluateur, sont rejetés par le Tribunal.

4. Les deux derniers moyens se fondaient sur une violation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Les requérants considéraient d’abord que les droits de la défense n’avaient pas été respectés. Ils invoquaient notamment la violation de leur droit d’être entendu, garanti par l’article 41 § 2 de la Charte, et du droit à un recours effectif, consacré par l’article 47 de la Charte. Le Tribunal rejette ici encore l’ensemble de ces prétentions. Le fait d’avoir imposé aux créanciers de répondre par un formulaire comportant sept questions restrictives avec des espaces de réponse limités, sans possibilité de joindre des documents, n’est, selon le Tribunal, pas constitutif d’une violation du droit d’être entendu, d’autant que les requérants n’indiquaient pas quels commentaires ils n’avaient pas été en mesure de faire valoir, ni les documents qu’ils auraient souhaité transmettre. S’agissant de la violation du droit à un recours effectif, les requérants s’appuyaient essentiellement sur le caractère confidentiel de parties essentielles du document de valorisation. La question de l’accès aux documents détenus ou établis par les autorités de surveillance dans le secteur bancaire et financier à l’occasion des décisions qu’elles adoptent pose régulièrement difficulté3. Les exigences de confidentialité ou de secret professionnel sont régulièrement admises comme des restrictions légitimes aux droits fondamentaux dans le cadre de la régulation bancaire et financière. Le dernier moyen, tiré de la violation du droit de propriété, consacré tant par la Charte que par l’article 1er du protocole n° 1 de la CEDH n’avait aucune chance de prospérer dès lors que le Tribunal n’avait pas retenu d’erreur manifeste d’appréciation à propos de la valorisation des actifs de Banco Popular. En effet, pour établir la violation de leur droit de propriété, les actionnaires et créanciers auraient dû démontrer qu’ils auraient été mieux traités dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité que dans le cadre de la résolution.

5. Une fois encore, ces arrêts montrent que les contestations postérieures à l’adoption des mesures de résolution devant les juridictions européennes sont le plus souvent vouées à l’échec. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 TUE 1er juin 2022, aff. T-481/17, Fundacion Tatiana Perez de Guzman el Bueno et SFL c/ CRU, T-510/17, Del Valle Ruiz e.a. c/ Commission et CRU, T-523/17, Elevete Invest Group e.a. c/ Commission et CRU, T-570/17, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group c/ Commission et T-628/17, Aeris Invest c/ Commission et CRU, Banque et Droit, septembre 2022, p. 62, note J. Morel-Maroger.
2 Règlement du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n°1093/2010.
3 CJUE 19 décembre 2019, aff. C-442/18 P, BCE c/ Espirito Santo Financial, SGPS SA, Banque et Droit, mars-avril 2020, p. note J. Morel-Maroger. Voir aussi CJUE, Altman, 12 nov. 2014, aff. C-140/13 : BJB 2015, p. 68, note J. Morel-Maroger ; RD bancaire et fin. 2015, comm. 67, note T. Bonneau ; CJUE, Baumeister, 19 juin 2018, aff. C-15/16, Buccioni et UBS, 13 septembre 2018, aff. C-358/16 et C-594/16, Banque et Droit, septembre-octobre 2018, p. 40, note J. Morel-Maroger, Europe 2018, comm. 334 et 408, note D. Simon, JCP E 2019, 1267, obs. N. Mathey,
T. Bonneau, « Le secret professionnel prévu par les textes “MIF” et “CRD”
à l’épreuve de la jurisprudence européenne », RJDA 2/2019, chron. p. 83,
RD bancaire et fin. 2019, comm. 73, note A.-C. Muller ; CJUE 21 octobre 2020, aff. C-396/19 BCE c/ Espírito Santo Financial Group et CJUE 17 décembre 2020, aff. C-342/19, F. de Masi et Y. Varoufakis c/ BCE, Banque et Droit, janvier-février 2021, p. 56, note J. Morel-Maroger.
RB